Tourisme : Marrakech fait le dos rond
Capacité d’accueil en hausse, nombre de visiteurs en baisse… Depuis l’attentat du 28 avril 2011, les hôtels haut de gamme de Marrakech, au Maroc, sont à la peine. Solutions : diversifier la clientèle et offrir de nouvelles prestations.
Première destination du Maroc, avec 50 % de la capacité touristique nationale, Marrakech appréhende une saison 2012 difficile. L’an passé, les professionnels ont dû faire face au Printemps arabe puis à l’attentat du 28 avril, qui a fait 17 morts sur la place Jemaa el-Fna, centre névralgique et symbole de la cité. Et la crise économique en Europe, dont sont originaires 67 % des visiteurs, n’est pas pour rassurer.
Le Centre régional du tourisme (CRT) de Marrakech annonce un nombre de nuitées en baisse de 7,8 % en 2010 et 2011. Les hôteliers ont réagi en réduisant leurs prix, en dépit de l’ajout d’une capacité de 5 630 lits supplémentaires ayant nécessité 314 millions d’euros d’investissement en 2011. « Avec 1,59 million de touristes en 2011, nous sommes à 75 % de notre objectif. On a perdu quasiment trois mois d’activité, et le taux d’occupation moyen des hôtels a baissé de 5 % », indique Abdellatif Abouricha, responsable de la communication du CRT de Marrakech.
Projets reportés
Le moral n’est pas au beau fixe dans l’hôtellerie de luxe, même si les quatre et cinq-étoiles (54 % des chambres de Marrakech) ont moins souffert que les autres (- 2 % de fréquentation pour les cinq-étoiles à fin septembre, – 16 % pour les deux-étoiles). Les grands investisseurs, du Golfe ou occidentaux, n’ont annulé aucun grand projet. Mais les ouvertures des luxueux Palais Namaskar, Taj Marrakech et Selman, initialement prévues en 2011, ont été reportées à 2012. Et chez ceux qui ont ouvert l’an passé, tels l’hôtel du Golfe, le Pullman ou le Four Seasons, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. Ainsi, pour ses 260 chambres, le Four Seasons annonce un taux d’occupation de 40 %. C’est peu par rapport aux 70 % attendus quand l’hôtel aura atteint son rythme de croisière. Le saoudien Kingdom Holding Company, qui y a investi près de 140 millions d’euros, peut être déçu.
L’an dernier nous avons perdu 25% de notre chiffre d’affaires.
Mohamed Zizi, directeur général de Golden Tulip
Alors que la haute saison a commencé le 15 janvier, la fréquentation n’est pas non plus celle des grands jours à La Mamounia, palace détenu à 60 % par l’Office national des chemins de fer (ONCF). Le mythique cinq-étoiles, ouvert dans les années 1920 et complètement rénové entre 2006 et 2009, affiche un taux d’occupation de 43 % en 2011, pour un objectif de 49 %. En semaine, à l’heure du déjeuner – la restauration assure 40 % de ses revenus -, seule une poignée de convives goûte aux plats des deux chefs doublement étoilés par le Guide Michelin. « Nous étions optimistes pour 2011, avec un très bon démarrage en janvier, se souvient Didier Picquot, directeur de La Mamounia. Mais fin mai, c’était terrible : le téléphone ne sonnait même plus pour les réservations. Et aujourd’hui, alors que le souvenir de l’attentat s’est estompé, la crise économique européenne arrive… » Même son de cloche au Golden Tulip, un quatre-étoiles. « En 2011, nous avons perdu 25 % de notre chiffre d’affaires. La baisse est similaire dans les autres grands établissements, mais plus élevée chez les indépendants », indique Mohamed Zizi, directeur général de la marque.
"Privatisation"
Pour résister, des hôtels haut de gamme proposent depuis la mi-2011 des prestations complémentaires. « Désormais, le transfert entre l’aéroport et l’hôtel est gratuit, ainsi que certains soins au spa. Nous faisons aussi des efforts sur la restauration », détaille Mohamed Zizi. Du coup, avec les baisses de prix et ces offres, le nombre de nuitées passées par la clientèle nationale a doublé (116 187 entre janvier et septembre 2011).
Les richissimes étrangers se voient quant à eux proposer la location complète de palaces, une solution plus rentable en cas de faible affluence : « Au début de l’été, saison basse à Marrakech, un grand entrepreneur norvégien a célébré son mariage à l’hôtel, sans autre présence que celle de ses invités », explique Didier Picquot, pour qui cette « privatisation » de La Mamounia est exceptionnelle.
Les établissements qui ont une composante résidentielle haut de gamme sont toutefois sereins sur leur équilibre financier. « Au Four Seasons, nos 23 villas de charme, comportant chacune trois ou quatre chambres et 1 000 m2 de terrain, se sont vendues en une journée entre 1 million et 1,5 million d’euros. Les redevances payées par les propriétaires – entre 1 000 et 2 000 euros par mois – et les frais de gestion assurent un revenu minimal », explique Nick Yarnell, directeur de l’hôtel, qui estime que son point d’équilibre est par conséquent à 35 % de taux d’occupation.
Brésil, Russie…
Une nouvelle source d’inquiétude, toutefois : onze hôtels quatre et cinq-étoiles doivent ouvrir en 2012. « Le nombre de chambres a augmenté de 26 % en 2011 sur le haut de gamme et devrait croître encore de 47 % d’ici à 2013. Cela fait beaucoup dans une conjoncture morose ! » juge Didier Picquot. Il espère toutefois que ces ouvertures « s’accompagneront d’une forte promotion commerciale de la destination, dont les retombées profiteraient à tout le monde ».
Côté marketing justement, les grands hôtels cherchent à se diversifier. Car les Français, premiers visiteurs de la ville (36,6 % en 2011), hésitent, avec la crise, à réserver des nuits dans des palaces. Les hôteliers se tournent donc vers les pays émergents et nordiques. « Les Brésiliens font partie de nos cibles prioritaires, indique Didier Picquot. En 2011, ils représentaient déjà 4 % de la clientèle de La Mamounia, et on espère faire mieux cette année. » Au Four Seasons, on table sur la clientèle brésilienne, américaine et scandinave, qui vient en famille et connaît bien la marque. Les établissements de prestige à l’atmosphère plus intimiste, comme le Royal Mansour, qui loue ses 53 riads de 150 m2 avec un personnel de dix employés chacun, ciblent quant à eux une clientèle huppée russe et moyen-orientale.
Reste que, malgré les difficultés rencontrées, les professionnels continuent de croire en Marrakech. « La destination reste incomparable, s’enthousiasme Nick Yarnell. La ville est aux portes du désert et de la montagne, l’hiver est beau et sec, il y a une multitude d’activités culturelles et sportives… Et, surtout, une vie nocturne inégalée dans la région. Même si en ce moment il faut faire le gros dos, je n’ai pas de crainte pour l’avenir. »
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Christophe Le Bec, envoyé spécial
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