Côte d’Ivoire : la réconciliation à l’épreuve du terrain
La Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation doit permettre aux communautés ivoiriennes de réapprendre à vivre ensemble. Son président, Charles Konan Banny, a mesuré l’étendue du chemin à parcourir auprès des réfugiés de Naïbly, près de Duékoué.
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Fin décembre. Dans le camp de déplacés de Naïbly, non loin de Duékoué (région du Guémon, dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire), Charles Konan Banny, le président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), s’adresse à une foule nombreuse. La chaleur étouffante du jour se mêle à l’ambiance électrique qui prévaut dans le camp.
Les déplacés sont en majorité des Guérés, ethnie autochtone qui a massivement voté pour Laurent Gbagbo à la présidentielle de 2010. Ils rechignent à rejoindre leurs habitations, pour certaines saccagées. Dans ce camp construit pour accueillir les réfugiés de la mission catholique de Duékoué, qui a déguerpi quelques mois plus tôt sous la pression du clergé, la réconciliation prônée par les autorités passe mal. Le tribut humain payé a été lourd lorsque les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) ont pris la ville, fin mars 2011. Bilan : 505 morts entre décembre 2010 et avril 2011, dont des Guérés, mais aussi des « étrangers », comme on appelle ici les Burkinabè et les Maliens, sans oublier les allochtones baoulés et dioulas.
Responsabilités
Dans cette partie du pays, et dans l’Ouest en général, la CDVR a fort à faire. Les tensions interethniques se sont exacerbées lors de la crise postélectorale et ne sont pas encore retombées, en dépit du calme relatif. Pendant les cinq mois qu’a duré cette crise, les deux régions guérées (Moyen-Cavally et Dix-Huit Montagnes) de l’Ouest ont connu un rare déferlement de violences, au cours desquelles plus de 1 000 personnes, toutes ethnies confondues, ont trouvé la mort. Sous Gbagbo, les milices patriotiques tuaient des allochtones et des étrangers soupçonnés de collaborer avec les ex-rebelles. À l’avènement de Ouattara, les milices Dozos (chasseurs traditionnels), proches des FRCI, ont ciblé des autochtones favorables à Gbagbo.
Dans le camp de Naïbly, plus de 4 000 personnes ont trouvé refuge, dont des ex-miliciens et des leaders locaux de mouvements patriotiques. Chacun a son témoignage d’horreur sur l’assassinat d’un proche, très souvent attribué aux FRCI ou à la milice Dozo du planteur burkinabè Amadé Ouérémi, devenu chef de guerre. Chacun a aussi sa part de responsabilité, passive ou active, au moment où la ville était tenue par les milices patriotiques et que la violence s’abattait sur les autres communautés favorables à Alassane Ouattara. Les uns et les autres se lancent dans de longues diatribes contre les Dozos et les FRCI (« ces étrangers qui sont venus nous arracher nos terres, après nous avoir chassés de nos villages ») en omettant de reconnaître leurs propres erreurs.
Chacun a son témoignage d’horreur sur l’assassinat d’un proche.
Tout en diplomatie, qualité que lui impose sa fonction de réconciliateur, Banny lance dans la foulée : « Je suis venu vous écouter. » Faut-il y voir un aveu d’impuissance face aux vagues de rancoeur et de haine de ces exilés dans leur propre pays, qui ne digèrent ni la défaite militaire de leur champion ni son transfert à la Cour pénale internationale ? Certainement pas. Banny n’a pas choisi par hasard le pays guéré pour sa première tournée d’envergure à l’intérieur du pays. Il voulait prendre le pouls de la réconciliation. À Duékoué, il a compris que le chemin pour y parvenir serait difficile.
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