Présidentielle sénégalaise : pour qui voteraient les patrons ?

À moins d’une semaine du premier tour de l’élection présidentielle au Sénégal, les patrons sont encore indécis sur le choix du prochain chef de l’État. Mais tous attendent des réformes et jugent sévèrement le bilan d’Abdoulaye Wade. Enquête sur leurs aspirations.

Les réformes économiques lancées par Abdoulaye Wade ont été très ambitieuses. © Georges Gobet/AFP

Les réformes économiques lancées par Abdoulaye Wade ont été très ambitieuses. © Georges Gobet/AFP

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 22 février 2012 Lecture : 5 minutes.

Profil bas. Habitués à être malmenés par l’administration fiscale, échaudés par les affaires politico-économiques, les patrons sénégalais ont du mal à se prononcer en cette période électorale – le premier tour de la présidentielle est prévu pour le 26 février. Interrogés sur leurs attentes et leur opinion politique, tous ou presque requièrent l’anonymat.

Agrégé d’économie, le président sortant, Abdoulaye Wade, libéral dans l’âme, pourfendeur de l’intervention de l’État et candidat pour un troisième mandat, avait rassemblé les espoirs des entrepreneurs en 2000, lors de son arrivée au pouvoir. Le Sénégal sortait alors d’une période de vaches maigres, à la suite des ajustements structurels des années 1990. Depuis, le pays s’est largement ouvert au privé, sous l’impulsion du Parti démocratique sénégalais (PDS). « Il a réconcilié le pays avec l’investissement privé », estime un patron, ancien militant. Mais les temps changent, et le portrait chinois du candidat idéal a davantage le profil d’un homme d’affaires quadragénaire que celui d’un vieux briscard de la politique.

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Ponts, routes, monuments… Les BTP ont largement profité des réformes de Wade, lesquelles ont permis d’injecter de l’argent frais dans les rouages d’une économie endormie. L’énergie reste en revanche son grand échec. Et même si la situation s’est améliorée depuis quelques semaines, « nous avons dû investir dans des générateurs car nous n’avons aucune certitude sur la durabilité des mesures prises », dit un patron du tertiaire. Les dépenses énergétiques représentent pour lui jusqu’à 40 % de ses charges ; et plus largement un point de PIB au niveau national.

Plus de patriotisme…

À moins d’une semaine du scrutin, les patrons sont quasi unanimes : quel que soit le candidat élu (ils sont quatorze à se présenter), il devra davantage soutenir leurs intérêts. Pour eux, trop de contrats et trop d’industries ont été donnés aux étrangers. Ce fut le cas lors des grandes privatisations, notamment celles des Industries chimiques du Sénégal (ICS, détenues à 85 % par l’indien Iffco depuis 2008) et de la Société africaine de raffinage (SAR, propriété à 34 % de Saudi Binladin Group depuis 2010).

« Nous devons recourir au patriotisme économique », indiquait dans nos colonnes le président du patronat, Baïdy Agne, en janvier 2011. Un sentiment partagé par le dirigeant d’une entreprise pharmaceutique : « Il devrait y avoir des appels d’offres réservés aux acteurs locaux, car il nous est encore difficile d’être compétitifs face aux multinationales, notamment chinoises et indiennes… » Pour d’autres, le manque de transparence dans l’attribution des marchés publics est aussi un obstacle. « Nous avons besoin de ces marchés pour nous développer, les clients de taille importante étant encore peu nombreux au Sénégal », remarque un jeune entrepreneur des technologies de l’information et de la communication (TIC).

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Pour lui, le clientélisme doit disparaître. Les patrons de centres d’appels, qui avaient nourri beaucoup d’espoirs avec l’arrivée de l’Agence nationale chargée de la promotion des investissements et des grands travaux (Apix), dont l’une des missions consistait à les soutenir via la création de plateformes précâblées, des tarifs télécoms avantageux et une fiscalité allégée, sont de leur côté dubitatifs. Presque aucune de ces promesses n’a été tenue : « Il n’y a aucun cadre, nous sommes toujours plus chers que le Maroc alors qu’il n’y a aucune raison ! » juge l’un deux. En 2002, Wade affichait pourtant des ambitions pour le pays, qualifiant alors le premier centre d’appels délocalisé à Dakar, PCCI, de « jalon d’envergure qui marque le positionnement du Sénégal dans l’espace économique du télétravail ». Le secteur des services s’estime délaissé, alors que le pays, dépourvu de matières premières, aurait « tout intérêt à miser sur lui » pour se développer.

