Humaniser Alexandrie
Avec une exposition mêlant œuvres d’art contemporaines et pièces archéologiques, le Mucem , à Marseille, s’essaie à un exercice difficile : présenter la réalité de la cité égyptienne en regard de sa légende.
Il suffit de prononcer le nom d’Alexandrie pour qu’aussitôt l’imaginaire s’enflamme, nourri d’histoire et de mythes. Rares sont ceux qui ignorent que la ville égyptienne a été fondée par le roi de Macédoine Alexandre le Grand (en 331 avant J.-C.), que son port était annoncé par un phare monumental et que son enceinte abritait une fameuse bibliothèque, bâtie en 288 avant notre ère… Mais au-delà de ce savoir général remonté de l’antiquité, la cité concentre aujourd’hui plus de mystères que de certitudes. L’exposition Alexandrie : futurs antérieurs, qui se tient au Mucem, à Marseille, jusqu’au 8 mai 2023, s’attelle ainsi à la lourde tâche de « revisiter l’histoire et le présent de la ville égyptienne, loin des mythes et des stéréotypes qui lui sont traditionnellement associés ».
Déconstruire le mythe
Pour le conservateur référent du musée marseillais, Enguerrand Lascols, « il s’agit d’enlever le vernis, de déconstruire le mythe ». Une démarche complexe et commercialement risquée, les mythes et les fantasmes attirant plus les visiteurs que la – souvent banale – réalité. Les commissaires Arnaud Quertinmont et Nicolas Amoroso (Musée royal de Mariemont), aidés par Edwin Nasr (indépendant) et Sarah Rifky (Institute for Contemporary Art de l’université Virginia Commonwealth), se sont donc livrés à un acrobatique grand écart en conjuguant recherche archéologique et art contemporain. Ils écrivent ainsi : « L’exposition présente des artefacts couvrant une période de huit siècles, entre la fondation de la ville par Alexandre le Grand (331 av. J.-C.) et l’avènement du christianisme (381 après J.-C.).
Les représentations de la ville sont marquées par de constants allers-retours entre temps historique, temps actuel et temps imaginaire
Elle présente également des incursions dans des vestiges datant des temps byzantins, arabo-islamiques et modernes. […] L’exposition s’intéresse aussi à l’Alexandrie contemporaine. Une ville marquée par une constante érosion écologique, sociale et politique, déterminée par son passé colonial et les tumultes de la mondialisation. Au fil du parcours de l’exposition, 16 artistes contemporains élargissent notre regard avec des œuvres qui explorent la ville d’aujourd’hui, sa complexité, et le paradoxe de ses représentations, marquées par de constants allers-retours entre temps historique, temps actuel et temps imaginaire. »
Puzzle à recomposer
Autant le dire, Alexandrie : futurs antérieurs fait sans cesse appel à l’imaginaire du visiteur qui doit essayer, à la manière d’un patient archéologue, de recomposer le puzzle complexe de ce que fut la ville et de son évolution au cours du temps. Relativement scolaire, le parcours de l’exposition se divise en cinq parties. Débutant avec l’urbanisme, il se poursuit avec le pouvoir et les savoirs, les temples et le « bilinguisme culturel », la vie quotidienne et le rayonnement de la ville. L’information est dense, abondante, et c’est petit à petit que l’on parvient à reconstruire une image approximative de la ville et de ses habitants au gré des époques.
Les (impressionnantes) aquarelles contemporaines de Jean-Claude Golvin et les différentes cartes exposées permettent, par exemple, de visualiser le plan de la cité – et de saisir son évolution : de la ville antique, il ne reste quasiment rien ! Une maquette du fameux phare d’Alexandrie – dont on ne peut affirmer avec certitude qu’il s’agisse d’une représentation fidèle – voisine avec une image du fort mamelouk de Qaitbay, bâti sur les ruines et avec les blocs de l’ouvrage antique.
