Côte d’Ivoire : Ouangolodougou-Bouaké, le tour de la réunification
De l’extrême-Nord au centre de la Côte d’Ivoire, l’État de droit reprend le dessus dans les zones qui étaient assiégées par les Forces nouvelles. L’administration ivoirienne et ses fonctionnaires sont de retour. Reportage.
Côte d’Ivoire : les douze travaux d’ADO
Le vent sec de l’harmattan souffle bruyamment sur le marché et emporte avec lui les cris de commerçantes pressées de ranger leur marchandise. Devant le siège d’un établissement de microfinance ivoirien nouvellement réhabilité, à l’endroit précis où deux panneaux indiquent l’un Bamako, l’autre Ouagadougou, deux douaniers devisent en riant – ils se demandent s’ils auront de l’eau courante pour prendre un bain chaud. Nous sommes à Ouangolodougou, département du nord du pays, frontalier à la fois du Mali et du Burkina Faso.
Les deux douaniers sont en faction au poste-frontière de Laléraba, dernier village ivoirien avant le pays des Hommes intègres. Depuis le mois de décembre, agents des Eaux et Forêts, douaniers, gendarmes et policiers, venus pour la plupart du Sud, sont de nouveau présents dans la commune. Un afflux de fonctionnaires qui a accentué les difficultés de l’antenne de la Société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire (Sodeci) à fournir tout le monde et la contraint à opérer des délestages.
Reconstruction
Même le préfet, Sihindou Coulibaly, en est victime, il ne s’en plaint pas pour autant. Le plus souvent, il n’a pas le temps de finir son petit déjeuner que, déjà, le devoir l’appelle. Car les problèmes sont aussi nombreux que difficiles à résoudre : centres de santé délabrés, infrastructures publiques dévastées, manque de logements décents pour les nouveaux fonctionnaires, pauvreté, etc. Un lot d’urgences commun à toutes les zones jadis contrôlées par les Forces nouvelles (FN). À l’initiative de Sihindou Coulibaly, une mutuelle de crédit et d’épargne de commerçantes en produits vivriers a été créée. « La meilleure façon de lutter contre la pauvreté, c’est d’aider financièrement les femmes afin qu’elles créent des activités génératrices de revenus », explique le préfet.
À Ferkessédougou, le Premier ministre Soro est considéré comme le "sauveur".
Les commerçantes de Ferkessédougou (au sud de Ouangolodougou) ne l’ont pas attendu pour s’organiser en diverses coopératives. Ferké, c’est la ville natale de Guillaume Soro. Ici, le Premier ministre d’Alassane Ouattara est considéré comme le « sauveur ». Les semaines ont passé depuis les législatives, mais les posters à son effigie sont encore partout dans la ville. Personne ne songe à les déchirer ou n’ose le faire. Le tronçon Ouangolodougou-Ferké, en cours de réhabilitation, est son oeuvre, assure-t-on dans les rues de Ferké. Peu importe que ce projet fasse partie des grands travaux engagés sur l’ensemble du territoire et annoncés par le président Ouattara.
À Korhogo (200 000 habitants), préfecture de la région du Poro, les routes sont aussi en pleine réhabilitation. Ici, c’est le fief de l’ex-commandant de zone (comzone) Martin Kouakou Fofié, connu sous le nom de guerre Fansara 110 et placé sous sanction onusienne en 2006 pour graves violations des droits de l’homme. En dix ans, une classe moyenne s’y est formée, tirant profit du commerce de marchandises non taxées. « Le jeune qui avait 100 000 F CFA [150 euros, NDLR] au début de la rébellion en a aujourd’hui 1 million », explique Issouf Koné, président de la Jeunesse des Forces nouvelles.
Préfet de région du Gbêkê et du département de Bouaké
Allure fière, poignée de main autoritaire. Konin Aka n’est plus le fonctionnaire que les comzones de Bouaké saluaient d’un air hautain il y a deux ou trois ans. Désormais, depuis la fin officielle du conflit et avec le retour définitif de l’administration publique dans la ville, Konin est au coeur de toutes les décisions importantes portant sur la vie de la région qu’il administre. En 2007, quand il a été affecté dans la localité, il dormait à l’hôtel et la terrasse de l’établissement lui servait de bureau. Symbole de la rébellion du corps préfectoral après la présidentielle de 2010, il a été le porte-parole des préfets des ex-zones assiégées qui ont publiquement désavoué le Conseil constitutionnel de Paul Yao N’Dré. Aujourd’hui, il ne le regrette pas. Loin de là. A.S.K.
Le 11 avril 2011, 105 personnes avaient été arrêtées avec Laurent Gbagbo dans son bunker, dont son épouse Simone, son fils aîné, Michel, et l’une de ses filles, Marie-Laurence. Cette dernière ainsi que des dizaines d’autres personnes, dont des mineurs, ont été libérées dans les jours qui ont suivi. D’autres personnalités pro-Gbagbo ont par la suite été arrêtées et envoyées dans des prisons du nord du pays. Depuis janvier, il ne reste plus que dix-sept civils pro-Gbagbo en détention, notamment Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI, parti de Gbagbo), et Gilbert Marie Aké N’Gbo, dernier Premier ministre de Gbagbo. Ils sont poursuivis, entre autres, pour crimes économiques et atteinte à la sûreté de l’État.
