RDC : Augustin Katumba Mwanke, l’homme qui murmurait à l’oreille de Kabila

Il était aussi puissant que discret. Augustin Katumba Mwanke est mort le 12 février. Le chef de l’État congolais, Joseph Kabila, a ainsi perdu son plus proche conseiller, celui qui l’avait pris sous sa protection lorsqu’il n’était pas encore au pouvoir.

Le président Joseph Kabila rend dernier hommage à Augustin Katumba, Kinshasa, 13 février. © B.B.

Le président Joseph Kabila rend dernier hommage à Augustin Katumba, Kinshasa, 13 février. © B.B.

Publié le 27 février 2012 Lecture : 6 minutes.

Sous une pluie battante, ce 13 février, Joseph Kabila, le président congolais, est visiblement affecté. À ses côtés, au domicile kinois d’Augustin Katumba Mwanke, le frère du chef de l’État, Zoé, et sa soeur jumelle, Jaynet. Il y a là aussi le discret mais puissant homme d’affaires israélien Dan Gertler. Tous sont venus s’incliner devant la dépouille de celui qui aura été beaucoup plus qu’un conseiller officieux ou qu’une éminence grise. Une piste d’atterrissage trop courte, une erreur de pilotage… Katumba Mwanke (en photo ci-dessous, © AFP)) est décédé la veille, à l’âge de 48 ans. La famille Kabila est endeuillée. Avec le crash de cet avion de la compagnie Katanga Express, à Bukavu, dans le nord-est du pays, c’est le pouvoir congolais qui est frappé au coeur.

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La victime de ce énième accident aérien en RDC est dans le sillage de Kabila fils depuis novembre 2000, lorsque le jeune général de l’armée congolaise est pris en tenailles dans la forêt de Pweto, encerclée par les troupes rwandaises. Katumba, repéré en avril 1997 par le Mzee Laurent-Désiré Kabila lors de la prise de Lubumbashi, est alors gouverneur du Katanga. Il envoie sur place un hélicoptère pour exfiltrer Joseph Kabila et le met à l’abri chez lui. À l’abri des Rwandais, mais aussi de la colère du père, particulièrement fâché par la tournure des événements et cette cuisante défaite.

"Augustin Katumba Mwanke était plus un Mazarin qu’un Richelieu"

« Depuis, le destin des deux hommes était lié. On peut même dire que Kabila avait une dette de sang vis-à-vis de Katumba, résume un ancien haut diplomate en poste à Kinshasa. Cet ingénieur de formation, très intelligent, discret et réservé, était le seul à avoir un accès direct au chef de l’État. C’est lui qui l’a accompagné, voire initié, depuis sa prise de pouvoir en 2001. De ce point de vue, c’était plus un Mazarin qu’un Richelieu. » De quoi avoir un certain ascendant sur un président mystérieux et timide ? Sans doute. De quoi faire le vide autour d’un trône occupé par un homme insaisissable et quasi silencieux ? C’est une certitude. Évidemment, une telle proximité avec le boss et sa famille offre quelques privilèges et de nombreuses facilités. Cet as de l’influence a su tisser sa toile depuis les bureaux du palais. Mines, énergie, pétrole, gestion des entreprises publiques… « Tout passait par lui », assurent la plupart des observateurs avertis de la scène congolaise.

Après une première apparition publique à Kinshasa lors des funérailles du Mzee, en janvier 2001, Katumba est cité dans un rapport des Nations unies sur le pillage des ressources du pays, un an plus tard. Les auteurs du texte le placent sur la liste des personnes contre lesquelles était recommandée une « interdiction de déplacement, le gel des avoirs personnels et une interdiction d’accéder au système bancaire ». Cette menace de sanctions restera sans suite. Ministre délégué à la Présidence, chargé du portefeuille de l’État, puis ambassadeur itinérant, Katumba a échappé à la disgrâce. Il perdra seulement l’intitulé d’une fonction à la présidence sur sa carte de visite, mais pas son rôle. 

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"Clique au pouvoir"

Série noire

Il y eut déjà la mort brutale, en août 2007, du Katangais Samba Kaputo, conseiller spécial du chef de l’État pour les questions de sécurité. En 2010, c’est un sécurocrate de la même région qui doit se faire plus discret : le général John Numbi, le patron de la police, est démis de ses fonctions après l’assassinat de Floribert Chebeya, le président de l’ONG La Voix des sans-voix. Le 13 février, c’est la tour de contrôle – toujours katangaise – à la présidence qui tombe. Joseph Kabila va devoir, en outre, se passer durablement de trois fidèles lieutenants, blessés dans le crash : le rigoureux ministre des Finances, Matata Ponyo Mapon, commençait à remettre en ordre l’administration des impôts. Il avait également la confiance des bailleurs de fonds. L’ambassadeur Antoine Ghonda est un maillon essentiel de la diplomatie souterraine, notamment avec les voisins. Quant à Marcellin Cishambo, il est le relais du Palais dans le Sud-Kivu, sa province d’origine, dont il est le gouverneur, après avoir été un très influent conseiller du chef de l’État.

