RDC – Nicolas de Rivière : « Les sanctions ne sont pas notre option préférée »
L’ambassadeur de France auprès des Nations unies était dans l’est de la RDC au début de mars, quelques jours après qu’Emmanuel Macron, en visite à Kinshasa, a brandi la menace de mesures coercitives si les combats entre le M23 et l’armée congolaise devaient se poursuivre.
Dans le territoire de Nyiragongo, plusieurs milliers de tentes blanches, plantées dans l’urgence, s’étendent à proximité du volcan du même nom. Depuis le mois de janvier, ces camps accueillent des Congolais que les attaques des rebelles du M23 dans la région du Nord-Kivu ont contraint à se replier ici.
Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime à plus de 230 000 le nombre de civils réfugiés sur les sites du Nyiragongo. C’est dans celui de Bushagara que s’est achevée, le 12 mars, la visite d’une délégation du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle s’était auparavant rendue à Kinshasa, puis à Goma, dans l’est du pays.
À la tête de cette délégation, le représentant permanent de la France auprès de l’ONU, qui a décrit lors d’une conférence de presse « un spectacle de désolation ». Nicolas de Rivière a également dénoncé le soutien qu’apporte le Rwanda au M23 – « il n’est plus à démontrer », a-t-il dit en dépit des démentis de Kigali – et les « incursions de l’armée rwandaise régulière dans le Nord-Kivu ».
« N’attendez pas de l’ONU qu’elle règle la situation comme par magie et de manière instantanée à la place des autorités congolaises », a ajouté l’ambassadeur au cours de la même conférence de presse. Un discours qui n’a pas plu à Kinshasa. Dès le lendemain, Christophe Lutundula, le ministre congolais des Affaires étrangères, a dénoncé des propos « extrêmement graves » et qualifié d’ « erreur » le fait de croire « que les autorités de ce pays pensent que les Nations unies, ou même qu’un pays au monde, puisse résoudre les problèmes des Congolais ». La visite des représentants du Conseil de sécurité doit se conclure, à la fin de mars, sur une déclaration officielle, la dernière remontant à juillet 2022.
La position de Paris est-elle intenable ? Des sanctions peuvent-elles être décidées ? Où se situent les responsabilités ? Ambassadeur de France à l’ONU depuis 2019, Nicolas de Rivière répond aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Décréter des cessez-le-feu dans l’Est sert-il encore à quelque chose ? Celui du 7 mars n’a pas été davantage respecté que les deux précédents…
Nicolas de Rivière : Il est toujours extrêmement frustrant de voir qu’un engagement tel que celui-ci n’est pas tenu, d’autant que la situation dans l’Est est très préoccupante et ce, malgré les efforts en cours et les médiations que mènent Luanda et Nairobi pour tenter de trouver une solution politique.
Il est absolument essentiel que l’on puisse enfin s’engager dans un processus politique qui englobe tous les protagonistes. C’est le message que l’on a souhaité faire passer lors de notre visite. Nous avons aussi appelé tous les groupes armés à cesser leurs activités et à rentrer chez eux. De même, nous avons demandé à tous ceux qui se rendent responsables d’actes d’ingérence de cesser de s’y livrer.
De passage à Kinshasa au début de mars, quelques jours avant la visite de la délégation onusienne, le président français, Emmanuel Macron, a brandi la menace des sanctions dans l’éventualité où le cessez-le-feu ne serait pas respecté. Cette option est-elle vraiment sur la table ?
L’ONU a déjà établi un régime de sanctions à l’encontre de la RDC. Il ne vise pas les autorités congolaises, mais certaines mesures restrictives existent bel et bien, même si celles portant sur les approvisionnements en armes et en matériel ont récemment été levées.
Il est juridiquement possible de placer sous sanctions les personnalités qui entravent le processus de paix. Le chef du M23 est sous le coup de sanctions de l’ONU, et son porte-parole est visé, depuis décembre 2022, par des mesures similaires décidées, elles, par l’Union européenne (UE).
