Moulay Hafid Elalamy, le patron marocain qui ne voulait pas entrer en politique

Désormais ministre, Moulay Hafid Elalamy, le fondateur du groupe Saham, doit relever deux défis majeurs : relancer l’industrie et inciter les entreprises marocaines à s’implanter sur le continent.

Moulay Hafid Elalamy a été président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) de 2006 à 2009. © Bruno Lévy/Africa CEO Forum

Moulay Hafid Elalamy a été président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) de 2006 à 2009. © Bruno Lévy/Africa CEO Forum

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 2 décembre 2013 Lecture : 4 minutes.

La politique, Moulay Hafid Elalamy avait dit qu’on ne l’y prendrait pas. « Jamais ! Il faut des compétences pour ça, et je ne les ai pas », clamait-il en mai 2009 dans J.A. Et pourtant, quatre ans plus tard, le puissant patron du groupe Saham, présent dans les assurances, l’offshoring et la pharmacie, est devenu l’un des ministres du gouvernement Benkirane II, et pas des moindres. Son portefeuille comprend à la fois l’industrie, le commerce, l’investissement et l’économie numérique. Et il est flanqué de deux ministres délégués, l’un au commerce extérieur, Mohamed Abou, l’autre aux PME, Mamoun Bouhdoud.

Envergure

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Plus d’un mois après sa nomination, « MHE », 53 ans, disposant d’un patrimoine de 500 millions de dollars (370 millions d’euros), confirme avoir hésité : « C’est Salaheddine Mezouar [président du Rassemblement national des indépendants, actuel ministre des Affaires étrangères] qui m’a convaincu. Il m’a fait comprendre que le Maroc avait besoin de nouveaux profils. Avec mon expérience d’entrepreneur, je peux aborder les choses sous un angle différent. Notamment sur des sujets économiques touchant au secteur privé. J’ai donc accepté le poste. Il y a des moments dans la vie où l’on doit se retrousser les manches pour son pays », confiait-il après sa rencontre à Paris avec des hommes d’affaires et des économistes, au Cercle d’amitié économique franco-marocain, le 18 novembre.

Il y a des moments dans la vie où l’on doit se retrousser les manches pour son pays.

Afin d’assumer son nouveau rôle, le deuxième patron-ministre du gouvernement – après Aziz Akhannouch – s’organise pour que Saham (6 000 salariés et 42 millions de dollars de bénéfices pour 882 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2012) continue de prospérer. « Une restructuration du conseil d’administration et de la direction est à l’ordre du jour, en s’appuyant sur les cadres en place », indiquait-il mi novembre. Depuis, Saâd Bendidi, a été nommé le 24 novembre directeur général délégué de Saham et a pris l’intérim de MHE à la tête du groupe.

À Paris, le sémillant entrepreneur aux yeux verts et à la chevelure poivre et sel a vanté les mérites du Maroc, égrenant les projets du royaume dans l’industrie, le commerce international et le tourisme. Sur le fond, son discours reste dans la ligne des plans lancés par Mohammed VI après son accession au trône. Mais c’est par son style que ce joueur de luth pourrait faire avancer ses dossiers. Chef d’équipe fédérateur et communicant doué, il apparaît comme un bon ambassadeur pour le pays.

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Longtemps surnommé le Bernard Tapie marocain pour son enrichissement rapide après l’introduction en Bourse d’Agma et la revente – controversée – de ses parts dans cette compagnie de courtage en assurances, Elalamy ne fait plus polémique. Son passage à la présidence de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), qu’il a redynamisée, et la croissance de son groupe – notamment dans quinze pays subsahariens – lui ont donné une indiscutable envergure.

Francophile, mais formé au Canada, Moulay Hafid Elalamy a profité de sa visite parisienne pour interpeller les groupes hexagonaux sur leur manque d’ambition au Maroc et ailleurs en Afrique face à des concurrents plus imaginatifs venus d’Espagne, de Chine, de Turquie et du Japon. Même si la France a retrouvé son titre de premier partenaire commercial du royaume chérifien en 2012, le ministre a prévenu « qu’il n’y avait pas de position définitivement acquise ». Jugeant « que les entreprises ne doivent pas tout attendre de l’État », le patron a récemment appelé son pays à « rompre avec le Moulay-hafid-Elalamy Biomodèle français favorisant le fonctionnariat et la bureaucratie » lors d’un colloque américain. Après sa visite parisienne, Moulay Hafid Elalamy s’est envolé pour Washington afin d’y rencontrer des investisseurs américains, en prévision de la visite du roi, le 22 novembre.

Usine

Libéral, l’entrepreneur n’en garde pas moins une fibre sociale, avec un leitmotiv : la lutte contre le chômage des jeunes au Maroc, estimé à 30 % par la Banque mondiale. « L’État doit aider les investisseurs, mais pas tous. Je favoriserai ceux qui agissent dans l’intérêt du Maroc, ceux qui créent de l’emploi et paient des impôts. Les autres n’ont pas besoin de nous », affirme le fondateur du Sherpa Finance Club, qui soutient de jeunes entrepreneurs marocains. Fait nouveau, MHE n’exclut pas d’attirer les plus grands groupes en recourant « aux services de banques d’affaires payées par success fees [primes de réussite] ».

Alarme

L’ancien patron des patrons, qui a rendu visite à la CGEM dès le 13 novembre, compte s’appuyer sur le secteur privé, mais pas seulement : « Nos fonctionnaires, mal payés mais compétents, méritent davantage de considération de notre part. Mobilisés et impliqués, ils peuvent beaucoup apporter. »

Priorité des priorités pour le ministre, la relance de l’industrie, qui perd 25 000 emplois par an depuis 2009. « Nous ne pouvons pas nous permettre une désindustrialisation. » Interrogé sur la rumeur, relayée par les journaux français, selon laquelle une usine PSA pourrait s’implanter à Tanger alors même que le groupe automobile est en difficulté en Europe, il nie avoir abordé le sujet avec son homologue français, Arnaud Montebourg. Mais il confirme avoir eu des contacts avec d’autres constructeurs « allemands et japonais ». « Il est essentiel d’avoir à Tanger, aux côtés de Renault, au moins deux autres groupes automobiles, si l’on veut compter », affirme-t-il.

Autre défi cher à l’entrepreneur, tirer profit de la croissance africaine. « Les filiales subsahariennes de Saham dégagent davantage de bénéfices que les activités situées au Maroc. Je sais de quoi je parle quand j’encourage les entreprises marocaines à partir à la conquête du continent », indique MHE. Et de pousser un cri d’alarme : « En Afrique, dans l’agroalimentaire comme dans la pharmacie, nous avons des avantages comparatifs indéniables. Mais nous risquons de rater le coche si nous ne faisons pas davantage », a-t-il lancé à Paris.

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