Fethi Benslama : « La barbarie peut très vite prendre le dessus »

L’auteur de « Soudain la révolution ! »* décrypte les ressorts de la violence post-révolutionnaire au Maghreb.

Le psychanaliste tunisien Fethi Benslama, à Paris. © Vincent Fournier/J.A.

Le psychanaliste tunisien Fethi Benslama, à Paris. © Vincent Fournier/J.A.

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Publié le 10 février 2012 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : En Égypte comme en Tunisie, la multiplication des actes de violence provoque un fort sentiment d’insécurité. Est-ce propre à toute période postrévolutionnaire ?

Fethi Benslama : Dans les États policiers, l’expression des conflits est contenue par la répression. Aujourd’hui, ces conflits éclatent au grand jour et au sein d’une population qui n’est pas habituée à la médiatisation. Par ailleurs, elle n’a pas appris à exprimer ses différends, comme c’est le cas en Occident, dans le cadre de certaines limites. Elle le fait donc de façon violente. À cela s’ajoutent des manipulations politiques de tout bord, qui font que l’on peut être amené à laisser une partie de la population en intimider une autre, pour répondre à certains intérêts, ce qui est très dangereux. Si on laisse pourrir la situation, on peut s’attendre à de graves passages à l’acte. C’est pour cela qu’aucun crime ne doit rester impuni. Il faut juger immédiatement, faire appliquer la loi.

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Comment une société peut-elle apprendre à gérer ces conflits ?

Cela demande du temps. Il faut redonner toute sa place à la parole, à la négociation. On pourrait, par exemple, nommer des médiateurs qui iraient au contact de la population et feraient remonter l’information. Mais il faudra sans doute des années pour que le lien social se rétablisse et pour installer une véritable culture démocratique, où le dialogue occupe une place centrale.

La révolution a également entraîné une rébellion généralisée contre toute forme d’autorité…

Évidemment, et c’est en particulier le cas à l’égard de l’appareil sécuritaire, qui était l’un des instruments de la répression et qui est aujourd’hui mis en accusation. Les forces de l’ordre ont peur d’être prises à partie. Elles sont donc dans l’attente vis-à-vis de leur hiérarchie : elles ont besoin d’ordres précis et d’un véritable commandement pour agir. De manière plus générale, pour rétablir la légitimité de l’autorité, il faut absolument sortir du provisoire et du transitoire. La révolution est un processus très violent, qui soumet l’individu à un véritable changement d’identité. S’il est dans l’incertitude, s’il ne sait pas ce qu’il va devenir, le lien social se délite et le climat devient propice à l’explosion de la violence.

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Êtes-vous optimiste quant à l’avenir de ces sociétés et à leur capacité à juguler cette violence ?

Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Je crois qu’il faut être très vigilant et ne pas laisser les extrémismes de toutes sortes gagner du terrain. N’oublions pas que la réalité humaine est profondément pulsionnelle et que ces pulsions doivent être jugulées. La civilisation est très longue à établir. La barbarie peut prendre le dessus en très peu de temps.

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Propos recueillis par Leïla Slimani

* Soudain la révolution ! De la Tunisie au monde arabe : la signification d’un soulèvement, éd. Denoël, 2011.

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