« Le Bleu du caftan » de Maryam Touzani, une ode à l’amour inconditionnel
Dans son deuxième long-métrage, la réalisatrice marocaine Maryam Touzani dépeint avec tendresse et humanité un triangle amoureux sur fond d’homosexualité.
« Avez-vous le sentiment que depuis Much Loved, le cinéma marocain est moins soumis à la censure et qu’il peut lever des tabous ? » demande un spectateur à Maryam Touzani, alors en déplacement dans une salle de cinéma de Saint-Ouen, en région parisienne, à l’occasion de la présentation de son nouveau long-métrage au Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient.
« Il y a clairement eu un avant et un après Much Loved. Un déferlement de violence d’abord, puis un moment de réflexion après la tempête, confirme la cinéaste, qui avait vu son film (réalisé par son partenaire de vie comme professionnel, Nabil Ayouch) interdit de diffusion au Maroc lors de sa sortie, en 2015, pour outrage à la morale et portant préjudice au pays. Cette réflexion-là a donné lieu à des espaces de liberté additionnels qui ont permis à des artistes de proposer d’autres possibles, d’autres manières de raconter des histoires, en se projetant dans quelque chose de plus ouvert », complète-t-elle.
Ouvrir le débat
Preuve, Le Bleu du caftan, son deuxième film de fiction après Adam (2019) a déjà été présenté au festival international du film de Marrakech en 2022 et sortira en salles au Maroc cette année. « Il était absolument essentiel que ce film rencontre son public et qu’il puisse participer à un débat qui pourra, peut-être, s’ouvrir sur des questions essentielles ayant trait aux libertés individuelles, espère la réalisatrice. Le premier accueil était très beau. Des jeunes prenaient le micro en racontant des choses parfois très intimes auxquelles je ne m’attendais pas nécessairement. C’était très touchant. Mais il y a également eu des avis plus discordants. C’est ce qui est intéressant. Il y avait une vraie envie de débattre et de parler de ces choses dont on ne parle pas d’habitude. »
Ces choses dont on ne parle pas, comme l’homosexualité au Maroc – encore condamnée pénalement et passible d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement –, traitée dans le Bleu du caftan avec tendresse et humanité. « Je n’ai pas voulu faire un film qui bouscule l’ordre établi ou la société, pose Maryam Touzani. Seuls les personnages m’intéressent. » Halim d’abord (interprété avec finesse par Saleh Bakri). Ce maalem, ou maître tailleur, exerce un métier en voie de disparition et s’attache à préserver ce savoir-faire en privilégiant la patience et la minutie, malgré la pression des clientes. On l’observe manipuler les pans de satin avec la même grâce et la même attention teintée d’amour que celles portées sur le corps amaigri et affaibli de sa femme Mina (la formidable Lubna Azabal), malade d’un cancer.
Filmer l’intime
Le couple, marié depuis longtemps, vit et travaille dans la médina de Salé. Et depuis toujours dans le secret de l’homosexualité de Halim, sans jamais renoncer à sa complicité ni à une forme de fidélité. Et c’est là toute la beauté et la subtilité de cette histoire d’amour qui n’enferme jamais ses personnages dans des carcans. Lui, est tendre et vulnérable, loin de la figure virile et patriarcale que l’on peut se faire d’un homme arabe. Elle, est ferme et domine, malgré la fragilité de son état de santé. L’amour qu’ils se portent échappe à toutes conditions, à la menace de la mort comme à celle d’un autre homme.
Halim se voit en effet bientôt bouleversé par l’arrivée d’un jeune apprenti. Il taira et enfouira d’abord ses sentiments, avant de comprendre l’équilibre naissant qui s’installe au sein du trio. « Ce sont des personnages complexes, glisse Maryam. J’aime filmer l’intime, être dans l’économie de mots et faire passer des émotions par l’image. » Un film tout en pudeur et en retenue parfaitement écrit, fraîchement récompensé du Prix du scénario lors de la dernière édition du Fespaco de Ouagadougou. Et qui a représenté par ailleurs le Maroc aux Oscars.
Le Bleu du caftan de Maryam Touzani avec Lubna Azabal et Saleh Bakri, en salles le 22 mars.
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