Case prison
Au commissariat de police, le portrait officiel d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) accueille le visiteur avec le sourire. Une dizaine de prisonniers sont entassés dans l’unique cellule. L’« un est là depuis six mois, ironise un officier ; c’est l’héritage que nous ont laissé nos prédécesseurs » des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN). Ces derniers sont de plus en plus discrets depuis les affrontements, dans le Centre-Nord et dans le Sud, impliquant des ex-rebelles devenus membres des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), affrontements qui ont irrité Ouattara. Pour voir ces ex-FAFN, il faut se rendre à la Compagnie territoriale de Korhogo (CTK), QG de Fofié. Ils surveillent le général Bruno Dogbo Blé et Patrice Bahi, respectivement ancien commandant de la garde républicaine et ex-chef de la sécurité civile de Laurent Gbagbo.
Au moins 5 000 ex-rebelles du Nord, qui étaient descendus dans le Sud pour chasser l’ancien président du pouvoir, sont revenus au bercail. D’autres n’ont pas eu cette chance. Ils ont été tués lors de l’offensive sur Abidjan, début avril 2011. Soro Kanigui, délégué général des FN et nouveau député de Sirasso (département de Korhogo), suit de près le dossier de ces ex-combattants. « Nous faisons de la veille pour éviter que des programmes de réinsertion du gouvernement ou des structures internationales ne leur échappent », indique-t-il.
En poursuivant toujours plus au sud, on arrive à Katiola (60 000 habitants), l’agglomération la plus importante après Korhogo et avant Bouaké, dont elle est distante de 55 km. Sa prison héberge cinq personnalités pro-Gbagbo, dont Geneviève Bro-Grebé, la très remuante présidente des Femmes patriotes. L’immense bâtisse aux murs très élevés, entourée de broussailles, se situe en pleine ville. Les ex-rebelles qui la gardaient ont cédé la place à l’équipe d’un régisseur et de son adjoint, nouvellement affectés dans la localité. Les pro-Gbagbo se portent bien, sont nourris par un service traiteur et reçoivent souvent des visiteurs munis d’une autorisation signée par le procureur du Plateau, à Abidjan. Les geôliers de Bro-Grebé et de ses compagnons évitent les sujets en rapport avec la politique.
Député (PDCI) de Napié
Dans le grand Nord, il est l’unique député du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, d’Henri Konan Bédié) lors des législatives du 11 décembre (un autre a été élu dans le Centre-Nord : Gaston Ouassénan Koné). Augustin Silué Kagnon, 62 ans, député de la circonscription de Napié (voisine de Korhogo) depuis dix-sept ans, tire son succès électoral de sa proximité avec la population. À Napié, cet ancien comptable ayant fondé une école supérieure n’est pas seulement député. Il est aussi, parfois, un agent de développement qui aide les femmes à s’organiser en coopératives et ouvre des pistes pour désenclaver des villages reculés. Il est souvent un philanthrope, offrant des groupes électrogènes, des cantines aux écoles, des prises en charge scolaires, etc. Résidant à Abidjan, Silué se rend presque tous les week-ends « au village », où l’attendent des hôtes qui viennent de toute la région. A.S.K.
Symboles
À Bouaké, au camp militaire du 3e bataillon, a eu lieu pour la première fois depuis dix ans une cérémonie de prise d’armes, fin décembre. Tout en sobriété. Aux côtés de Konin Aka, préfet de région et du département, le colonel-major Assaud-Plékou Kouassi, nouveau commandant de la IIIe région militaire.
Gendarmes, officiers et hommes de troupe (génie, infanterie, armée de terre), policiers, sapeurs-pompiers, etc. – tous les corps habillés, y compris les ex-FAFN -, défilent sous la conduite du capitaine Christophe Tapé Inika, ancien officier des Forces de défense et de sécurité (FDS). Tout un symbole dans ce camp militaire qui a été le théâtre, en octobre 2002, de l’assassinat par les rebelles de gendarmes loyalistes et de membres de leurs familles désarmés. Il était depuis lors envahi par les broussailles.
Les ex-comzones sont partis, nommé à des postes à responsabilités au sein des FRCI.
Depuis l’arrivée du commandant de la IIIe région militaire, l’autorité des ex-comzones de Bouaké se réduit comme peau de chagrin. Ils sont tous à Abidjan, où ils ont été nommés à des postes à responsabilités au sein des FRCI. Chérif Ousmane, alias Papa Guépard, désormais commandant adjoint du palais présidentiel, a fait évacuer le quartier général de sa compagnie fin décembre. Les locaux, à réhabiliter, sont maintenant occupés par les douaniers. Quant à Issiaka Ouattara, alias Wattao, il se fait remarquer même absent, surtout dans la rue du quartier d’Air France où se trouve sa résidence, où sont garés une bonne vingtaine de véhicules lui appartenant, ce qui ne manque pas d’agacer les riverains, obligés de faire un grand détour pour rentrer chez eux.
Il n’empêche, « l’État de Côte d’Ivoire est revenu après près de dix ans de crise, se réjouit le préfet Konin Aka. Tous les symboles sont en place : préfectures, sous-préfectures, justice, prisons, armée, services des ministères, etc. » C’est indéniable, la réunification du pays est une réalité. Reste la réconciliation…
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