États-Unis : Mitt Romney, capitaliste pur et dur
Très riche, discret, austère et… terriblement ennuyeux, le candidat républicain Mitt Romney sera, selon toute vraisemblance, l’adversaire de Barack Obama lors de la présidentielle américaine de novembre.
Est-il seulement humain ? Avec sa coiffure impeccable, il ressemble au cow-boy de Marlboro. En plus coincé. Grand favori pour défendre les couleurs du Parti républicain lors de la présidentielle du mois de novembre, Mitt Romney évoque irrésistiblement une publicité sur papier glacé. Et son physique n’est pas seul en cause. Car ce fervent mormon de 64 ans, businessman richissime, connu pour sa rigueur et son efficacité – sa campagne des primaires est impeccablement huilée -, semble, à en juger par certaines de ses déclarations, totalement inapte à la pitié et à la compassion. Un exemple ?
Dans une Amérique qui compte 13 millions de chômeurs, il a un jour déclaré ne rien aimer tant que de « licencier les gens qui lui rendent service ». Auparavant, lors d’un débat télévisé, il avait nonchalamment proposé à Rick Perry, le gouverneur du Texas alors en lice pour l’investiture, un pari à… 10 000 dollars.
Romney vient de récidiver en affirmant abruptement qu’il « ne se souciait pas des plus pauvres ». Devant le tollé qui s’est ensuivi, il a été contraint de préciser que, bien sûr, son propos avait été sorti de son contexte. C’était d’ailleurs un peu vrai : il avait ajouté que, s’il était élu président, il concentrerait son action sur les 95 % d’Américains qui luttent pour s’en sortir. Avait-il oublié – mais l’a-t-il jamais su ? – que le taux de pauvreté aux États-Unis est de 15,1 % ?
Il faut dire que Romney est un Américain atypique. Diplômé de Harvard, il vient d’une de ces grandes familles d’industriels – son père fut président d’American Motors et gouverneur du Michigan – pour lesquelles le pouvoir n’est que le prolongement naturel de la réussite professionnelle. Autrement dit, de l’argent. C’est l’anti-self-made-man par excellence.
Ann et Mitt Romney dans le New Hampshire, le 13 janvier.
(Copyright ©Shannon Stapleton/Reuters)
À la tête de Bain Capital, un fonds d’investissement spécialisé dans le rachat des entreprises en difficulté, il a transformé tout ce qu’il a touché – ou détruit, c’est selon – en or. S’il est parvenu à redresser certaines entreprises comme Staples, une chaîne de fournitures de bureau, il en a démantelé beaucoup d’autres, comme Domino’s Pizza, multipliant du même coup les licenciements.
Réputation de "vautour"
Même s’il prétend avoir sauvé 100 000 emplois – chiffre invérifiable -, la seule boussole de Romney au cours de ses années chez Bain Capital a été la recherche du profit maximal. Ce qui, au passage, lui a permis d’empocher quelque 200 millions de dollars et lui vaut aujourd’hui une solide réputation de « vautour », comme dit Newt Gingrich, son rival le plus sérieux chez les républicains.
Il est l’adepte d’un capitalisme pur, dur et sans états d’âme. N’a-t-il pas déclaré qu’il fallait laisser l’industrie automobile américaine – sauvée par Obama en 2010 – faire faillite, malgré les conséquences sociales catastrophiques d’une telle banqueroute – notamment dans son Michigan natal ? N’a-t-il pas prétendu qu’il fallait laisser le marché immobilier « toucher le fond » et espérer un hypothétique rebond, alors que le pays a le plus grand mal à se relever de la crise des subprimes ? Il est sans doute plus facile d’être favorable au darwinisme économique quand on est, comme Romney, dans le camp des vainqueurs.
Cherchez la femme
Qui a dit que derrière tout (grand) homme se cache une femme ? En tout cas, c’est le cas de Mitt Romney : Ann, son épouse, est sa plus fidèle alliée. C’est elle qui, après son cuisant échec de 2008, l’a convaincu de tenter de nouveau sa chance aux primaires républicaines. Protestante convertie au mormonisme, elle tente depuis peu d’« humaniser » son mari, avec lequel, jure-t-elle, elle ne s’est jamais disputée en quarante-deux années de mariage. Avec leurs cinq fils et leurs seize petits-enfants, ils offrent toutes les apparences d’une famille unie. Atteinte de sclérose en plaques, Ann peut compter sur le soutien indéfectible de Mitt, qui, en guise de thérapie, lui a offert plusieurs pur-sang. Et Ann de raconter leurs longues promenades équestres dans leur propriété du New Hampshire, avec Mitt chantant à tue-tête… « Il n’a pas laissé tomber sa femme, il ne laissera pas tomber le pays », conjecture une sympathisante républicaine. Si elle le dit… J.-É.B.
