Angola : un fantôme nommé Savimbi

Dix ans après sa mort, le 22 février 2002, le souvenir du chef de l’Unita, Jonas Savimbi, orgueilleux et brutal, hante toujours la scène politique angolaise.

Défilé de soldats pro-Savimbi en 1985. © STR News/Reuters

Défilé de soldats pro-Savimbi en 1985. © STR News/Reuters

Christophe Boisbouvier

Publié le 21 février 2012 Lecture : 3 minutes.

« Primeiro os Angolanos » (« Les Angolais d’abord »), scandait Jonas Savimbi à la fin de ses grands discours. Aujourd’hui, le slogan est devenu sonnerie. À Luanda, beaucoup de jeunes ont mis la voix du fondateur de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) dans leur téléphone portable. Dix ans après sa mort, Savimbi est tendance.

Que reste-t-il de lui ? Pas que des bons souvenirs. Savimbi était un guerrier. Entre 1975 – année de l’indépendance – et 2002, la guerre civile a causé la mort de près de 1 million de personnes. L’Unita est coupable, au même titre que le parti au pouvoir, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA). Les contraintes de la guerre ? Sans doute. Mais le chef rebelle était d’une grande brutalité, y compris avec les siens. Plusieurs de ses compagnons ont été mis à mort pour rien. Pour de simples soupçons.

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Savimbi était d’un orgueil démesuré. Comme le rappelle son dernier biographe portugais, Emídio Fernando, « ce n’est qu’en 1966, quand il a compris qu’il ne serait jamais numéro un du MPLA, qu’il a créé l’Unita ». Il est vrai que sa communauté des Ovimbundus était marginalisée par les élites métisses du MPLA. Puis, de purge en purge, le chef a installé autour de lui un culte de la personnalité. Façon Staline ou Mao. Entre 1964 et 1966, le jeune Savimbi a longuement séjourné en Chine. Épisode peu connu, épisode formateur.

Mort les armes à la main

Mais Savimbi était aussi un farouche nationaliste. Et un homme courageux : le 22 février 2002, il est mort les armes à la main. On sait moins que c’était un bon gestionnaire. « Dans les vastes territoires sous contrôle de l’Unita, il y avait partout écoles et dispensaires. En fait, c’était un homme de gauche », témoigne le reporter français Yves Loiseau. « L’Angolais d’aujourd’hui se souvient de l’aversion de Jonas à l’égard des corrompus et il fait le parallèle avec le régime actuel », affirme Paulo Lukamba Gato, l’un des successeurs de Savimbi à la tête de l’Unita. « À l’époque, quand il y avait une coupure d’eau ou d’électricité à Luanda, le MPLA pouvait dire que c’était de la faute de l’Unita. Mais en 2012… »

Savimbi a-t-il été un pion des Américains qui n’a pas compris, à la fin de la guerre froide, que ses mentors avaient plus besoin du pétrole du MPLA que de ses diamants ? Pas si simple. « Dès les premiers mois de 1992, Savimbi a senti que le président Bush le lâchait et m’a demandé de le mettre en contact avec Mitterrand, ce que j’ai fait », confie Paulo Lukamba Gato. Le chef rebelle a cru qu’il pourrait tenir malgré les sanctions de l’ONU et la chute de Mobutu, son voisin congolais et allié… Il s’est trompé. Sans doute encore cet orgueil démesuré.

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"C’est le de Gaulle africain"

Que reste-t-il ? Un tribun d’exception, qui s’exprimait dans toutes les langues de son pays. Un homme de grande culture qui, les derniers jours de sa vie, citait Churchill ou Mao. À la fois un Africain enraciné dans sa terre et une figure avant l’heure des « élites mondialisées » – il parlait l’anglais et le français couramment. « C’est le de Gaulle africain », disait un chef des services secrets français, Alexandre de Marenches. Surtout, il reste un parti, qui a survécu à son créateur. Avec 16 sièges sur 220 à l’Assemblée, il représente la deuxième force politique du pays. « Aujourd’hui, dans l’opposition, l’Unita est la seule alternative au MPLA », remarque Paulo Lukamba Gato. On en saura plus aux législatives de septembre prochain. Depuis dix ans, la famille du défunt réclame le transfert de son corps dans son village natal de la province du Bié. Le pouvoir refuse, de peur que le site devienne un lieu de pèlerinage. Le fantôme de Savimbi est toujours là. 

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