Le tourisme piaffe, lui aussi. Alors que le Sénégal compte à peine 400 000 visiteurs par an (il s’est fixé un objectif de 1,5 million de touristes en 2015), les hôteliers restent sceptiques quant au nouvel aéroport international Blaise-Diagne de Diass, avec lequel « il n’existe aucune perspective de business, car il n’y a aucun projet d’agglomération à moins de 10 km », analyse l’un d’entre eux. « Le tourisme a chuté de 204 % en trois ans… Même avec le Printemps arabe, le gouvernement n’a pas réussi à faire des offres attrayantes. C’était pourtant l’occasion de redevenir une alternative au Maghreb. » Et si le tourisme d’affaires se porte bien, « c’est totalement subi, il n’y a pas eu de stratégie », dit-il.

Confrontées à un taux d’imposition annuel unique de 25 %, les PME souhaiteraient une réforme de la fiscalité.

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…Et moins de taxes

Confrontées à un taux d’imposition annuel unique de 25 %, les PME souhaiteraient quant à elles une réforme de la fiscalité. Elles attendent un allègement de 10 points de cette taxe, pour atteindre 15 %. « Un taux raisonnable qui nous permettra de trouver de nouvelles sources de financement pour nous développer, vu que l’accès aux ressources bancaires reste un parcours du combattant », explique Ousmane Sy Ndiaye, secrétaire permanent de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois). Pour lui, la fiscalité doit aussi prendre en compte le secteur informel. « Il faut identifier ces microentreprises et les accompagner. On peut ensuite imaginer un impôt transitoire avant qu’elles ne basculent vers le système formel », préconise-t-il.

Dans le secteur primaire, les résultats de la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), lancée en 2008, se font toujours attendre. Faible pluviométrie, appauvrissement des sols, manque de semences certifiées… La production d’arachides sur la saison 2011-2012 dépassera difficilement les 120 000 tonnes, contre 800 000 dans une année normale. Ousmane Ndiaye, directeur de l’Association sénégalaise pour la promotion du développement à la base (Asprodeb), souligne : « Nous faisons des efforts pour certifier nos semences, augmenter l’utilisation des engrais et améliorer la collecte, afin d’accroître notre rentabilité, mais le gouvernement doit imposer aux industriels d’investir dans des outils de production performants pour baisser le prix de l’huile sur le marché. »

Le litre d’huile d’arachide est souvent vendu de 300 à 600 F CFA au-dessus de l’huile importée (de 1 000 à 1 100 F CFA le litre). « Le complexe agroalimentaire de Touba a pourtant prouvé l’année dernière qu’il était possible d’abaisser le prix, poursuit Ousmane Ndiaye. Il a vendu une huile d’arachide certifiée 900 F CFA le litre ! » De fait, les patrons attendent de l’État qu’il organise mieux les filières agricoles. À titre d’exemple, alors que le pays a un potentiel de production de 200 millions de litres de lait, une bonne partie est perdue et non collectée par « manque d’organisation », soutient un transformateur. La création d’une interprofession entre producteurs, transporteurs, commerçants et industriels est plébiscitée.

Un retour modéré de l’État dans l’économie semble ainsi sollicité, notamment « à travers des partenariats public-privé », estime Ousmane Sy Ndiaye, de l’Unacois. « Le privé ne peut pas tout faire », admet un grand patron. En libéralisant l’économie, politique amorcée par son prédécesseur et encouragée par les institutions de Bretton Woods, Abdoulaye Wade a peut-être oublié de protéger ses entreprises. Il pourrait de ce fait perdre le soutien de ceux qui jadis l’avaient suivi.

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Par Michael Pauron, envoyé spécial à Dakar

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