Algérie : bouffée d’oxygène démocratique
Honorant ses promesses d’ouverture et de réforme politiques, Abdelaziz Bouteflika a promulgué, le 12 janvier, une série de textes destinés à garantir les libertés publiques. État des lieux.
Le processus a été long, mais les engagements pris ont été tenus. Neuf mois après avoir annoncé un train de réformes destinées à approfondir la pratique démocratique en Algérie, Abdelaziz Bouteflika a promulgué, le 12 janvier, une série de textes, préalablement soumis aux deux Chambres, puis passés par le tamis du Conseil constitutionnel. Les nouvelles dispositions concernent, entre autres, le régime électoral, la loi sur les partis et le code de l’information, qui bannit la pénalisation des délits de presse et met fin au monopole d’État sur les médias audiovisuels. En outre, des mesures ont été adoptées pour encourager une meilleure représentation des femmes dans les assemblées élues, ainsi qu’une loi sur les associations. « Manoeuvres dilatoires ! » crient les détracteurs du président, « renaissance démocratique », assurent ses partisans.
Les deux textes phares ont pour objet le régime électoral et la loi sur les partis, et s’attaquent dans les deux cas à la toute-puissance de l’administration. « Depuis l’indépendance, l’administration est considérée comme un rouage essentiel du système, explique l’avocat et militant des droits de l’homme Miloud Brahimi. Pour le citoyen lambda, elle est au service exclusif du pouvoir. » Les nouvelles dispositions réduisent considérablement son rôle dans le suivi des élections, désormais placées sous le contrôle de magistrats du siège, donc indépendants de la chancellerie. Si l’exécutif garde le privilège d’accorder l’agrément à toute nouvelle formation politique, son pouvoir n’est plus discrétionnaire et ses décisions peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. « Tout refus d’agrément doit être dûment motivé, déclare, enthousiaste, Hocine Khaldoun, député du Front de libération nationale (FLN), ce qui n’était pas le cas auparavant. »
La prochaine législature comptera 33 % d’élues, contre 11 % aujourd’hui.
Abdelaziz Ziari, président de l’Assemblée
Dix jours après la promulgation de la nouvelle loi sur les partis (sa publication dans le Journal officiel date du 14 janvier), le ministère de l’Intérieur a autorisé, le 24 janvier, une dizaine de formations à tenir leur congrès constitutif, ce qui équivaut à un agrément. Trois d’entre elles sont particulièrement connues : le Front pour la justice et le développement (FJD, de l’islamiste Abdallah Djaballah), l’Union pour la démocratie et la république (UDR, du militant laïque Amara Benyounes) et le Parti de la liberté et de la justice (PLJ, de Mohamed Saïd, rival malheureux de Bouteflika en 2009 et présenté comme un national-islamiste).
Ennahda quitte l’hémicycle
En matière de régime électoral, l’euphorie de Hocine Khaldoun est quelque peu atténuée par son collègue Mohamed Hadibi, élu d’Ennahda (opposition islamiste), dont les élus ont quitté l’hémicycle au moment du vote pour l’adoption de tous les textes portant réformes politiques : « L’administration et la justice, c’est blanc bonnet et bonnet blanc, l’une et l’autre ne constituent pas une garantie contre les fraudes électorales. » Des propos qui n’ont pas convaincu les juristes. « On ne peut mettre sur un même plan bureaucrates et magistrats, s’insurge Miloud Brahimi. Si les premiers prennent leurs ordres chez leur hiérarchie, les seconds sont totalement indépendants d’un parquet inféodé au ministère de la Justice. Ce n’est certes pas une garantie absolue, mais il s’agit d’une avancée considérable. »
La presse attendait plus
La nouvelle loi sur l’information exclut toute peine privative de liberté à l’encontre d’un journaliste auteur de diffamation. La sanction prévue est une amende dont le montant oscille entre 50 000 et 100 000 dinars (entre 500 et 1 000 euros). « C’est évidemment une bonne chose que cette dépénalisation, concède Mounir Boudjema, directeur de la rédaction du quotidien Liberté. Mais il y a un gros point noir. La loi reste évasive sur "les atteintes à la nation". On ne sait pas ce que cela recouvre exactement. Il y a donc le risque d’une application très stricte qui conduira les journalistes à ne plus aborder les sujets qui fâchent. Certes, ils ne risqueront plus la prison, mais les pénalités financières, qui ont été démultipliées, constituent une menace très grave pour les entreprises de presse. Dommage que les journaux se soient peu mobilisés sur cette question et contre cette loi somme toute castratrice. » CH.O.
L’autre « avancée considérable » concerne la représentation féminine dans les assemblées élues. Le texte proposé par le président préconisait l’instauration d’un quota de 30 % de femmes dans toute assemblée élue. Un sujet qui a suscité un débat houleux au Parlement, les islamistes, dont les Frères musulmans du Mouvement de la société pour la paix (MSP, de Bouguerra Soltani, alors membre de l’Alliance présidentielle), étant opposés à toute idée de quota. Selon eux, les conservatismes aidant, les partis politiques seront dans l’impossibilité de respecter cette disposition en milieu rural, où la femme est cloîtrée. « Irrecevable ! s’insurge Zohra Drif Bitat, héroïne de la guerre de libération, aujourd’hui sénatrice sur le tiers présidentiel, c’est justement le volontarisme politique qui permettra de sortir de cette situation. »
Zohra Drif Bitat a appelé le président à imposer cette réforme par d’autres voies, mais il n’a pas eu à le faire puisque le texte adopté a été rédigé de telle sorte que la participation des femmes à la gestion des affaires de la cité (inscrite dans la Constitution) est assurée. Le quota de 30 % a certes été ventilé en fonction du nombre d’élus, de l’importance de la circonscription et de sa situation géographique, mais le résultat est réellement « révolutionnaire ». Abdelaziz Ziari, président de l’Assemblée populaire nationale (APN), est confiant : « On nous a accusés d’avoir édulcoré les réformes sur ce point précis, mais, à y regarder de plus près, nous l’avons consolidé. Selon le nouveau texte, la prochaine législature comptera 33 % de députées, contre 11 % aujourd’hui. »
S’agissant de l’ouverture de l’audiovisuel, il faudra attendre l’installation de la nouvelle autorité, habilitée à délivrer les fréquences pour les radios et télévisions privées, afin d’en mesurer la portée. En revanche, la dépénalisation des délits de presse est d’ores et déjà acquise, ce qui constitue une avancée majeure en matière de liberté d’expression.
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