S’il est élu en novembre, Romney ne fera assurément pas de quartier : démantèlement de la protection sociale, privatisation partielle de Medicare (l’assurance santé pour les plus de 65 ans), octroi à tout-va de permis de forage pétrolier… Pour y parvenir, il fait valoir ses qualités de manageur, censées lui permettre de redresser l’économie américaine et de créer des emplois. Il peut également s’appuyer sur son bon bilan en tant que décideur public.
En 2002, il a en effet sauvé de la faillite les Jeux olympiques de Salt Lake City. Élu peu après gouverneur du Massachusetts, il a fait adopter une loi très progressiste instituant un accès universel aux soins médicaux, dont l’administration Obama s’est inspirée pour concevoir son Affordable Care Act.
Riche parmis les riches
Propriétaire entre autres de propriétés en Californie et dans le New Hampshire (valeurs respectives : 12 millions et 4 millions de dollars), il fait partie des 0,1 % des Américains les plus riches. On le dit économe jusqu’à la pingrerie, ceci expliquant peut-être cela. Il est par exemple connu pour accumuler des points afin de gagner des vols gratuits sur JetBlue, une compagnie low cost. Comme le dit Tagg, l’un de ses fils, « rien n’agace plus mon père que de jeter l’argent par les fenêtres ». C’est donc en montre Seiko et en jean Gap que Romney sillonne les États-Unis pour les besoins de sa campagne, tweetant à tour de bras, se nourrissant de Burger King et ne dédaignant pas, à l’occasion, se faire offrir un petit-déjeuner dans quelque motel.
Mitt Romney dépense en revanche sans compter pour Ann, son épouse (lire ci-dessous), et pour l’église mormone, à laquelle, depuis 1999, il a fait don d’un joli pactole : 4,7 millions de dollars. Peu doué pour la séduction, cet homme austère qui ne boit ni alcool ni café et cultive la discrétion a le plus grand mal à susciter l’empathie – fâcheux pour un homme politique. Les deux livres qu’il a écrits sont d’impressionnants catalogues de poncifs. On se permettra de déconseiller fermement la lecture du dernier : No Apology (« pas d’excuses »). Pour les pauvres, sans doute ?
Romney souffre d’un autre handicap : sa foi mormone, pratiquée par seulement 2 % des Américains. Beaucoup ne sont pas loin de considérer cette église comme une secte. Selon un récent sondage, près de 20 % des électeurs indépendants jurent qu’ils ne voteraient en aucun cas pour un candidat issu de cette obédience.
On comprend donc la discrétion du candidat républicain sur le sujet, sauf lorsqu’il s’agit de fustiger le modèle social européen. Il fut jadis missionnaire de sa foi en Europe et séjourna deux ans et demi durant à Limoges, dans le centre de la France, où il réussit, s’il faut en croire une récente biographie, à convertir une poignée d’autochtones. C’est à cette époque qu’il aurait pris conscience de la malfaisance de la social-démocratie à l’européenne. Celle-là même que ce dangereux gauchiste de Barack Obama rêve d’introduire en Amérique…
Favorable à l’expulsion des clandestins
En revanche, sur nombre de sujets de société, Romney se montre étrangement fluctuant. Pour flatter la base ultraconservatrice du Parti républicain, il n’hésite pas à durcir artificiellement ses positions. Voire à les jeter par-dessus bord. L’avortement ? Il y était favorable, il y est désormais très opposé. La limitation des gaz à effet de serre ? L’assurance maladie obligatoire ? Même chose. Sur le dossier de l’immigration, il passa longtemps pour un modéré. Désormais, il réclame à cor et à cri l’expulsion des 11 millions de clandestins que compte le pays. Sauf en Floride, bien sûr, où l’électorat latino est majoritaire. Bref, une vraie girouette.
S’il arrive à se sortir du piège des primaires, les chances de Romney de battre Obama en novembre paraissent a priori plutôt minces – mais sait-on jamais. Les deux hommes sont des animaux politiques à sang froid, mais le président sortant est bien meilleur orateur. Le républicain peut toujours se rassurer en se disant que le scrutin risque de tourner au référendum sur le bilan de son adversaire démocrate. À charge pour lui, le futur « PDG de l’Amérique », comme dit l’hebdomadaire The Economist, de présenter aux électeurs une alternative crédible.
Problème : le taux de chômage ne cesse de baisser et a atteint au mois de janvier son plus bas niveau depuis trois ans : 8, 3 %. Au cours des douze derniers mois, près de 2 millions d’emplois ont été créés. Ce qui prive le sauveur autoproclamé de l’économie américaine de son plus sérieux argument. D’autant que, d’ici au mois de novembre, le « superhéros le plus ennuyeux du monde », comme l’a surnommé un commentateur, a largement le temps de multiplier les bourdes.
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