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Un épisode en janvier 2003 traduit cette emprise progressive sur les affaires de l’État. L’homme qui murmure à l’oreille du président demande au ministre de l’Économie et des Finances, Freddy Matungulu Mbuyamu, un versement de 50 millions de dollars sur le compte de la présidence. Ancien du Fonds monétaire international (FMI), réputé honnête et rigoureux, artisan du retour en grâce auprès des bailleurs de fonds, l’argentier s’exécute, mais renâcle. Une dizaine de jours plus tard, Katumba réclame un deuxième virement. Cette fois, le ministre refuse et rédige sa lettre de démission. Le lendemain, la garde républicaine débarque à son domicile de fonction et l’expulse. L’avertissement vaut pour les autres. On ne résiste pas au binôme du Palais de la nation. Katumba prend son envol. Mais la trajectoire du jeune Kabila, qui suscitait admiration et encouragements durant les années de transition (2001-2006), s’infléchit.

Quand l’ambassadeur américain à Kinshasa décrit « la clique au pouvoir » dans un câble envoyé à Washington en mai 2009 et révélé par WikiLeaks, il parle de lui. Quand le groupe minier canadien First Quantum perd en août de la même année l’exploitation d’un gisement de cuivre et de cobalt à Kolwezi (Sud-Est) sur décision du gouvernement, son nom est également mentionné. Tout comme celui d’un autre poids lourd du paysage minier congolais : Dan Gertler, alors soupçonné d’être derrière la mystérieuse société basée aux îles Vierges britanniques, Highwind Properties, qui a récupéré le permis avant de le céder à des Kazakhs, en septembre 2010. Et quand l’entrepreneur belgo-congolais George Forrest demande dans les colonnes de Jeune Afrique, en décembre 2010, « que les détenteurs des sociétés offshore présentes dans les pays à faible gouvernance soient connus pour lutter contre d’éventuels conflits d’intérêts », c’est encore à Katumba Mwanke qu’il pense.

« Rumeurs persistantes, puisqu’on ne prête qu’aux riches, et accusations sans preuve, tant les montages financiers sont opaques », admet notre diplomate… Il n’empêche. Katumba s’est taillé une sacrée réputation dans les chancelleries occidentales, qui l’ont vu également derrière le deal géant « mines contre infrastructures », signé avec les Chinois en 2007 et portant initialement sur 9 milliards de dollars, avant d’être ramené à 6 milliards. L’homme ne répondra jamais aux accusations. Il préfère rester silencieux et fuir les journalistes. Privilèges, sans doute, de ceux qui se sentent intouchables et invulnérables.

Les jeux sont ouverts, et le chef de l’État pourrait profiter de cette situation imprévisible pour rebattre les cartes.

Un diplomate

Car cet homme de l’ombre était également un orfèvre des combinaisons politiques. Député du Katanga, siégeant souvent mais sans jamais prendre la parole, c’est lui qui assurait la liaison permanente entre la présidence et la turbulente Assemblée nationale. C’est lui qui supervisait le vote des lois. Et c’est toujours lui qui pouvait lancer la chasse contre un élu récalcitrant. « Il était craint, car il tirait toutes les ficelles », explique un expert international, rappelant notamment l’épisode, en mars 2009, de la démission contrainte et forcée du président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, entré depuis en dissidence.

« Pour toutes ces raisons, Katumba laisse un immense vide qui pourrait bien entraîner une redoutable lutte de pouvoir. Le système de la présidence a été frappé à la tête », analyse le même expert, qui n’exclut pas une rude bataille dans l’entourage du patron pour récupérer la place et tous les attributs qui allaient avec. Ce que l’on appelle le « clan des Katangais » est aujourd’hui sonné. D’autres pourraient en profiter.

L’autre scénario envisageable est moins déstabilisant pour le régime. « Kabila saura rebondir. Comme à son habitude, il va scruter le marécage et retiendra les crocodiles les plus forts », estime notre diplomate, qui parie sur une reconfiguration des alliances politiques et des allégeances. « Les jeux sont ouverts, et le chef de l’État pourrait profiter de cette situation imprévisible pour rebattre les cartes. »

De fait, après les catastrophiques élections présidentielle et législatives de novembre 2011, Kabila doit absolument retrouver une légitimité. Les jours du gouvernement et du Premier ministre, Adolphe Muzito, sont comptés. Et les contours de la nouvelle majorité pourraient bien être redessinés, avec des figures venues, semble-t-il, de la diaspora, des milieux d’affaires et même de certains partis d’opposition victimes d’actes de braconnage… En mourant tragiquement, Augustin Katumba Mwanke est passé de l’ombre à la lumière. Mais il va sans doute porter sur les fonts baptismaux le deuxième mandat de celui qu’il aura toujours secondé et appuyé, Joseph Kabila. 

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