Tunisie : Marzouki, le style qui détone

Reçu chaleureusement au Maroc, en Mauritanie et en Algérie, le président tunisien Moncef Marzouki en a profité pour prôner la relance de l’Union du Maghreb arabe (UMA), la bonne entente entre voisins et les vertus du dialogue. Dans le style qui lui est propre.

Moncef Marzouki avec Abdelaziz Bouteflika, à Alger, le 12 février. © Ramzi Boudina/Reuters

Moncef Marzouki avec Abdelaziz Bouteflika, à Alger, le 12 février. © Ramzi Boudina/Reuters

Publié le 25 février 2012 Lecture : 6 minutes.

Mission accomplie pour Moncef Marzouki. Lors de sa tournée maghrébine, qui l’a conduit successivement à Rabat, Nouakchott et Alger du 8 au 13 février, le président tunisien a reçu un accueil particulièrement chaleureux, même si, pour le moment, peu de choses ont bougé sur le fond. « L’enthousiasme que nous avons perçu à chacune de nos escales dénote un changement significatif de l’image de la Tunisie dans la région », se réjouit Adnane Mansar, son porte-parole.

Arrivé au pouvoir à la suite d’une révolution, Marzouki s’est prudemment abstenu de donner des leçons de démocratie à ses pairs maghrébins. Il s’est en revanche attelé à les convaincre qu’un système politique pluraliste et transparent était « le meilleur raccourci pour édifier l’Union du Maghreb arabe [UMA] sur des bases solides ». Lors des trois étapes de son périple – qui a également inclus une escapade à Marrakech, pour des raisons familiales -, il n’a cessé d’exalter « un Maghreb des libertés ».

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Le style Marzouki

À changé de lunettes. Les anciennes étaient si singulières qu’elles ont même été le symbole de son parti pendant les élections.

Boude la résidence officielle mise à sa disposition à Marrakech et préfère loger chez sa soeur.

Fredonne l’hymne algérien lors de la cérémonie organisée à son arrivée à Alger.

Refuse de porter une cravate pour marquer son refus du protocole, au grand dam de ses filles…

Arbore un pin’s à l’effigie d’Ahmed Ouerghi, un jeune martyr de la révolution tunisienne.

Demande à rencontrer les leaders de l’opposition au palais présidentiel de Nouakchott.

Se rend sur la tombe de son père, décédé en 1988, au cimetière de Bab Doukkala, à Marrakech.

Se recueille, à Alger, sur la tombe de Youssef Fathallah, militant des droits de l’homme assassiné par les Groupes islamiques armés en 1994.

L’UMA, un « machin » créé en 1989, regroupant cinq pays d’Afrique du Nord (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie), est aujourd’hui en panne, paralysée par les différends de ses États membres. Son dernier sommet remonte à près de dix-huit ans. Il s’était réuni en 1994 à Tunis et, à l’époque, son président en exercice était un certain… Mouammar Kadhafi. C’est dire si l’institution est moribonde.

À la tête de l’État tunisien pour une période transitoire, qui, a priori, ne devrait pas excéder douze mois, Moncef Marzouki s’est assigné un grand dessein : réactiver ledit machin. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Le principal obstacle au bon fonctionnement de cet ensemble régional est évidemment lié à l’affaire du Sahara occidental, un territoire dont le Maroc et les indépendantistes du Front Polisario (soutenus par l’Algérie) se disputent la souveraineté. Un contentieux vieux de plus de trois décennies…

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Outre cette difficulté, le président tunisien était parfaitement conscient qu’il se rendait dans des capitales plutôt méfiantes à l’égard des révolutions du Printemps arabe, qu’il incarne en tant qu’opposant historique au régime de Ben Ali. Son style décontracté, tant en matière vestimentaire (avec son refus obstiné de mettre une cravate, qui rappelle l’abacost du Zaïrois Mobutu) qu’en matière de protocole (il a insisté pour rencontrer, à chacune de ses escales, des représentants de l’opposition et de la société civile), aurait également pu gêner ses hôtes marocains, mauritaniens et algériens. « Rassurez-vous, tempère Adnane Mansar, rien n’a été fait sans l’accord des services du protocole de chacun des pays visités. » Revue des différentes étapes.

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Avec Mohammed VI, à Rabat, le 8 février 2012.

