Le Parlement européen vote une résolution sévère sur la Tunisie
Quelques semaines après le Maroc, c’est la Tunisie qui est aujourd’hui dans le viseur des députés européens. Ils ont adopté ce matin à une large majorité une résolution condamnant les dérives du pays en matière de libertés publiques et de répression contre la presse et les syndicats.
Le Parlement européen s’est rarement prononcé sur la situation en Tunisie ; mais cette fois, il expose ses préoccupations quant aux atteintes des droits et libertés qui transparaissent à travers les arrestations récentes, visant notamment des journalistes. Portée par un groupe d’eurodéputés, une résolution sur « les récentes atteintes à la liberté d’expression et d’association et attaques contre les syndicats en Tunisie, en particulier le cas du journaliste Noureddine Boutar » a été soumise au Parlement et adoptée, ce 16 mars, par 496 voix sur 537. Un score conséquent qui est aussi un rappel s’adressant aux autres instances européennes, les invitant à adopter une position cohérente sur la Tunisie.
Le texte de la résolution énonce une série d’incidents et de faits qui, mis bout à bout, dressent un bilan accablant de la dérive liberticide du régime tunisien, qui tend vers une autocratie. La liste est édifiante : elle débute par les pleins pouvoirs détenus par un seul homme, relève le démantèlement des instances constitutionnelles, se réfère à l’arrestation, le 11 février 2023, de Noureddine Boutar, patron de la radio indépendante Mosaïque FM ainsi que de personnalités politiques, revient sur la traduction de journalistes devant le tribunal militaire et leur qualification de « terroristes » et « traîtres » lors des arrestations. La résolution cite aussi les décrets portant atteinte aux libertés, dont le fameux décret-loi 54 traitant de la cybercriminalité, mais aussi le projet de loi sur les ONG, qui prévoit une approbation préalable du gouvernement.
Parmi les entraves aux libertés, celle de la pratique syndicale est illustrée par les arrestations depuis fin janvier 2023, suite à une grève, de syndicalistes, dont Anis Kaabi, mais aussi l’expulsion, le 23 février 2023, d’Esther Lynch, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES) et l’interdiction d’entrée en Tunisie de syndicats de six pays de l’Union. Le projet de résolution pointe enfin les fausses accusations portées à l’encontre des migrants subsahariens qui chercheraient « à remplacer démographiquement les Tunisiens » et qui ont été cibles d’agressions.
Appel à agir
La résolution votée par les eurodéputés demande la libération des journalistes, des syndicalistes et de toute personne arrêtée arbitrairement, que cessent les atteintes à la société civile. Elle enjoint de rétablir les juges révoqués arbitrairement, d’annuler toutes les mesures qui portent atteinte à l’indépendance de la justice et de mettre fin aux poursuites des civils par des tribunaux militaires. Le texte traduit une préoccupation à l’égard des ONG et de leurs marges de manœuvres, soutient une approche inclusive par le biais d’un dialogue national, se référant d’ailleurs au succès de celui tenu en 2013 sous la houlette du principal syndicat tunisien : l’Union générale tunisienne du travail.
« Les autorités tunisiennes n’ont pas pris la mesure de ce que représente Esther Lynch, qu’elles ont considérée comme persona non grata », commente un observateur tunisien, revenant sur l’affaire de l’expulsion de la dirigeante syndicale. Il prévoit que l’adoption de la résolution va être accueillie en Tunisie par un tollé avec, encore une fois, un discours sur l’ingérence étrangère dans les affaires du pays. Ces propos ont cependant de moins en moins de portée et peinent à réveiller un sentiment national, bien que Kaïs Saïed estime que la Tunisie est dans une « lutte nationale » face à ses ennemis, réels ou imaginaires, endogènes comme exogènes.
À Strasbourg, le groupe de députés à l’initiative de la proposition justifie sa démarche par la volonté d’interpeller « une Commission européenne et un Conseil européen qui n’ont pas été aussi fermes que l’auraient souhaité les groupes parlementaires sur le respect des fondamentaux démocratiques par la Tunisie ». Une sorte de rappel à la vigilance aux instances européennes.
« Le parlement, contrairement à la Commission, n’a pas pouvoir d’arrêter la coopération, mais nous demandons que les aides au ministère de la Justice et au ministère de l’Intérieur soient suspendues », indique l’eurodéputé Jan-Christoph Oetjen, rapporteur du groupe porteur de ce dossier Tunisie au sein du parlement européen. Anticipant les reproches qui pourraient être formulés, il tient à spécifier que la démarche n’est pas dirigée « contre la Tunisie mais pour la population, car il existe des droits fondamentaux non négociables » et qu’il « ne saurait être question de priver la Tunisie de l’aide dont elle a besoin ». Le montant total des financements européens au pays a été de 553 millions d’euros en 2022.
La migration laissée hors du débat
En Tunisie, certains s’attendaient à ce que la question migratoire soit également abordée par les eurodéputés, d’autant que la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, exerce toute une série de pressions à ce propos sur le gouvernement tunisien et laisse entendre que l’Italie pèsera auprès des instances internationales, notamment le Fond monétaire international, pour que la Tunisie accède à des financements. « La question migratoire n’était pas dans le focus de la résolution, qui ne portait que sur les libertés », précise Jan-Christoph Oetjen, qui ajoute qu’au sein du parlement, l’Italie ne représente pas une majorité et conclut : « Si j’étais tunisien, je me méfierais de Meloni. »
Ce vote du Parlement devrait maintenant avoir une influence sur le débat des ministres des Affaires étrangères européens, qui se déroulera le 20 mars. Hasard du calendrier ? Ce jour-là, la Tunisie commémore son accession à l’indépendance, en 1956, mais fera également le constat de sa dépendance à l’aide internationale pour avoir négligé la question économique, pourtant centrale et prioritaire.
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