Éloge du métissage en Côte d’Ivoire
Flore Hazoumé est ivoirienne, écrivaine et directrice de publication de Scrib Magazine.
Côte d’Ivoire : les douze travaux d’ADO
J’ai passé mon enfance et mon adolescence en France, entre Bois-Colombes, Asnières, Poitiers et Angers. D’institutions religieuses en pensionnats pour jeunes filles rangées, de colonies de vacances à Noirmoutier en voyage linguistique à Londres ou en escapade estudiantine à New York, rien, vraiment rien, ne me prédestinait à poser un jour mes valises au bord de la lagune Ébrié, il y a plus de trente ans. Mais le destin est ainsi, il aime à nous jouer, parfois, de curieux tours.
Peut-être qu’inconsciemment j’ai imité le parcours improbable de mon père, dahoméen, qui, suivant les méandres de son destin, quitta la cour familiale des Hazoumé, à Porto-Novo, pour se retrouver au bord du fleuve Congo, épousa une fille du pays et devint l’un des plus proches collaborateurs du président Fulbert Youlou. Brazzaville – où je suis née -, puis Léopoldville, le Katanga, l’exil à Paris et l’ultime rendez-vous, fatal, à Fort-Lamy. Le parcours de mon père résume à lui seul les soubresauts de cette Afrique en devenir des années 1960.
Sangs et origines mêlés, j’ai eu pour la Côte d’Ivoire, en particulier pour Abidjan, un véritable coup de foudre. J’y trouvais tout ce que j’aimais, ce bouillonnement, cette effervescence si particulière aux grandes métropoles cosmopolites. L’un de mes moments préférés, c’était de m’arrêter devant le collège Mermoz, à Cocody, à l’heure de la sortie des classes, et de regarder, avec bonheur et tendresse, le flot continu des enfants se bousculant au portail. Tableau haut en couleur, dont la palette allait du noir le plus foncé au marron le plus clair, pour finir par un blanc laiteux. Cheveux crépus et têtes blondes partageaient avec la même innocence la cour de récréation, achetaient, devant l’école, des brochettes de viande cuisinée dans des conditions d’hygiène des plus douteuses. Mais qu’importe ! Ivoiro-Français, Ivoiro-Libanais, Ivoiro-Africains, nos enfants parlent et comprennent le nouchi et ont tous attrapé, à un moment donné, cet accent si typiquement et délicieusement ivoirien. Et nous qui avons aimé cette Côte d’Ivoire-là, nous avons aussi notre madeleine de Proust : une balade dans le vieux quartier de Bassam ou dans le jardin botanique de Bingerville, un spectacle de Kotéba, une pièce de Bernard Zadi Zaourou jouée au théâtre de la Cité rouge, à Cocody…
Nous, Ivoiriens, et ceux qui ont décidé de le devenir, avons été élevés par la même terre nourricière.
Carrefour de civilisations, melting-pot à l’africaine, eldorado de tous ceux qui, comme moi, considèrent que le pays où l’on se sent bien et où l’on a choisi de vivre devient son pays. C’est cette Côte d’Ivoire que j’ai aimée et que je continue d’aimer, car je suis convaincue que l’épisode tragique que nous avons vécu, ensemble, n’est qu’un accident de l’Histoire.
Toute nation, au cours de son existence, a connu des heures sombres, où frères et soeurs se sont entre-déchirés. Mais nous, Ivoiriens, et ceux qui ont décidé de le devenir, avons été élevés par la même terre nourricière. Comme des enfants issus de la même matrice, mais engendrés par des pères différents, et unis par un lien unique et irremplaçable : l’amour de la mère. Cette diversité – ces différences, diront les esprits chagrins – nous unit plus qu’elle ne nous sépare, car nous partageons un point commun : notre amour pour la Côte d’Ivoire. Et c’est cela qui importe.
Pour les hommes et femmes de culture, cette diversité est une aubaine, car elle enrichit notre inspiration et donne à nos oeuvres une texture à la fois personnelle et universelle. Werewere Liking, Véronique Tadjo, Ahmadou Kourouma, Souleymane Koly – et j’en passe – ont, par leur métissage, ajouté quelques lettres de noblesse à la culture de la Côte d’Ivoire.
Que ce soient les rythmes endiablés des djembés du Kotéba de Souleymane Koly, les mots de Latérite de Véronique Tadjo, ou l’univers unique et mystérieux des spectacles de Werewere Liking, tous ont touché le coeur et l’âme des Ivoiriens, car le métissage ne peut en aucun cas être source de division. De par sa nature intrinsèque, il est le contraire de l’enfermement et de l’exclusion. Dans le métissage et la diversité culturelle personne ne se perd, tout le monde se retrouve.
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