« Emmanuel Macron en Afrique : le décalage entre les actes et les mots est grand »

La dernière tournée de quatre jours du président Macron sur le continent n’a servi à rien, selon le député français Aurélien Taché. Pour être efficiente, la stratégie africaine de Paris doit devenir un vrai sujet de politique intérieure.

Au One Forest Summit, le 2 mars 2023 à Libreville : de gauche à droite, les présidents centrafricain Faustin-Archange Touadera, congolais Denis Sassou Nguesso, équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, français Emmanuel Macron et gabonais Ali Bongo Ondimba. © Ludovic Marin / AFP

Aurélien Taché © Assemblée nationale 2022 / AFP

Publié le 17 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

Le 27 février dernier, plus de cinq ans après le discours qu’il avait prononcé à Ouagadougou et qui était censé ouvrir une nouvelle page de l’histoire entre l’Afrique et la France, le président de la République, Emmanuel Macron, a prononcé un nouveau discours depuis l’Élysée, avant de partir pour une tournée de quatre jours en Afrique centrale. On mesure, à l’issue de son voyage, combien le décalage entre les actes et les mots est grand.

Discours néocolonialiste

Au Gabon, sous prétexte d’un sommet sur la forêt, boycotté par la société civile et les ONG, le président n’a en réalité fait que renforcer Ali Bongo, cœur battant de la « Françafrique », à la veille d’une élection présidentielle. Au Congo-Brazzaville, il s’est ensuite affiché tout sourire avec Denis Sassou Nguesso, président militaire qui totalise près de quarante ans au pouvoir. Il passera enfin quelques heures en Angola, puis achèvera son voyage en République démocratique du Congo.

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À Kinshasa, non-content d’être incapable de dénoncer clairement le financement, par le Rwanda, de la milice M23 qui ravage le Nord-Kivu, Emmanuel Macron a cru bon d’insulter Félix Tshisekedi, pourtant premier président issu d’une alternance pacifique dans son pays. Puis il s’est embourbé dans un discours néocolonialiste qui a profondément choqué son interlocuteur, ainsi qu’une large partie du plus grand pays francophone au monde.

Cette tournée s’inscrit de plus dans un contexte où nous avons échoué à rétablir la paix au Sahel, après notre désastreuse intervention en Libye, et où de grands pays comme le Mali et le Burkina Faso nous demandent de fermer nos casernes militaires – lesquelles seront en réalité seulement ripolinées pour l’occasion.

La francophonie doit désormais devenir pleinement africaine

Alors comment s’étonner ensuite que l’influence russe s’étende depuis des années sur le continent africain, où le sentiment anti-français ne fait, lui, que grandir ? Que beaucoup de ces États refusent de s’engager à nos côtés dans le soutien à l’Ukraine ? Les Africains voient parfaitement la différence de traitement que nous faisons dans l’accueil des réfugiés venus d’Europe de l’Est, face à ceux venus d’Afrique ou du Moyen-Orient, ou encore, ainsi que nous l’a récemment rappelé Omar Sy, notre indifférence face aux conflits qui ravagent l’Afrique. La guerre oubliée du Tigré, qui s’achève à peine, a fait 600 000 morts en Éthiopie, mais Emmanuel Macron recevait pourtant Abiy Ahmed, responsable de ces massacres, à dîner à l’Élysée en février. C’est parfaitement intolérable.

« Le présent, c’est la Chine »

Lors d’une interview donnée sur une grande chaîne française la semaine dernière, le président de la République du Bénin, Patrice Talon, a clairement nommé les choses : « Pour l’Afrique, le présent, c’est la Chine. » Cruelle mais juste manière de rappeler qu’au rythme où l’on va, la France risque bientôt, sur le continent, de se conjuguer seulement au passé.

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Ce serait pourtant extrêmement dommageable. S’il faut bien sûr tourner une bonne fois la page du colonialisme, nous pouvons, au-delà de l’histoire, avoir un avenir en commun. C’est particulièrement vrai en Afrique francophone, où nous partageons une langue et, à travers elle, des valeurs et une communauté de pensée. La francophonie doit d’ailleurs désormais devenir pleinement africaine et être repensée comme une espace politique véritablement partagé. Mais pour qu’elle reprenne toute sa force, il faut en finir avec certaines pratiques, balayer pour de bon certaines idées et se montrer intraitable dans la défense de certains principes, qui ne peuvent être supplantés par des intérêts.

Qu’Emmanuel Macron soit fier du travail de mémoire réalisé avec le Rwanda l’honore. Mais cela ne doit pas le conduire à freiner l’action entreprise par la communauté internationale pour que ce pays coupe ses liens avec le M23. Il en va de même pour le travail de mémoire entrepris avec l’Algérie, ô combien nécessaire. Mais qui ne peut conduire au statu quo dans le Sahara occidental, où la solution d’autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine proposée par le royaume chérifien est la seule viable, et doit être soutenue par la France. En Afrique de l’Ouest, enfin, les casernes militaires françaises doivent être fermées.

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Complice de coups de force

Il faudra aussi, le moment venu, que la France s’exprime sur son souhait de respect du peuple sénégalais, dont la Constitution doit maintenant conduire à une alternance ; qu’elle ne soit pas muette ou, pis encore, complice de coups de force démocratiques, comme cela a été le cas en Côte d’Ivoire ou, plus récemment, au Tchad. Elle ne peut enfin se taire sur les dizaines de milliers d’expropriations liées au projet Eacop en Ouganda : elle doit demander à TotalEnergies d’y mettre fin et de restituer ces terres.

Enfin, et peut-être surtout, la politique africaine de la France doit devenir un vrai sujet de politique intérieure. Les discours stigmatisants sur les enfants de l’immigration post-coloniale doivent cesser, tout comme le gel des visas, qui est une insulte envers tant d’Africains amoureux de la France. De nouvelles coopérations, qui partent de la jeunesse, des territoires et diasporas de nos pays, doivent se construire, mais à égalité et dans le respect de la parole donnée. C’est alors seulement que nous pourrons peut-être enfin marcher côte à côte, vers notre destinée.

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