Au Cameroun, le festival Diaspora Kitchen revisite le patrimoine culinaire

Pendant deux jours, une vingtaine de chefs camerounais et africains-américains se sont retrouvés dans le petit village côtier de Mouanko pour un vibrant moment d’échanges autour de la culture, avec un fort accent porté sur les traditions gastronomiques du pays.

Lancement du festival Diaspora Kitchen les 9 et 10 mars à Mouanko, au Cameroun. © Diaspora Kitchen.

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 25 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

Cooking show, colloque, présentation de produits du terroir, séance de dégustation… Pour sa première édition, le festival de cuisine Diaspora Kitchen, qui rassemblait une vingtaine de chefs, a accueilli quelques centaines de visiteurs et permis la mise en valeur du patrimoine culturel et culinaire camerounais. Un programme riche en couleurs et en saveurs avec des « masterclass « assurées par des chefs africains et de la diaspora africaine-américaine. Parmi eux, les Camerounais Christian Abégan et Émile Engoulou, ou encore les Américains Michael W. Twitty et Mashama Bailey.

L’espace du festival a été installé sur les berges du fleuve Sanaga, au centre de Mouanko, dans la région du Littoral. Un lieu pittoresque mais surtout historique, qui renvoie à la rencontre des peuples. « C’est dans ce village que les premiers missionnaires catholiques allemands ont débarqué à leur arrivée au Cameroun il y a deux siècles, affirme le maire de Mouanko, Pierre Honoré Ebwea. C’est un havre de paix et d’hospitalité. » Sur quelque 1 000 m2, s’étend un site amovible comprenant une grande salle de conférence, un atelier de cuisine, une exposition, un réfectoire et une salle de presse.

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Une gastronomie diversifiée… mais complexée

Fil conducteur du Diaspora Kitchen, la célébration de la culture à travers son volet culinaire traditionnel était au cœur des activités. Dans quatre cases disposées sur le site de l’exposition étaient exposés des produits représentants les différentes aires culturelles camerounaises. À l’exemple des feuilles de foléré (ou bissap) ramenées du Nord, lesquelles servent à faire des boissons et des sauces, des thés de la région du Centre, des huitres séchées du Littoral ou encore des gâteaux fait à base de pâte d’arachide de l’Ouest.

« Le Cameroun est un pays béni pour ses produits alimentaires. C’est un pays où l’on retrouve la mer à l’ouest, le désert au nord, la forêt au centre », souligne Christian Abégan, qui a fait de la préservation des recettes de cuisine traditionnelles son cheval de bataille. Et d’ajouter : « La cuisine camerounaise est si diversifiée que la plupart de nos recettes et de nos plats se retrouvent sur tout le continent. » C’est le cas, entre autres, des bâtons de manioc, encore appelés chikwangue au Congo ; de l’okro soup, présente dans les pays d’Afrique de l’Ouest anglophone ; ou encore du poisson braisé…

L'initiative a été lancée par l'association Générations partenaires de progrès, fondée par l'ex-ministre des Arts et de la Culture, Ama Tutu Muna. © Diaspora Kitchen.

L'initiative a été lancée par l'association Générations partenaires de progrès, fondée par l'ex-ministre des Arts et de la Culture, Ama Tutu Muna. © Diaspora Kitchen.

Mais ce patrimoine est aujourd’hui menacé, comme l’ont constaté les chercheurs et professionnels ayant pris part au colloque organisé au cours de ce festival. Selon ceux-ci, de nombreux Africains sont aujourd’hui « complexés » vis-à-vis de leur héritage culinaire. « Chaque jour, on voit dans nos villes les habitudes alimentaires des gens changer, a commenté Mbonji Edjenguèlè, anthropologue et professeur des universités. On dirait que les Africains ont honte de leurs repas traditionnels, qu’ils rejettent au profit des steaks de Crimée, des viandes et volailles importées d’Europe ou d’Amérique latine, du camembert de France, etc. »

Un héritage à transmettre

Pour nombre des professionnels présents, la clé de la sauvegarde de ce savoir réside dans la transmission. Pour ce faire, l’idée d’une encyclopédie des mets emblématiques ou patrimoniaux d’Afrique et du Cameroun, du tieboudiène sénégalais au dambou (couscous aux épinards) nigérien, en passant par l’attiéké ivoirien ou l’eru camerounais, a été fortement saluée, notamment par les jeunes apprenants des instituts hôteliers (Groupe Cefor, Institut professionnel d’hôtellerie (IPH)), venus s’abreuver de l’expertise des différents acteurs présents.

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La question des repas traditionnels dits « améliorés » a également suscité l’intérêt de plusieurs d’entre eux. Si des professionnels tels que Christian Abégan se sont faits les porte-voix de ceux qui « revisitent les plats traditionnels », parfois à travers des mélanges audacieux comme ce couscous de maïs aromatisé, la question de savoir si des mets peuvent rester traditionnels et emblématique s’ils sont améliorés et déracinés de leur contexte originel a fait l’objet de houleux échanges.

Recettes revisitées et école internationale

Face à cette situation, nombre de participants sont apparus convaincus de la nécessité de travailler à la standardisation des plats patrimoniaux, laquelle servira de base pour d’éventuelles améliorations. La conversation s’est poursuivie durant les dégustations des plats préparés à l’atelier de cuisine du festival. Du ndolé sans bouillon alimentaire ajouté au koki (ou gâteau de Cornille) à base de farine, les palais des visiteurs ont été sublimés par les recettes revisitées qui leur ont été donnés de découvrir.

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« Il s’agissait de puiser dans la sagesse générationnelle et travailler ensemble pour préserver le patrimoine culinaire du Cameroun afin qu’il puisse être apprécié par les générations à venir », a commenté l’ancienne ministre des Arts et de la Culture Ama Tutu Muna, aujourd’hui présidente de Générations partenaires de progrès, une organisation basée à Yaoundé et initiatrice de l’événement.

Le principe de la création d’une école internationale de cuisine dans la même ville a également été adopté séance tenante. Baptisé Institut de formation professionnel des métiers de l’art culinaire Diaspora Kitchen, le centre disposera de trois offres de formation : chef de cuisine africaine, art culinaire et art de table. Le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle (Minefop), Issa Tchiroma Bakary, a ainsi signé un arrêté portant octroi d’agrément à cet Institut, et une parcelle de 5 000 m2 de terrain a été offert par le ministre la justice Laurent Esso, édile locale, pour abriter ses locaux. Rendez-vous a été pris pour la prochaine édition qui devrait de nouveau se tenir à Mouanko.

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