Des sanctions peuvent donc être prises, comme l’a clairement indiqué le président français lors de sa visite. Mais ce type de décision n’est pas du seul ressort de la France : s’agissant de l’UE, par exemple, les Européens doivent nécessairement se mettre d’accord. De même, à l’ONU, un accord doit être trouvé au sein du Conseil de sécurité.
Ceci étant, les sanctions ne sont pas notre option préférée. Nous préférerions que les différents protagonistes s’entendent pour mettre un terme à la crise. À Goma, la situation est tragique : des milliers de personnes ont été déplacées dans des conditions épouvantables, des crimes horribles sont commis. J’ai vu des femmes qui avaient été violées, des populations qui souffrent… Il faut absolument que cela cesse.
Vous avez dit vous-même, le 12 mars, que le soutien du Rwanda au M23 « n’est plus à démontrer ». Des responsables rwandais pourraient-ils être visés par ces sanctions, et si oui, quelle forme ces dernières pourraient-elles prendre ?
Tout est possible, mais on n’en est pas là. Les sanctions peuvent déjà viser le M23 et les autres groupes armés qui sévissent dans l’Est, tels que les ADF [Forces démocratiques alliés] ou la Codeco [Coopérative pour le développement du Congo]. Pour l’instant, ceux qui sont ciblés sont les groupes qui sévissent en toute illégalité. La pression que l’on exerce sur eux va augmenter.
À cet égard, la France s’est fortement mobilisée pour que la force régionale de l’EAC [East African Community] conduite par le Kenya et par d’autres puisse se déployer et avancer. On doit, par ailleurs, aider la Monusco à remplir son mandat dans l’Est, et clarifier nos attentes, puisqu’elle n’a pas de mandat offensif et qu’il y a, à ce sujet, encore beaucoup de malentendus.
Emmanuel Macron est-il allé suffisamment loin dans sa condamnation du Rwanda ?
En tant qu’ambassadeur de France, je ne peux que souscrire à ce qu’a dit le président de la République. Sa visite a été très importante puisqu’elle était un message de soutien et de solidarité à la RDC.
Mais, dans le même temps, ce pays doit faire sa part du chemin. L’efficacité des forces armées congolaises est un vrai sujet [de préoccupation] tout comme le fait que des armes leur appartenant finissent entre les mains de groupes armés, comme l’ont établi des rapports d’experts des Nations unies. Il existe aussi, on ne peut le nier, une ingérence extérieure directe ou indirecte dans l’Est de la RDC.
Les protagonistes régionaux doivent faire prévaloir la sagesse et la raison, se mettre à négocier de bonne foi et respecter leurs engagements.
Mais comment expliquez-vous que ni les FARDC ni la force régionale conjointe ne parviennent à venir à bout du M23 ?
Comme je le disais, il y a un véritable sujet [d’interrogation], connu et ancien, quant au niveau et à l’efficacité opérationnelle des FARDC. S’agissant de la force régionale, son mandat commence tout juste. Il faut être patient puisqu’elle est en cours de déploiement. Et force est de constater qu’en face le M23 est assez bien organisé, assez efficace et clairement soutenu de l’extérieur.
On est dans une zone très dangereuse, dans laquelle il y a eu beaucoup de massacres et beaucoup de discours de haine, des appels au meurtre de tous côtés. Il faut que cela cesse. La situation est inflammable. On connaît l’histoire de ces vingt ou trente dernières années dans la région. Personne ne veut que cela recommence.
Le Rwanda a-t-il raison de dire que la RDC cherche à se servir de la guerre pour retarder le scrutin présidentiel ?
Nous avons aussi évoqué à Kinshasa, y compris avec le président Félix Tshisekedi, l’échéance électorale de décembre prochain. Nous sommes encore au mois de mars, et si l’on en croit les réponses des différents protagonistes que nous avons interrogés, la volonté d’aller aux élections dans le respect des délais constitutionnels est claire.
Reste la question de leur organisation dans l’Est, à laquelle il faut trouver une réponse opérationnelle et pratique. Mais la délégation du Conseil de sécurité n’est pas repartie du pays avec le sentiment que les élections ne seraient pas tenues.
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