Algérie – Biyouna : « Il y a des biyounettes partout, maintenant ! »
Pour la première fois, l’actrice Biyouna monte seule sur scène pour un one-woman-show. Malgré un texte parfois un peu facile, la « grande gueule » du cinéma algérien montre toute l’étendue de son talent grâce à un subtil mélange de sketchs, de danses et de chants.
C’est une petite fille fragile, presque timide qui marche vers l’avant-scène. D’un geste gracieux, elle attrape les bords de sa robe noire et esquisse, les yeux baissés, une révérence, comme le font les enfants sages. Oui, c’est bien Biyouna, la « grande gueule » du cinéma algérien, la Gainsbarre de l’autre rive, qui s’apprête à fouler les planches du Théâtre Marigny, à Paris.
Toujours drôle, chaleureuse, enthousiaste, Biyouna laisse aussi transparaître un peu de gravité et, sans doute, une certaine dose de peur. Car, jusqu’au 31 mars, l’artiste aux multiples facettes doit conquérir, seule sur scène, un public parisien exigeant. L’exercice est risqué. Le stand-up, popularisé par Gad Elmaleh ou Jamel Debbouze, est un art très pointu où le rythme de la vanne ne doit rien au hasard. Pour Biyouna, qui mêle danses et chansons à des saynètes, la partition est d’autant plus dure. Car, en plus de séduire un public maghrébin pour qui elle est une véritable star, elle doit convaincre un public français qui a appris à la connaître grâce aux films de Nadir Moknèche (Viva Laldjérie en 2004, Délice Paloma en 2007) ou plus récemment dans Il reste du jambon ?, d’Anne Depetrini, et La Source des femmes, de Radu Mihaileanu.
Le texte n’est pas toujours à la hauteur du talent de l’actrice et les blagues sont parfois un peu faciles, mais Biyouna parvient malgré tout à conquérir le coeur des spectateurs admiratifs devant cette femme libre, insubmersible et infiniment poétique. Avec une mention spéciale pour les passages chantés et dansés, où la fille de Belcourt montre toute l’étendue de son génie.
Jeune Afrique : Comment est venue l’idée de ce spectacle ?
Biyouna : Mon agent, Olivier Gluzman, avait remarqué que lors de mes concerts je mélangeais sketchs et chansons. Je savais que mon public français attendait de moi que je chante et mon public maghrébin que je fasse des blagues. Du coup, je chantais, puis de temps en temps je jetais quelques vannes et esquissais quelques pas de danse. Olivier s’est dit qu’un one-woman-show était le meilleur moyen de rassembler ces deux publics dans une même salle. Après, il restait à trouver un bon metteur en scène. Ça a été le cas avec Ramzy. Il sait ce qu’il veut. Je suis tout le temps à son écoute, je ne perds pas un mot de ce qu’il me dit. Il parle peu, il reste à distance, mais quand il s’exprime, c’est en général très pertinent.
Comment avez-vous travaillé ?
Je n’avais jamais fait de one-woman-show. Même en Algérie, j’ai surtout fait des petits sketchs pour chauffer la salle avant l’entrée en scène des chanteurs. Au début, en voyant Gad, Jamel ou Ramzy, j’avais l’impression que c’était très facile, mais pas du tout ! Surtout que moi, je chante et je danse. C’est un exercice très physique, qui demande une bonne santé. Il faut retenir son texte, protéger sa voix et être très précis, notamment pour les chansons. En plus, j’ai la manie de choisir des chansons difficiles. Parfois, je me demande pourquoi je ne fais pas un choix plus simple, comme Au clair de la lune !
Qu’aviez-vous envie de raconter ?
J’ai accumulé beaucoup de choses durant la décennie noire [1991-2001, NDLR]. De la colère, des idées que je taisais. Durant cette période, j’ai tout eu, tout vécu. Et je l’ai payé chèrement… Vous savez, moi, je suis du côté du faible, du pauvre, de celui qui ne peut pas se défendre.
Une histoire d’humour
Le public français aime les humoristes maghrébins. Le constat pourrait paraître anodin, et pourtant, s’il est un domaine dans lequel le substrat culturel et la complicité sociologique ont leur importance, c’est bien l’humour. La « vague maghrébine » du rire a commencé à déferler sur la France dans les années 1980. Les jeunes issus de l’immigration, en mal d’intégration et souvent issus de milieux populaires, ont su opérer une véritable catharsis de leur situation grâce à l’humour. C’est le cas de Smaïn, né en 1958 à Constantine puis immigré en France. Dans les années 1990, ce sont des figures d’exilés qui émergent, avec notamment Fellag, qui a su conquérir le public français avec le spectacle Djurdjurassique Bled en 1997. Aujourd’hui, la relève est assurée grâce à des artistes comme Abdelkader Secteur ou le comte de Bouderbala, mais aussi par les Franco-Marocains Gad Elmaleh et Jamel Debbouze. Pour tous ces humoristes, la recette du succès repose en grande partie sur une connaissance pointue de leurs deux cultures qui leur offre la légitimité pour les moquer, l’une et l’autre, sans risquer de froisser personne.
Pour se relever de la décennie noire, il va falloir du temps. Après une période de coma, on est entrés en convalescence.
Les grandes personnalités n’en ont rien à foutre de moi. Ceux qui sont partis, qui ont eu peur, je les comprends. Mais moi, je suis restée. Quand je sortais et que je voyais le petit peuple, qui n’avait pas le choix, j’étais très émue. Les gens me disaient : « Biyouna, tu es restée avec nous ! » Puis on m’a jetée et on a déroulé un tapis rouge aux autres. Après ce que j’ai enduré, j’ai décidé de penser à moi et à mes enfants. Désormais, j’essaie de prendre du plaisir, comme avec ce spectacle.