Le Mouseîon, ancêtre grandiose de nos musées
Dans le même ordre d’idée, l’exposition rappelle que la bibliothèque d’Alexandrie faisait partie intégrante du Mouseîon, lieu de culte dédié aux muses, qui personnifient les arts et les sciences dans la culture grecque. Dans le catalogue de l’exposition, Mona Hagag, de l’université d’Alexandrie, écrit ceci : « Après être monté sur le trône d’Égypte en 306-305 avant J.-C., Ptolémée 1er, fils de Lagos, lança un important programme de construction à Alexandrie, dont il fit la capitale de la dynastie régnante. L’un des objectifs de cette politique était de s’assurer la suprématie sur le monde méditerranéen.
Démétrios de Phalère, qui faisait lui-même partie du Lycée, conseilla au roi d’établir un centre scientifique et intellectuel. Ptolémée 1er le chargea alors de créer un Musée, à la fois temple pour les muses, les déesses grecques de la création artistique et littéraire, et centre de recherches scientifiques et littéraires hébergeant une bibliothèque. […] Le Musée devint rapidement une destination prisée des érudits éminents ; ils affluaient vers Alexandrie, attirés par les conditions d’accueil et de travail sans équivalent qu’offraient les Ptolémées. »
Euclide, Archimède, Ératosthène, Alexandre le Grand, Cléopâtre VII…
Au fur et à mesure que l’on progresse dans l’exposition, le mythe d’Alexandrie se peuple de figures bien réelles. Ainsi des savants qui firent la grandeur de la ville : Euclide, Archimède, Ctésibios, Philon de Byzance, Héron, Aristarque, Érastosthène (qui prouva que la terre était une sphère et en calcula la circonférence), Claude Ptolémée… Ainsi des poètes : Callimaque, Théocrite, Appollonios de Rhodes… Ainsi des puissants : Alexandre le Grand, bien entendu, mais aussi la dynastie des Ptolémées, dont la fort célèbre Cléopâtre VII. Les différents éléments présentés dans l’exposition visent, d’une certaine manière, à débarrasser la plupart de ces personnages de leurs oripeaux fantasmatiques. « Cléopâtre VII a longtemps eu une image de mauvaise reine, précise Enguerrand Lascols. Mais c’était une fake news forgée par les Romains, une image qui a été ensuite fantasmée, érotisée… Dans la réalité, elle avait une image plutôt positive. »
On retrouve un Horus vêtu d’une cuirasse romaine ou un Anubis en toge muni d’un caducée
Dans le catalogue, Stefano Caneva, de l’université de Padoue, précise : « Pour sa part, si la dernière reine d’Égypte assuma un rôle de protagoniste dans la politique internationale de l’époque par les relations qu’elle établit habilement avec Jules César et Marc Antoine, elle n’en dépassa pas moins ses prédécesseurs dans la construction d’un profil divinisant s’appuyant en particulier sur les figures d’Aphrodite en contexte grec et d’Isis-Hathor en contexte égyptien. Un aspect complémentaire de ce projet consistait d’ailleurs dans la construction d’une image d’Antoine en étroite relation avec Dionysos et Osiris. »
Métissages culturels au cours des époques
Tout au long du parcours, les nombreux métissages culturels qui ont marqué l’histoire de la ville sont abondamment documentés, démontrant à quel point l’histoire fonctionne plus par entrelacs, mélanges et superpositions que par ruptures radicales. Une pièce archéologique en particulier attire l’attention : une statuette représentant le dieu égyptien Horus habillé en légionnaire romain ! « Tout comme Isis et Harpocrate, d’autres divinités égyptiennes vont bénéficier d’enrichissements iconographiques de façon à devenir polysémiques et à être comprises tant par un Égyptien que par un Grec ou un Romain, précise le catalogue. C’est ainsi qu’on retrouve un Horus vêtu d’une cuirasse romaine ou un Anubis en toge muni d’un caducée. »
Eau potable
Si l’exposition ouvre de nombreuses portes sur l’histoire multimillénaire de la ville, la plus intéressante est peut-être celle qu’elle entrebâille sur ses habitants et leur vie quotidienne. Comment vivaient-ils ? Comment mouraient-ils ? Comment s’alimentaient-ils ? Comment géraient-ils les rares ressources en eau potable ? Autant de questions qui peuvent paraître terre-à-terre mais qui permettent, au fond, d’humaniser la ville.
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