Derrière l’expression « sentiment anti-français », le mépris des élites de l’Hexagone

En assimilant trop facilement la contestation des actions de Paris en Afrique à l’expression d’un ressentiment, les élites françaises délégitiment tout mouvement de protestation critiquant la France sur le continent, dénoncent deux universitaires.

Protections devant l’ambassade de France à Kinshasa, en RD Congo, le 1er mars 2023. © Justin Makangara/Anadolu Agency via AFP.

Web27311 jad2023032-tribune- Dimitri M’Bama © Dimitri M’Bama

Publié le 25 mars 2023 Lecture : 3 minutes.

La veille de la dernière tournée d’Emmanuel Macron en Afrique centrale, Radio France internationale (RFI) consacrait une émission à « la montée d’un sentiment anti-français ». Le 13 janvier, Politique Magazine publiait un article du même titre. Le 4 janvier, c’était au tour d’un groupe de réflexion libéral de se fendre d’une analyse intitulée « sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest, reflet de la confrontation autoritaire contre l’Occident collectif ».

Mais existe-t-il vraiment un sentiment anti-français en Afrique ? Nous répondons par la négative. Pour une raison toute simple : il n’a rien à voir avec la réalité, le phénomène auquel on s’efforce de l’arrimer, qui procède non pas de l’émotion, mais, bien au contraire, d’un choix raisonné — certes dérangeant pour les intérêts de la politique de coopération française en Afrique.

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Stratégie de disqualification

Derrière l’utilisation de l’expression « sentiment anti-français », alors, nous entrevoyons un mépris et une insulte à l’égard des populations africaines, et particulièrement des plus jeunes, investies dans des mouvements de contestation. Elles sont présentées là comme irrationnelles et facilement manipulables – jadis par la France, mais désormais par la Russie ou la Chine –, incapables d’opérer des choix rationnels, fondés sur des calculs entre les coûts et les bénéfices de la coopération de leurs pays avec tel ou tel pays partenaire – dans quelque secteur qu’il soit.

Pourtant, les mouvements de contestation sont portés par des organisations avec des revendications claires. Que l’on soit en désaccord avec elles est concevable, mais que l’on voit dans leur démarche l’expression d’un sentiment rappelle ce que le psychiatre et philosophe Frantz Fanon appelait « le syndrome nord-africain ». Il désignait par ce terme l’attitude paternaliste et familière des médecins français vis-à-vis des expatriés arabes ainsi que la psychologisation de problèmes politiques et sociétaux : « Menacé dans son affectivité, menacé dans son activité sociale, menacé dans son appartenance à la cité, expliquait-il, le Nord-Africain réunit toutes les conditions d’un homme malade. » Aujourd’hui, il semblerait que l’on puisse parler d’un syndrome ouest-africain, si ce n’est africain tout court.

Il y a donc là une rhétorique visant à minimiser, voire à confiner à l’absurde, l’expression de quelque chose de plus complexe et qui apparaît dérivé d’un processus historique, avec des responsabilités partagées entre élites françaises et élites africaines. Ainsi, en quoi l’enchaînement des erreurs diplomatiques, couplées à des propos le plus souvent teintés d’un (néo)colonialisme douteux, aurait-il à voir avec un « sentiment » ? En quoi la dénonciation du discours de Nicolas Sarkozy affirmant que les « Africains [ne sont] pas assez entrés dans l’histoire » relèverait-il de l’irrationnel ? En quoi la contestation des opérations militaires au Sahel ayant fait des dizaines de morts civiles serait-elle irrationnelle ? En quoi la critique du F CFA et de son arrimage à l’euro, lancée par l’économiste égyptien Samir Amin, serait-elle irrationnelle ? Et, enfin, en quoi la revendication d’une souveraineté politique et économique, dont des figures emblématiques comme Kwame Nkrumah, Mongo Beti, Patrice Lumumba et Thomas Sankara auront été les fers de lance, serait-elle irrationnelle ?

Inverser le stigmate

Cela nous conduit donc à dire que les élites françaises ont fait le choix de la facilité, non seulement pour se dédouaner, mais également pour se dispenser d’avoir à reconnaître quelque légitimité à ces mouvements de contestation. Autrement, cela aurait sonné comme un aveu d’échec. Il convient, dès lors, d’inverser le stigmate. Voilà notre invitation aux populations africaines, et notamment les plus jeunes, celles de notre génération. Cette inversion du stigmate passe alors – pour reprendre à notre compte un lexique viral – par le fait de provoquer une « épidémie de rationalité », c’est-à-dire un ensemble d’actions visant à défendre les intérêts politiques et économiques du continent contre la France et contre toutes les puissances impérialistes.

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Car il convient de rappeler, toujours selon Fanon, qu’il faut se battre pour faire advenir la décolonisation dans les faits : « Nous ne sommes rien sur terre, disait-il, si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté. »

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