Déprogrammation de Kemi Seba sur LCP : la chaîne se tire une balle dans le pied

En annulant la diffusion d’un entretien avec l’influenceur « décolonial » franco-béninois, La Chaîne parlementaire promeut, malgré elle, le discours censuré.

© Damien Glez

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Publié le 15 mars 2023 Lecture : 2 minutes.

En invitant Kemi Seba, le canal de télévision créé conjointement par l’Assemblée nationale et le Sénat français empruntait peut-être le chemin de la sagesse africaine qui instruit que « même si tu n’aimes pas le lièvre, il faut reconnaître qu’il court vite ». L’objectif de la collection « Souvenirs et avenir d’Afrique » de La Chaîne parlementaire (LCP) étant de montrer la variété des opinions sur la place actuelle du continent, écouter le son de cloche du militant franco-béninois pouvait faire sens.

Avec toutes les réserves que suscite la ligne souvent outrancière de l’ONG Urgences panafricanistes, qualifiée par certains de « suprémaciste ». Et grâce à l’absence supposée de complaisance de l’intervieweur du jour, Yves Thréard. Sur la chaîne française LCI, en 2019, l’éditorialiste du Figaro déclarait tout à la fois que « l’islamophobie, ça n’existe pas » et qu’il « déteste la religion musulmane »…

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Programmé dans « Les grands entretiens », un magazine de 28 minutes, le dimanche 12 mars dernier à 23 h 30, l’enregistrement de l’interview de Seba s’est-il mal passé ? Là encore, la sagesse africaine enseigne que « lorsque le canari se casse sur ta tête, il faut en profiter pour te laver ». Un entretien tendu ou des arguments clairement inaudibles de l’interviewé auraient aidé ses détracteurs à démonter les diatribes. Mais voilà que La Chaîne parlementaire a décidé de déprogrammer l’émission, sans décryptage éditorial, offrant instantanément au Franco-béninois – et à ses relais, comme Nathalie Yamb – une toge de censure dans laquelle se draper avec délice, au sonorités de « CQFD » difficiles à contrer…

Le goût de l’interdit

Et voici Kemi Seba d’évoquer « la peur » qu’il inspirerait aux « chers colons », la promesse de diffuser lui-même l’entretien gravé sur son « disque dur » et le « deux poids, deux mesures » d’une ligne éditoriale publique française – toute confusion des formats journalistiques et des structures audiovisuelles françaises bue –, la chaîne France 24 venant d’interroger, il y a quelques jours, Abou Obeida Youssef al-Annabi, chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Que s’est-il passé pour que les professionnels de La Chaîne parlementaire ne choisissent pas entre anticiper ou assumer, ne pas inviter ou ne pas censurer ? Laconique, le tweet annonciateur de la déprogrammation esquissait une décision « après discussion avec Thomas Gassilloud », le président de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Autoproclamé « lanceur d’alerte », le député du parti Renaissance du président de la République française avait accusé Kemi Seba d’être un « relais de la propagande russe ».

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LCP se dira embêtée que « Kemi Seba […] utilise son passage sur la chaîne comme un trophée, notamment lors de son meeting à Bagnolet samedi soir » et évoquera « des questions de sécurité » soulevées par l’entretien avec le député Gassilloud. L’élu a-t-il visionné l’entretien ? A-t-il le pouvoir de forcer la main à la rédaction de LCP ? Maladresse journalistique ? Le cafouillage donne du grain à moudre aux pourfendeurs de la politique française sur le continent. Les audiences des fuites de l’interview – feutrées pour l’instant – diront si la « censure » fut efficace, mais rien n’est plus délectable que le goût de l’interdit…

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