© Reuters

Maroc

Accueilli à sa descente d’avion (affrété par Tunisair) par Mohammed VI, par le prince Moulay Rachid, le frère du souverain, et par Abdelilah Benkirane, le chef du gouvernement, Moncef Marzouki a eu droit à tous les égards dus à son rang : déjeuner offert par le roi au Palais des hôtes, à Rabat – réservé à sa délégation -, deux tête-à-tête avec le monarque… Pour sa première visite d’État à l’étranger (son séjour en Libye, en janvier, avait été qualifié de visite de travail), Marzouki a semblé quelque peu tendu. Le sens de l’humour d’Abdelilah Benkirane, assis à sa gauche lors du déjeuner, a réussi à le décrisper. Parmi les convives, Taïeb Fassi Fihri, ancien ministre marocain des Affaires étrangères, aujourd’hui conseiller diplomatique du roi.

« Au Maroc, je suis dans mon pays », s’exclame, enthousiaste, le président tunisien. Il y a en effet passé sa jeunesse. Son père, Mohamed Bedoui Marzouki, proche de l’ancien opposant tunisien Salah Ben Youssef, avait choisi le royaume chérifien pour asile lorsqu’il avait été contraint à l’exil par Habib Bourguiba en 1956. Et Moncef Marzouki de rappeler à ses hôtes qu’il a obtenu son baccalauréat au Lycée français de Tanger, que sa soeur est l’épouse du Caïd de Marrakech, qu’il a trois demi-frères de nationalité marocaine et que son père était un proche du Palais. « C’est mon pays-bis ! » poursuit-il. Reçu comme un pacha, il se passera toutefois de la résidence du Glaoui lors de son escapade à Marrakech, préférant loger chez sa soeur, dans un quartier populaire de la ville, et allant se recueillir sur la tombe de son père, au cimetière de Bab Doukkala.

Mauritanie

L’accueil de Nouakchott a été tout aussi chaleureux. Moncef Marzouki s’est dit ravi « de partager avec le président Mohamed Ould Abdelaziz cette volonté sincère de construire l’Union maghrébine ». Cette fois, il n’a pas boudé la résidence qui lui avait été réservée : une aile du palais présidentiel. Ce qui lui a valu quelques déboires. Il avait en effet prévu d’y rencontrer les partis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD). Las ! dans un communiqué, les opposants ont décliné l’invitation au motif qu’ils auraient l’impression de se rendre à une réunion « supervisée par le tyran Mohamed Ould Abdelaziz ». Après de nombreuses tractations, la rencontre a pu finalement avoir lieu. Ses interlocuteurs lui reprochant de rendre visite à un « dictateur », Marzouki n’a pas prôné la révolution mais le dialogue « pour éviter une réédition des scénarios libyen, yéménite, égyptien ou syrien ».

Avec Mohamed ould Abdelaziz, à Nouakchott, le 10 février 2012.

© AFP

Algérie

En cinquante ans d’indépendance, les Algériens n’avaient jamais vu ça : un chef d’État étranger en visite officielle fredonnant l’hymne national lors des cérémonies d’usage ! « Nous sommes déterminés à ce que l’Algérie vive. Témoignez ! Témoignez ! Témoignez ! » a chanté Marzouki, emmitouflé dans son burnous, au côté d’Abdelaziz Bouteflika, venu l’accueillir au salon d’honneur de l’aéroport Houari-Boumédiène.

Autre singularité : le président tunisien a demandé à se recueillir sur la tombe de l’avocat Youssef Fathallah, militant des droits de l’homme, assassiné par les Groupes islamiques armés (GIA) en 1994. Seule concession accordée au protocole : avant ce détour imprévu, Marzouki a déposé une gerbe de fleurs au Sanctuaire du martyr, sur les hauteurs d’Alger, étape incontournable pour tout chef d’État en visite.

Au cours de ses deux entretiens en tête à tête avec Abdelaziz Bouteflika, Marzouki a expliqué sa stratégie pour sortir l’UMA de sa léthargie : « Il faut inverser l’optique maghrébine, sortir de l’équation "régler l’affaire du Sahara occidental pour édifier le Maghreb". C’est l’édification du Maghreb qui permettra, à terme, de régler ce contentieux. » Bouteflika lui a répondu que l’Algérie n’est pas partie prenante de ce dossier, déjà pris en charge par les Nations unies, et qu’elle milite pour que cette question ne prenne pas l’UMA en otage. « C’est ce que nous nous évertuons à expliquer à nos frères marocains », a souligné le président algérien.

« L’accueil qu’il a reçu dans les trois pays et le fait que ses interlocuteurs acceptent de participer à un sommet de l’UMA à Tunis dans les prochains mois ont incité Moncef Marzouki à battre le frère [sic] tant qu’il est chaud », confie l’un de ses proches. De fait, à peine rentré à Tunis, Marzouki a renvoyé Adnane Mansar à Rabat pour préparer le futur séjour du souverain marocain en Tunisie. Décidément, l’homme au burnous a de la suite dans les idées.

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