Israël – Iran : coup de bluff ou veillée d’armes ?

Israël s’apprêterait à lancer des frappes aériennes contre les installations nucléaires de la République islamique d’Iran. Laquelle promet des represailles douloureuses.

Ahmadinejad visite le site de Natanz en Iran. © AFP

Ahmadinejad visite le site de Natanz en Iran. © AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 23 février 2012 Lecture : 4 minutes.

La controverse sur le programme nucléaire iranien affole l’arène médiatique internationale. Le 2 février, David Ignatius, dans un éditorial du Washington Post, a suscité une onde de choc en citant le ministre américain de la Défense, Leon Panetta, selon qui « les Israéliens attaqueraient très vraisemblablement l’Iran en avril, mai ou juin ». Quelques jours auparavant, le 25 janvier, l’Israélien Ronen Bergman, spécialiste de la question nucléaire iranienne, s’interrogeait dans le New York Times : « Israël va-t-il attaquer l’Iran ? » « On nous l’a déjà faite », a ironisé Robert Fisk dans The Independent le même jour, avant de rappeler que « le Premier ministre actuel, Benyamin Netanyahou, avait déclaré en 1992 que l’Iran aurait la bombe en 1999 ».

Des bombes antibunkers de 13,6 tonnes pour détruire les complexes souterrains.

Cette surenchère verbale n’est pas sans rappeler les gesticulations anglo-américaines sur les armes de destruction massive de l’Irak, prélude à l’invasion du pays, en 2003. Certes, l’administration Obama privilégie la voie diplomatique, mais les États-Unis n’ont cessé de répéter que « toutes les options restent sur la table ». Se voulant rassurant, le président américain a indiqué, le 5 février, sur NBC : « Je ne pense pas que les Israéliens aient pris de décision sur ce qu’ils doivent faire. […] Nous allons faire tout ce qui est possible pour empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. » La République islamique, signataire du traité de non-­prolifération (TNP), contrairement à Israël, continue de réaffirmer le caractère civil et médical de son programme, débuté sous le Chah avec la bénédiction de ses alliés occidentaux. Interrompu après la révolution de 1979 par Khomeiny, il a été relancé pendant la guerre Iran-Irak, car l’Iran ne dispose pas de capacités de raffinage suffisantes pour couvrir ses besoins énergétiques. Comme bien d’autres, il a fait le choix du nucléaire et veut acquérir l’autonomie dans ce domaine. « Après 1979, rappelle Ardavan Amir-Aslani, avocat en droit international et spécialiste de l’Iran, la France a refusé de traiter l’uranium iranien, contrairement à ses engagements dans le consortium Eurodif, et les Russes ont mis des années à terminer la centrale de Bushehr. Les Iraniens ne veulent plus dépendre de la technologie étrangère. »

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Ambiguïté

Le 8 novembre dernier, un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) révélait toutefois que l’Iran « a mené des activités visant à développer un dispositif explosif nucléaire », confortant les soupçons israéliens. Des doutes renforcés par l’attitude ambiguë de Téhéran : bunkérisation de ses installations nucléaires, fabrication de missiles à longue portée, discours antisioniste… L’annonce, le 2 février, par le président Mahmoud Ahmadinejad d’une forte augmentation du budget défense (+ 127 %) et la mise en orbite, le 3 février, d’un satellite ont été perçues comme de nouvelles provocations.

Mais quand bien même l’Iran aurait des intentions secrètes, des experts des relations internationales s’interrogent : comment lui interdire ce que l’on a permis à Israël, dont l’arsenal de 200 à 300 ogives n’est plus un mystère ? Comme le souligne le politologue français Bertrand Badie, « cette région est le cratère du monde, et Israël, la seule puissance moyen-orientale dotée du feu nucléaire. Une connaissance minimum de la stratégie de la dissuasion suffit pour comprendre que l’Iran songe à l’acquérir ». En outre, le pays est cerné par des puissances nucléarisées : Israël à l’ouest, la Russie au nord, le Pakistan à l’est et les sous-marins américains au sud. Pour l’Iran, l’arme atomique serait surtout défensive, car il sait qu’une attaque nucléaire sur l’État hébreu entraînerait sa destruction immédiate. Mais le gouvernement israélien ne l’entend pas de cette oreille. Il mène une véritable guerre secrète contre Téhéran : virus informatique Stuxnet, destruction d’une base où, selon Tel-Aviv, un missile capable d’atteindre les États-Unis était en cours de fabrication, assassinats ciblés de scientifiques.

Une surenchère verbale qui n’est pas sans rappeler les gesticulations sur l’Irak.

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Mais les opérations de sabotage ne suffisent plus. Le 2 février, Aviv Kochavi, chef du renseignement militaire israélien, affirme que l’Iran a désormais la capacité de produire quatre bombes. Pour les faucons de l’État hébreu, la fenêtre de tir se réduisant au fil du temps, l’attaque doit être lancée avant l’été, mais elle sera d’une tout autre ampleur que les raids effectués en Irak et en Syrie ; des dizaines de sorties seraient nécessaires pour détruire les huit sites principaux, mais il est possible que les Massive Ordnance Penetrator, bombes antibunkers américaines de 13,6 tonnes, ne parviennent pas à atteindre les complexes souterrains. En outre, cette opération ne ferait, au mieux, que retarder de quelques années le programme iranien.

Réunion décisive

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En retour, le Guide suprême, Ali Khamenei, multiplie les menaces : fermeture du détroit d’Ormuz par lequel transite le tiers du pétrole mondial, attaque de navires et de bases américaines, bombardement d’Israël, direct ou par ses alliés du Hezbollah et du Hamas interposés. De source israélienne, les représailles contre l’État hébreu pourraient faire entre 5 000 et 10 000 morts. Mais à Tel-Aviv, l’option militaire ne fait pas l’unanimité. Beaucoup multiplient les mises en garde.

Pour le journaliste et historien Dominique Vidal, « le gouvernement israélien, le plus extrémiste que l’on ait connu, tente de faire alourdir les sanctions contre l’Iran et de faire diversion alors que sa position diplomatique régionale est fragilisée et qu’il est ébranlé à l’intérieur par le mouvement des indignés ». Mais dans cette partie de poker menteur, il est encore impossible de savoir qui bluffe et qui dit vrai. Washington cherche pour l’instant à retenir son allié et à le convaincre que les sanctions économiques, qui doivent être mises en oeuvre en juillet, ne tarderont pas à faire plier le régime. Le 5 mars, la réunion du conseil des gouverneurs de l’AIEA, qui examinera le rapport de la mission prévue les 21 et 22 février, sera sans doute déterminante. Pour Dominique Vidal, « la fin de cette escalade de la terreur passe par la dénucléarisation totale du Proche-Orient ». Israël donnera-t-il un jour l’exemple ?

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