France : Samia Orosemane, rires voilés

Française d’origine tunisienne, la jeune femme adepte de l’autodérision défend sur scène les valeurs de l’islam.

L’humoriste Samia Orosemane craignait que le port du voile ne la prive d’opportunités artistiques. © Bruno Levy pour J.A.

L’humoriste Samia Orosemane craignait que le port du voile ne la prive d’opportunités artistiques. © Bruno Levy pour J.A.

Publié le 23 février 2012 Lecture : 3 minutes.

Les théâtres parisiens regorgent de talents en gestation. Samia Orosemane le sait bien, elle qui a passé des années à les sillonner en quête d’artistes pour les spectacles Oriental Comic et Samia et les 40 comiques, plateaux d’humour « sans injure ni vulgarité » imaginés il y a cinq ans. Elle est fière d’avoir été parmi les premières supportrices de Kyan Khojandi, antihéros de la série Bref, quand elle cherchait à débusquer des troubadours modernes… Depuis quelques mois, c’est enfin sur son propre one-woman-show que se lève le rideau. Dans Femme de couleurs, l’humoriste aux flèches acides, mais au coeur pétri de (trop) bonnes intentions raconte le quotidien, joue de sa liberté de ton et s’engage. Pas donneuse de leçons pour un sou, elle alterne piques autocritiques et tournée générale de taquineries. Ses formes rebondies ? Les Sénégalaises aux cheveux interchangeables ? Les Marocaines « marabouteuses » ? Et son père alors ? « Il n’y a plus rien à en tirer », blague-t-elle avant d’entamer une hagiographie du paternel, épicier tunisien méritant et fournisseur officiel de répliques cultes.

À 31 ans, celle qui rêve de la scène depuis le collège n’a pas changé. Lors de son premier cours de théâtre, à l’âge de 12 ans, elle improvise le rôle d’une jeune fille endeuillée et parvient à faire jaillir les larmes. « C’était tellement fort et beau que je me suis dit que c’était ce que je voulais faire. Et rien d’autre. » Au lycée, à la fac, elle se perfectionne, passe mercredis après-midi et samedis à répéter. « Mes parents disaient : "Le spectacle ne sert à rien, on ne gagne pas sa vie en jouant, va faire des études !" » Au lieu de suivre les cours de sociologie et de sciences politiques, auxquels elle s’était inscrite pour toucher une bourse, elle intègre à 20 ans le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, à Paris. « Un monde à part où l’on considère d’emblée que tu as les moyens financiers de ton ambition. On était trois Maghrébins, le prof faisait sans cesse allusion à mes origines, j’étais abonnée aux rôles de servante. Ça m’allait bien, cela dit, ce sont toujours les plus exubérants et les plus attachants. » Quant aux stéréotypes sur le « 9-3 » de ses camarades, ils l’amusent, elle qui loue le métissage culturel. « Dans le 19e, où je suis née, puis à Clichy-sous-Bois, où j’ai grandi, j’ai rencontré les accents et les couleurs que je raconte aujourd’hui », dit-elle, radieuse dans sa tunique rouge et son foulard aux imprimés assortis. Après deux ans de conservatoire, elle est recalée. Pas assez assidue – elle travaille à l’usine en parallèle -, et le talent ne fait pas tout. Elle épouse « un Antillais converti » rencontré dans un atelier théâtral, et renonce à la scène, supposant que le voile qu’elle décide de porter la privera d’opportunités artistiques. Elle choisit l’option « câlins, bisous, doudou » et devient nounou.

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Mais sous son turban, le théâtre continue de la démanger. Alors, après s’être cherchée quelques années durant, elle part à la recherche de nouveaux talents et monte des spectacles collectifs, tous publics, qui se jouent à guichet fermé aux théâtres de La Reine blanche, de la Main d’or et du Gymnase. De succès en déconvenues, elle donne plus qu’il ne faudrait. Son frère Mounir lui reproche une sociabilité exacerbée et voudrait « qu’elle se consacre à elle-même et moins naïvement aux autres ».

Défi relevé. Depuis qu’elle joue seule, la petite soeur montre enfin les dents… avec le sourire et tout en défendant les valeurs de l’islam. Elle assume le port du turban et du col roulé « pour cacher ce qu’il faut, sans faire peur ». Ce compromis lui permet d’être en phase avec sa foi sans froisser ceux qui se ferment lorsqu’elle est trop « couverte ». Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est l’échange.

En véritable professionnelle, elle multiplie les projets, des web-séries aux rendez-vous hebdomadaires sur Oumma TV. Son second spectacle en tête, elle veut prolonger l’actuel tant qu’il lui fera du bien. « Au fond, je suis une grande dépressive, dit-elle. Exprimer mes souffrances avec humour me soulage face à ceux qui ne comprennent pas qui je suis. » Parfois, elle prend le large en Tunisie. « À Djerba, les villages sont patriarcaux. C’est formidable : dans les moments de joie et de peine, tous tes voisins sont des cousins, frères, tantes, des gens sur qui compter. » Et comme elle ne peut pas garder son sérieux : « C’est aussi insupportable : le commérage, sport national, va encore plus vite avec cette organisation. Si les Tunisiens avaient breveté le téléphone arabe, on serait déjà millionnaires ! »

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