Le terrorisme a fait fuir beaucoup d’artistes. Que reste-t-il de la scène algérienne ?
Dans les années 1970, voire 1980, c’était génial. Il y avait des tournages, de la création. On était très bons et on aurait pu faire de grandes choses. La décennie noire a tout chamboulé. Pour se relever de ça, il va falloir du temps. Après une période de coma, on est entrés en convalescence.
La décennie noire aurait pu briser votre carrière. Comment avez-vous réussi à rebondir ?
Pendant la décennie noire, je suis arrivée à un point de désespoir profond. Je n’avais pas de travail, un frigidaire vide, je devais m’occuper de mes enfants et de ma mère. J’ai alors fait une bêtise, j’ai voulu cesser de vivre. Quelque temps après, j’ai reçu des propositions et je me suis rendu compte qu’il ne fallait jamais abandonner. Il faut se battre.
Parfois, quand je vois mon parcours, je me pince, je n’arrive pas à y croire. J’en ai le tournis ! Je n’aurais jamais pensé y arriver ni être la première Arabe à monter sur scène à Marigny.
Un des thèmes centraux de votre spectacle, c’est justement la liberté, votre liberté…?
Oui, j’ai une grande gueule, oui, j’aime dire ce que je pense. Ceux que ça dérange n’ont qu’à se boucher les oreilles. Je suis libre pour toujours. Contrairement à ce qu’on pense, les femmes algériennes sont libres ! D’ailleurs, chaque fois que je vais en Algérie, je m’en étonne. À Oran, j’ai vu ma fille aller à la plage en short et en jupe avec ses copines. Quand je m’en suis inquiétée, elle s’est moquée de moi. Récemment, j’ai rencontré de jeunes Algériennes à l’aéroport. Elles m’ont dit : « Biyouna, tu es partie, mais ne t’en fais pas, nous, nous sommes toujours là. Nous sommes les biyounettes ! » Les femmes sont là pour prendre la relève. Je compte sur elles, parce que je sais que c’est elles qui portent la culotte et qu’elles retroussent leurs manches. Ce ne sont pas seulement des biyounettes, mais des baïonnettes !
Vous êtes souvent l’objet de polémiques à cause de votre liberté de ton et de votre mode de vie. Cela vous touche-t-il ?
On peut tout me prendre sauf mes rêves et ma liberté. L’Algérie, c’est mon pays. C’est à moi.
Les journaux intégristes m’attaquent, pas les vrais journalistes. Quand j’ai joué dans les films de Nadir Moknèche, on m’a attaquée. Quand j’ai joué dans celui de Radu, on m’a reproché d’avoir tourné avec un cinéaste juif. Comme si j’allais demander l’ADN et l’arbre généalogique d’un réalisateur avant d’accepter un rôle ! Ils n’ont rien compris. Je n’en ai rien à faire, ça ne m’atteint pas. Pour l’émission de Laurent Ruquier, on a bu deux verres, et j’ai eu droit à des insultes ignobles. Je n’ai de comptes à rendre à personne. On peut tout me prendre sauf mes rêves et ma liberté. L’Algérie, c’est mon pays. C’est à moi.
Est-ce que l’Algérie vous manque ?
Beaucoup. Ce qui me manque, ce sont les cris, l’exubérance, la musique à fond. Ce n’est pas dans mon appartement à Paris que je pourrais le faire ! À Oran, quand j’entends le vendeur de sardines, les bruits de la rue, je kiffe.
Comment avez-vous vécu le Printemps arabe ?
Ça m’a fait très plaisir. En même temps, j’étais agacée qu’on se demande pourquoi l’Algérie ne s’est pas réveillée. Hé ! ho ! Ça fait des années qu’on paie et qu’on meurt. Moi, je suis née dans la guerre. Mes enfants sont nés dans le terrorisme. L’Algérie se repose, laissez-la tranquille ! Y en a marre ! Je prie Dieu pour qu’il y ait une nouvelle jeunesse qui aime l’Algérie et qui la relève.
Justement, les jeunes vous adorent, et vous travaillez souvent avec de nouveaux artistes branchés. Comment l’expliquez-vous ?
C’est vrai, mais je ne sais pas à quoi c’est dû. J’ai adoré travailler avec Julien Doré, Ramzy ou Nadir Moknèche. Il n’y a pas de vieux autour de moi ! Vous venez de me le faire remarquer, mais ça m’amuse beaucoup.
D’où vient votre surnom Biyouna ?
Je porte le même prénom que ma grand-mère, Baya. Or il y a une superstition en Algérie qui veut que, quand votre aïeule est encore vivante, on ne vous appelle pas par le même prénom. Du coup, on m’a donné ce petit surnom affectueux, Biyouna. Au départ, c’est un surnom totalement inventé, mais je viens de découvrir qu’il y a des gens qui appellent leur fille Biyouna ! C’est devenu un prénom. Il y a des biyounettes partout, maintenant !
Vous auriez pu être autre chose qu’artiste ?
Vous n’allez pas me croire. Autrefois, j’accompagnais ma soeur Leila, qui était une diva de la chanson, en tournée. Chaque fois que nous nous arrêtions dans de grands hôtels, j’étais fascinée par le travail des gouvernantes. Je voulais devenir gouvernante, car j’adore la décoration, le travail bien fait !
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Propos recueillis par Leïla Slimani.
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