Le Qatar investit au Maghreb
Profitant notamment de la nouvelle donne en Tunisie, l’émirat qatari, Cheikh Hamad Ibn Khalifa Al Thani, accélère son offensive dans la région du Maghreb.
Qatar : l’émirat insatiable
Si Cheikh Hamad Ibn Khalifa Al Thani, invité pour les célébrations du premier anniversaire de la révolution tunisienne, le 14 janvier, a été malmené par des manifestants dénonçant sa proximité avec les islamistes d’Ennahdha, il a aussi été la personnalité la plus choyée par les autorités. Et pour cause : douze épais documents ont été signés à cette occasion. Le Qatar s’est engagé à acquérir pour 380 millions d’euros de bons du Trésor et à financer une série de projets dans l’énergie, l’environnement, l’eau, l’immobilier, l’humanitaire et le social. Proposant sa contribution à une Caisse de soutien aux familles des martyrs et des blessés de la révolution, l’émir a assuré : « Vos martyrs et vos blessés sont aussi les nôtres. »
« Grâce à leur proximité avec Ennahdha et à leur chéquier, les Qataris avancent leurs pions en Tunisie. Ils vont vite et sont à présent des concurrents », explique un bailleur européen. Il faut dire que le Qatar avait déjà posé quelques jalons, début 2011, en acquérant 75 % du capital de l’opérateur téléphonique Tunisiana – les 25 % restants, qui étaient entre les mains du gendre de Ben Ali, ayant été récupérés par l’État.
En Algérie, les relations sont plus compliquées. Les deux pays sont en concurrence directe dans le secteur du gaz, notamment sur le marché européen. Surtout, l’activisme du Qatar en faveur des contestations arabes a profondément irrité Alger, où l’immobilisme relève tout à la fois du mode de gestion et de l’assurance vie. Le 18 mai 2011, Cheikh Hamad n’est resté qu’une journée à Alger, pour un voyage d’État aussi bref que silencieux.
Galop d’essai
Les relations bilatérales ont repris un cours normal lors de la venue du président Abdelaziz Bouteflika au Forum des pays exportateurs de gaz, le 15 novembre, à Doha. Accolades, embrassades, discussions dans les suites des plus beaux hôtels de la capitale… Quelques jours plus tard, le ministre qatari de l’Énergie se rendait en Algérie pour signer un mémorandum de coopération qualifié d’« important ». À la clé, la création de sociétés d’investissements dans les mines, l’énergie, la pétrochimie, l’agriculture et les transports.
En 2007, l’acquisition par Qatar Telecom de 80 % de Wataniya Telecom Algérie, devenu Nedjma, était un galop d’essai. Depuis, l’étalon accélère. Et traverse les frontières, même s’il reste encore derrière les cracks des investissements directs étrangers au Maghreb (Chine, Émirats arabes unis, France…). Exemple en Mauritanie, où Qatar Steel est notamment partenaire du projet minier de Guelb el-Aouj depuis 2007.
Difficile de tourner le dos au richissime émirat
Sur le tarmac de l’aéroport de Rabat, le 24 novembre 2011, le roi Mohammed VI et l’émir ont échangé une longue poignée de main. Les deux pays entendent relancer leurs échanges commerciaux, qui ne dépassent pas les 50 millions d’euros par an. Au menu, la création d’une société d’investissement commune et la coopération dans le tourisme et les mines. Un page se tourne. En 1995, Hassan II avait blâmé le coup d’État de Cheikh Hamad contre son père. Sous le règne de Mohammed VI, le ton critique d’Al-Jazira a entraîné en 2010 la fermeture du bureau de la chaîne qatarie à Rabat, qui n’a toujours pas rouvert ; mais les journalistes ont de nouveau l’autorisation de travailler dans le royaume.
En période de crise, difficile de tourner le dos au richissime émirat. Doté de plus de 2 milliards d’euros et financé en partie par le fonds souverain qatari, Wessal Capital, un fonds d’investissement touristique créé en novembre, est une aubaine pour le Maroc. Doha prévoit aussi l’implantation de deux banques islamiques via Qatar International Islamic Bank, et Qatar National Bank envisage d’entrer au capital d’Attijariwafa Bank. Dans l’immobilier, l’émirat va financer la construction de deux parcs d’attractions à Casablanca et à Marrakech. C’est d’ailleurs dans la Ville ocre que l’émir et son épouse ont passé les fêtes de fin d’année. Tout un symbole, dans cette cité habituée à recevoir les amis du royaume.
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Laurent de Saint Périer et Leïla Slimani
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