Maroc : les prisonniers, à la grâce du roi

Le roi marocain Mohammed VI a ordonné, le 4 février, la libération de détenus, dont trois cheikhs de la Salafiya Jihadiya. Une pratique ancestrale qui illustre la toute-puissance du monarque.

Le boxeur Zakaria Moumni a été l’un des 458 bénéficiaires du pardon royal. © Taline Moumni/AFP

Le boxeur Zakaria Moumni a été l’un des 458 bénéficiaires du pardon royal. © Taline Moumni/AFP

Publié le 22 février 2012 Lecture : 3 minutes.

« À l’occasion de [ajouter une fête religieuse ou nationale], Sa Majesté le roi Mohammed VI, que Dieu perpétue sa gloire, a bien voulu accorder sa grâce à [ajouter un nombre] personnes. » Laconiques, mais toujours très attendus, ces communiqués du ministère de la Justice marocain se ressemblent et jalonnent le calendrier politique à Rabat. Le rituel s’est répété le 4 février, à la veille de l’Aïd al-Mawlid an-Nabawi, la fête commémorant la naissance du Prophète. Parmi les 458 bénéficiaires du pardon royal, emportant réduction ou annulation de peines de prison et/ou d’amendes, quelques têtes d’affiche : les cheikhs salafistes Hassan Kettani, Abdelwahab Rifki (dit Abou Hafs) et Omar Haddouchi, condamnés à de lourdes peines de prison dans la foulée des attentats du 16 mai 2003, le banquier Khalid Oudghiri, ex-patron d’Attijariwafa, ou encore le boxeur franco-marocain Zakaria Moumni. D’une signature, Mohammed VI a mis fin à leur épreuve derrière les barreaux, ou en exil. Une prérogative royale, incontestée au Maroc, et qui prolonge dans le droit positif une tradition ancestrale.

Les historiens du droit font remonter la pratique de la grâce à l’époque de la justice déléguée, avec comme images d’Épinal saint Louis sous son chêne et le roi Salomon. Au Maroc, cette figure du passé s’accommode aujourd’hui de la modernité légale-rationnelle. L’article 58 de la Constitution précise en effet que le roi « exerce le droit de grâce ». Le ministère de la Justice ne fait qu’instruire les dossiers, confiés à une commission des grâces présidée par le ministre, en vertu du dahir du 6 février 1958 relatif aux grâces. Ce texte n’a pas été modifié depuis 1977. Son article premier est explicite : « La grâce, soumise à la décision de Notre Majesté, peut être accordée soit avant la mise en mouvement ou au cours de l’exercice de l’action publique, soit après une condamnation devenue irrévocable. » En clair, le roi peut intervenir à tout moment, et même avant une décision de justice. Dans ce dernier cas, la grâce a pour effet d’éteindre l’action publique.

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Au compte-gouttes

Pratique quand il faut faire cesser une injustice, le pardon n’efface pas la condamnation et ne réhabilite pas le condamné. « C’est l’expression d’un pouvoir absolu », explique le sociologue Mohammed Ennaji, auteur d’un livre de référence sur les moeurs sultaniques, Le Sujet et le Mamelouk (éd. Mille et Une Nuits, coll. « Essai », 2007). Pour ce chercheur, la grâce s’insère dans un rapport de domination dans lequel la liberté accordée et acceptée maintient une relation de dépendance ancestrale. En déliant un prisonnier, le souverain s’assurait la reconnaissance de celui-ci et raffermissait sa propre autorité. Le pouvoir s’exerce de la manière la plus brute comme un contrôle exercé sur les corps de ses sujets. « C’est flagrant dans le cas des grâces politiques. Le seul moyen de se soustraire à cette relation serait de refuser le pardon du prince », précise Ennaji. Sous Hassan II, seule une poignée de gauchistes (les chefs du mouvement Ilal Amam, Abraham Serfaty et Abdellah El Harif notamment) ont refusé de demander le pardon, mais l’usure et la maladie ont eu raison de la majorité. Aujourd’hui encore, les détenus salafistes ont aussi dû montrer patte blanche à travers des révisions idéologiques.

La grâce n’est d’ailleurs accordée qu’au compte-gouttes, officiellement après examen des antécédents, du comportement et de la capacité de réinsertion des condamnés. Un travail fastidieux pour le ministère de la Justice. « La qualité des rapports établis par les procureurs généraux près des cours d’appel laisse souvent à désirer », explique une source judiciaire. La décision revient toujours au cabinet royal. Ainsi, le ministre de la Justice, El Mostafa Ramid, du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), n’a pu obtenir la libération du journaliste Rachid Niny, condamné à un an de prison et détenu depuis le 28 avril 2011. L’argument du roi, selon lequel Niny se serait rendu coupable d’offenses aux institutions et non à sa propre personne – auquel cas il l’aurait, assure-t-il, gracié -, « nous a convaincus », a confié Ramid.

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