Égypte : qui sera le prochain raïs ?
Après avoir élu leurs députés, les Égyptiens seront de nouveau appelés aux urnes, en juin, pour élire le chef de l’État.
« Diriger l’Égypte est difficile. Si cela ne tenait qu’à moi, j’irais me reposer […]. Si le peuple ne veut pas de vous, quoi que vous fassiez, vous ne pouvez pas rester au pouvoir ; s’il vous veut, vous ne pourrez pas le quitter. » C’est en ces termes que l’ex-président Hosni Moubarak évoquait, en 2005, les difficultés de sa fonction. Aujourd’hui, le dictateur est derrière les barreaux et les Égyptiens seront appelés aux urnes, avant la fin du mois de juin, pour élire son successeur – démocratiquement, espèrent-ils. L’enregistrement des candidatures ne s’ouvrira pas avant le 15 avril, mais les prétendants sont déjà en ordre de bataille.
Pour Tewfiq Aclimandos, chercheur au Collège de France, « cela va se jouer entre Amr Moussa, Mansour Hassan et Nabil al-Arabi ». Si ces deux derniers ne se sont pas déclarés, leurs noms circulent. Mansour Hassan, ancien ministre de l’Information et de la Culture, sous Sadate, est apprécié par les différents courants politiques pour sa modération. Nabil al-Arabi, lui, s’est fait remarquer lors de son passage à la tête du ministère des Affaires étrangères, en mars 2011. « Ce sont des candidats qui vont plaire à la fois aux militaires et aux Frères musulmans », explique le spécialiste de l’Égypte.
Quant à Amr Moussa, il était donné favori avec 38,9 % d’intentions de vote, selon un sondage publié le 3 novembre 2011 par le Centre d’études politiques et stratégiques d’Al-Ahram, en coopération avec l’Institut égypto-danois pour le dialogue. L’ancien secrétaire général de la Ligue arabe touche les dividendes de sa fermeté à l’égard d’Israël lors de son passage aux Affaires étrangères, dans les années 1990. Mais nombre de révolutionnaires le considèrent aujourd’hui comme un cacique de l’ancien régime.
Deux grands absents : Mohamed el-Baradei, qui a renoncé, et Ayman Nour, non éligible…
Plusieurs figures de la place Al-Tahrir ont également fait part de leur intention de participer à la présidentielle. Parmi eux, Boutheina Kamel, seule femme à s’être déclarée candidate. Cette ancienne journaliste, qui ne manque jamais une occasion de critiquer le Conseil suprême des forces armées (CSFA), est de toutes les manifestations. Tout comme Hamdeen Sabahi, fondateur d’Al-Karama, parti à tendance nassérienne, et ancien député socialiste de l’opposition. Membre de l’Association nationale pour le changement, qui avait soutenu l’entrée en politique de Mohamed el-Baradei en 2010, Hamdeen Sabahi est un révolutionnaire de la première heure.
Deuxième force de l’Assemblée du peuple, derrière les Frères musulmans, les salafistes ont également leur candidat : Hazem Salah Abou Ismaïl. En novembre dernier, il était crédité de 5,7 % d’intentions de vote. « Il a des opinions radicales, mais il jouit d’une très forte popularité, surtout dans les campagnes », explique la blogueuse Zeinobia. Avocat de son état, il présente une émission religieuse très regardée sur la chaîne de télévision salafiste Al-Nass et se dit favorable à l’interdiction de l’alcool et des jeux d’argent, et à la suppression des accords de Camp David.
Zones d’ombre
Autre candidat d’obédience islamiste : Abdel Moneim Aboul Foutouh. Beaucoup plus modéré que Cheikh Hazem, ce médecin, qui est à la tête de l’Union des médecins arabes, est un ancien Frère musulman, emprisonné à plusieurs reprises sous le régime de Moubarak. Exclu de la confrérie – qui avait annoncé qu’elle ne présenterait pas de candidat -, Aboul Foutouh ne manque jamais une occasion de rappeler son attachement aux Frères. « Il a le soutien des religieux, mais il peut également séduire les libéraux, observe Zeinobia. Il a assuré être en faveur de la liberté de conscience et n’a jamais critiqué la liberté de création. »
Il y a aussi les grands absents, mais qui continuent à jouer un rôle. Ayman Nour, par exemple, qui s’est présenté en 2005 contre Moubarak. À l’époque, il a été condamné à cinq ans de prison pour avoir prétendument falsifié les signatures nécessaires à la création de son parti, Al-Ghad (« Demain »). Libéré sous la pression internationale, il n’a toujours pas été blanchi. En octobre, la justice a rejeté son appel. Il ne peut donc pas se porter candidat.
Mohamed el-Baradei, lui, a choisi la date de l’anniversaire de la révolution tunisienne, le 14 janvier, pour annoncer qu’il n’était plus candidat, préférant apporter son soutien aux jeunes de la révolution. « Baradei s’est retiré parce qu’il sait qu’il n’a aucune chance d’être élu », explique Tewfiq Aclimandos. Selon lui, le candidat phare des activistes d’Al-Tahrir ne souhaiterait pas se retrouver à la tête de l’État au moment où le gouvernement devra gérer une crise économique grave.
Des zones d’ombre subsistent cependant autour de cette élection, qui va probablement avoir lieu avant la rédaction de la Constitution. « On ne sait pas quels seront les pouvoirs du président. Va-t-il hériter de ceux du Conseil suprême ? Ce dernier va-t-il conserver certaines prérogatives ? Quelle sera la position du Parlement à ce sujet ? » se demande Raafat Fouda, professeur de droit constitutionnel à l’université du Caire.
Un projet de loi présenté le 30 janvier par le député libéral Amr Hamzawi propose de placer l’organisation du scrutin sous la surveillance du Parlement et d’en avancer le premier tour au 15 avril. Une solution qui permettrait au chef de l’État d’entrer en fonction le 1er mai et aux militaires de quitter le pouvoir plus rapidement.
Ces derniers ont par ailleurs rendu publique une loi fixant les principales conditions à remplir par les candidats. Ils devront avoir effectué leur service militaire et recueilli les signatures de 30 membres du Parlement, ou celles de 30 000 électeurs. Par ailleurs, ils ne pourront être binationaux, une règle qui s’applique également à leur épouse et à leurs deux parents. À ce jour, une seule chose est donc sûre : le futur président de la République arabe d’Égypte sera… égyptien.
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