Ahmed Attaf, un diplomate émérite pour succéder à Lamamra
Près d’un quart de siècle après en avoir été écarté par Bouteflika, Ahmed Attaf revient à la tête du ministère des Affaires étrangères. La nomination de ce diplomate de métier, aux compétences solides et à l’entregent certain, est largement saluée, en Algérie comme à l’international.
La dernière fois qu’Ahmed Attaf s’était trouvé dans son bureau de ministre des Affaires étrangères remonte au 24 décembre 1999, lorsqu’il avait cédé sa place à Youcef Yousfi au sein du premier gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika. Plus de vingt-trois ans après, le voilà de retour pour occuper le même poste, en lieu et place de Ramtane Lamamra, qui a quitté ses fonctions à la faveur du remaniement ministériel opéré jeudi 16 mars par le président Tebboune.
En près d’un quart de siècle, bien de l’eau a coulé sous les ponts. Le ministère a déménagé de son siège adossé au palais d’El Mouradia pour un vaste compound sur les hauteurs d’Alger. Bon nombre de ministres, de diplomates, d’ambassadeurs, de consuls avec lesquels Attaf a travaillé ont pris leurs retraites, quitté ce monde ou… sont en prison.
À bien des égards, Ahmed Attaf est sans doute le diplomate dont le pays avait besoin
Âgé de 69 ans, Ahmed Attaf est un pur produit de la diplomatie algérienne. Tout comme son prédécesseur, Ramtane Lamamra. Ceux qui l’ont côtoyé au sein du ministère ou ayant travaillé à son côté au cours des quatre dernières décennies ne tarissent pas d’éloges sur ses qualités et ses compétences. Brillant, grand bosseur, graphomane, bon orateur, fin connaisseur des dossiers internationaux, l’homme coche presque toutes les cases de l’excellent diplomate.
Au siège du ministère des Affaires étrangères et dans le milieu diplomatique, aussi bien en Algérie qu’à l’international, l’annonce de sa nomination surprise a été accueillie avec satisfaction et un certain soulagement. « On redoutait qu’Amar Belani, le secrétaire général du ministère, soit nommé à la place de Lamamra, reconnaît un diplomate. Belani est clivant, cassant, et n’a pas suffisamment de bouteille pour diriger la diplomatie dans un contexte international difficile. À bien des égards, Ahmed Attaf est sans doute le diplomate dont le pays avait besoin pour assurer la succession de Ramtane Lamamra. »
À l’OUA puis aux Nations unies
Diplômé de l’ENA dans la même promotion qu’un certain Ahmed Ouyahia, l’ancien Premier ministre qui purge une peine de prison, Ahmed Attaf a d’abord été chef de la division des Affaires politiques de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de 1977 à 1979, puis secrétaire à la Mission permanente de l’Algérie auprès des Nations unies, de 1979 à 1982, avant de revenir à Alger pour travailler – déjà – avec Ramtane Lamamra, aux côtés d’Ahmed Taleb Ibrahimi, qui a dirigé la diplomatie algérienne de 1982 à 1988.
Travailler avec Taleb Ibrahimi, qui était aussi un conseiller et un ami intime du président Boumediene, a constitué pour lui comme pour Lamamra une expérience d’une richesse dont tout jeune diplomate rêverait. Voyages à travers les cinq continents, sommets et conférences, audiences avec les grands de ce monde, voyages officiels, visites d’État, crises et conflits… L’ère Taleb Ibrahimi a offert aux jeunes diplomates l’opportunité de se forger, de se former et de tisser des réseaux. Une expérience d’autant plus riche que cette période des années 1980 correspond à ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or de la diplomatie algérienne.
Lorsque Boualem Bessayah succède à Taleb Ibrahimi, la carrière d’Attaf connaît un nouveau tournant hors du pays. Il est nommé ambassadeur en Yougoslavie, puis en Inde, entre 1989 et 1994, avant de revenir au bercail, où le président Liamine Zeroual lui confie les postes de porte-parole du gouvernement et de secrétaire d’État à la Coopération et aux Affaires maghrébines jusqu’en janvier 1996. Plus tard, Attaf confiera avoir rédigé, en août 1994, une note adressée à Liamine Zeroual dans laquelle il préconisait de fermer les frontières avec le Maroc, au lendemain de l’attentat terroriste qui avait visé un hôtel Marrakech.
Le 6 janvier 1996 marque un nouveau tournant dans sa carrière : il hérite du portefeuille des Affaires étrangères au sein du gouvernement d’Ahmed Ouyahia, poste qu’il occupera jusqu’au départ de celui-ci, en décembre 1999. Là encore, son passage à la tête de ce département aura été tumultueux, l’Algérie connaissant de nombreux soubresauts durant la décennie noire, aussi bien en interne que sur le plan international.
Écarté sous Bouteflika
« Ahmed Attaf a connu toutes les crises et les tensions diplomatiques entre 1995 et 1999, se souvient un ancien ambassadeur. Il a été la voix de l’Algérie dans une conjoncture de terrorisme barbare et d’isolement international, dans une période où certains prédisaient que le pouvoir allait tomber entre les mains des islamistes. Le président Bill Clinton était même venu féliciter Attaf pour son discours prononcé à Charm el-Cheikh sur le caractère international du terrorisme. »
L’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999 redistribue les cartes de l’appareil politique et diplomatique. Le nouveau président écarte les hommes de son prédécesseur, Zeroual, pour s’entourer de diplomates et de ministres proches de lui. Ahmed Attaf est alors envoyé comme ambassadeur au Royaume-Uni, entre 2001 et 2004, avant de rentrer au pays où il prend du recul vis-à-vis de la diplomatie sans pour autant quitter la politique. Membre du RND (Rassemblement national démocratique ), dont il a été député entre 1997 et 2001, il reste un observateur attentif de la scène politique nationale, mais finira par prendre ses distances avec ce parti, qui formait avec le FLN et le MSP la coalition présidentielle.
Au début du quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, en 2014, Ahmed Attaf se rapproche de l’ancien chef du gouvernement Ali Benflis, dont il est devenu l’un des plus proches collaborateurs. Il participe à l’élaboration de son programme, à la rédaction des discours et des déclarations de celui qui échouera à trois reprises à la présidentielle – 2004, 2014 et 2019. « Attaf est l’un des rares ministres des Affaires étrangères à avoir été au pouvoir et dans l’opposition, glisse l’une de ses connaissances. En plus de son parcours dans la diplomatie, il a cette particularité d’avoir une connaissance approfondie de la politique intérieure. » Des compétences qui ne seront pas de trop face aux défis qui l’attendent.
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