Seuls contre tous, les assureurs indépendants résistent aux grands groupes

De moins en moins nombreux, quelques assureurs indépendants installés dans un unique pays résistent au rouleau compresseur des groupes et des réseaux. Jusqu’à quand ?

La Sonam, au Sénégal, songe à se transformer en un groupe multipays. © Émilie Régnier pour J.A.

La Sonam, au Sénégal, songe à se transformer en un groupe multipays. © Émilie Régnier pour J.A.

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Publié le 24 février 2012 Lecture : 5 minutes.

Assurances : l’Afrique dans la course
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Assurances : l’Afrique dans la course

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NSIA, Axa, Colina, Allianz, Sunu, Globus, Saar, Amsa… Les groupes panafricains, qu’ils soient intégrés capitalistiquement ou organisés en réseau, écrasent-ils le marché des assurances ? « Ils représentent 80 % de l’activité dans la zone Cima [Conférence interafricaine des marchés d’assurances, NDLR] », témoigne un spécialiste du secteur. Dans plusieurs pays, au fur et à mesure de la formation de ces groupes mais aussi de l’émergence du réseau Globus, leur domination est devenue étouffante.

C’est le cas en Côte d’Ivoire. Les « géants » y réalisent entre 85 % et 90 % du chiffre d’affaires de l’assurance vie, la concurrence étant un peu plus vive dans l’activité dommages incendie, accidents et risques divers (IARD). Au Sénégal, les indépendants ont été largement marginalisés, tant en assurance dommages qu’en assurance vie. Au Cameroun, le schéma est le même. Groupes et réseaux y réalisent entre 75 % et 80 % du marché vie.

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Sur l’ensemble de la zone Cima, une seule société parmi les dix plus importantes en assurance vie et deux parmi les dix principales en IARD ne sont encore implantées que dans un unique pays. Ces irréductibles ont pour nom Sonam (Sénégal), Ogar (Gabon) ou UAB (Burkina Faso)… Mais leur nombre se réduit chaque année davantage.

Résistants

Le gabonais Ogar fait figure de vaillant résistant. Profitant de l’entregent de son principal actionnaire, Édouard Valentin, beau-père de l’actuel chef de l’État, l’assureur reste nettement dominant sur l’IARD et assure également le leadership, face à la filiale locale du groupe Sunu, dans l’assurance vie. Il s’offre même le luxe de figurer parmi les six premières sociétés vie et non-vie en zone Cima. À Ouagadougou, l’Union des assurances du Burkina (UAB) reste numéro un dans l’assurance vie, avec 40 % de part de marché. Le groupe d’Apollinaire Compaoré a reçu en 2010 le soutien financier et capitalistique du fonds Africinvest.

Ils ont franchi le pas

« Être indépendant, c’est une étape naturelle avant de devenir un groupe multipays. » L’aveu, fait par un indépendant lui-même, ne semble démenti par personne. Ils sont ainsi nombreux à s’être lancés, ces dernières années, dans l’aventure régionale, espérant connaître la même réussite que les ivoiriens Colina et NSIA. Le camerounais Saar est désormais présent dans huit pays, du Tchad au Sénégal, où il a repris la société locale Ilico, qu’il restructure. Son compatriote Chanas Assurances, qui domine le marché de l’assurance dommages, s’est aussi lancé dans l’aventure, mais plus modestement pour l’instant : il n’est officiellement présent que dans un autre pays, la Guinée équatoriale, et les débuts sont pour l’instant très timides. Toujours au Cameroun, Activa a de son côté non seulement cofondé le réseau Globus, mais aussi acquis directement un assureur au Ghana.

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Quant à la Société nationale d’assurances mutuelles (Sonam), fondée par Diouldé Niane, elle revendique une position de numéro deux sur le marché sénégalais – tous segments confondus – grâce aux cinq sociétés qui la composent. Sur la période 2008-2010 et malgré la pression croissante des groupes multipays et des réseaux, « notre composante "vie" a consolidé sa place de leader, avec un chiffre d’affaires en croissance de 29 %, contre une régression de 4,38 % pour le marché, souligne Mamadou Diop, directeur général. Notre composante "non-vie" a enregistré une progression de 16 %, contre 12 % pour le marché ».

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Idées reçues

Pour certains indépendants, la centralisation parfois excessive rencontrée dans certains groupes les éloignerait du terrain. « Par exemple, explique l’un d’entre eux, avoir une marque unique dans divers pays, même si cela facilite une politique marketing et de communication unifiée, peut parfois se faire au détriment de l’efficacité commerciale. Les clients peuvent en effet être attachés à certaines marques locales dont l’histoire est davantage ancrée dans le territoire. »

Cette critique, les groupes eux-mêmes l’ont comprise. En Côte d’Ivoire, Sunu opère ainsi sous plusieurs marques, pour des raisons historiques et de positionnement commercial. Ailleurs, il a également conservé quelques marques locales, comme Raynal au Burkina Faso ou Avie au Bénin. De la même manière, au Cameroun, la Société africaine d’assurances et de réassurance (Saar) n’a pas comme politique systématique de recourir à une seule marque. « Lorsque vous rachetez une entreprise qui a déjà une base commerciale locale, cela n’a pas forcément de sens », souligne Georges Léopold Kagou, directeur général.

À l’inverse, une autre idée reçue voudrait que les grands indépendants soient forcément désavantagés en matière de force capitalistique. Au final, ce n’est que rarement le cas ; Ogar, Sonam et UAB affichent une solidité aussi bonne que leurs « grands » concurrents. De surcroît, les exigences en matière de capital minimum requis pour exercer restent faibles.

Rang des compagnies d’assurances et total de primes nettes en 2010


Des synergies commerciales et marketing à la puissance de négociation avec les clients comme avec les réassureurs, les avantages des groupes semblent innombrables sur le papier. Les indépendants les plus sérieux le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes : « La taille constitue un atout sur le plan économique en ce qu’elle permet une plus grande mutualisation des coûts et des économies d’échelle, confirme Mamadou Diop. À cette donnée objective s’ajoute le fait que les entreprises à assurer sont de plus en plus présentes dans plusieurs pays de notre sous-région. »

Effets de synergie

Même son de cloche du côté d’UAB : « Dans un environnement globalisé, il est préférable d’être un groupe, souligne Jean Damascène Nignan, directeur général de la branche IARD. C’est d’ailleurs cela que nous voulons construire progressivement dans le cadre de notre stratégie de développement. » UAB a ainsi dans son cahier des charges une extension de ses activités dans la sous-région, et la rumeur prête les mêmes intentions à Ogar. Sans être précis sur la liste des pays où UAB pourrait s’implanter, Jean Damascène Nignan est clair : « Au regard de l’évolution de l’environnement économique et juridique, il est nécessaire d’étendre le champ géographique des activités et de profiter des effets de synergie entre sociétés d’un même groupe. »

Du côté de Sonam, la réflexion semble aussi largement avancée. « Nous avons déjà entamé des actions dans le sens de la constitution d’un groupe multipays, précise Mamadou Diop. Par le statut des sociétés mutuelles qui le composent, Sonam détient un cumul de fonds propres dont le niveau lui permet de mener des actions de développement et d’extension de ses activités dans les pays de la zone Cima. » Sonam, UAB, Ogar… Quand ces trois derniers « résistants » auront effectivement basculé dans l’aventure panafricaine, c’est l’histoire même des indépendants qui prendra fin. Ou presque.

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