[Série] Les barons ouest-africains des engrais
Clé de voûte du secteur agricole, l’approvisionnement en fertilisant représente un marché stratégique, qui réunit quelques acteurs de poids et une galaxie d’autres opérateurs aux grandes ambitions. Plongée dans un milieu à cheval entre l’économie et la politique.
[Série] Les barons ouest-africains des engrais
Sur le continent comme ailleurs, les intrants sont quasi-indispensables à la sécurité alimentaire. Un aspect qui les rend particulièrement attractifs pour quelques géants de l’agriculture, qui aimeraient garder leur monopole alors que des champions régionaux émergent…
« Tu vas entrer dans une mafia ! » C’est la mise en garde d’un connaisseur du monde agricole ouest-africain à l’évocation du projet de Jeune Afrique de réaliser une série sur les acteurs phares des engrais dans la région.
Demeurée à l’arrière-plan ces dernières années, la question de l’approvisionnement en intrants est revenue sur le devant de la scène avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, au début de 2022. Alors qu’avec la Biélorussie, tous trois sont d’importants fournisseurs mondiaux d’engrais et de matières premières servant à leur fabrication, le conflit initié par Moscou a crispé le marché, engendrant flambée des prix et pénuries.
Sécurité alimentaire
En Afrique de l’Ouest, comme sur l’ensemble du continent, la situation est critique pour deux principales raisons. D’une part, la production locale d’intrants est très limitée, ce qui rend le secteur agricole dépendant des importations. D’autre part, les acheteurs – États, acteurs privés de l’agribusiness, coopératives ou encore petits paysans – disposent d’un budget contraint, tout en faisant face à des écueils logistiques qui compliquent l’accès aux produits.
Or, que ce soit pour les cultures d’export comme vivrières, les engrais apparaissent indispensables au maintien d’un bon niveau de production, ce qui garantit la sécurité alimentaire des pays et le dynamisme du secteur primaire, important contributeur au produit intérieur brut (PIB) des économies de la région.
Sur la zone ouest-africaine, cela représente un marché de 2,1 milliards de dollars, à raison de 3,5 millions de tonnes tout produit confondu en 2022, vendu en moyenne 600 dollars la tonne, selon l’International Fertilizer Development Center (IFDC, Centre international pour le développement des engrais), organisation à but non lucratif qui promeut l’accès aux engrais et la diffusion d’informations sur le secteur.
Marché monopolistique
Aujourd’hui, et bien que l’Union africaine (UA) a fixé dès 2006 un objectif de consommation d’intrants de 50 kg par an et par hectare en 2015, l’Afrique de l’Ouest (comme plus largement l’Afrique subsaharienne) affiche l’une des plus faibles consommations mondiales, en moyenne 20 kg par an et par hectare.
Ce contexte explique la mobilisation internationale, sous l’égide du Programme alimentaire mondial (PAM), pour procéder à des dons de produits. Intervenus dans plusieurs pays, dont le Burkina Faso, le Ghana, le Sénégal et la Guinée, ceux-ci ont été réalisés par des institutions comme la Banque africaine de développement (BAD) mais aussi par les géants privés du secteur, notamment le groupe marocain OCP, leader sur le continent, et le russe Uralchem-Uralchali, son concurrent.
Il fait aussi ressortir les caractéristiques peu glorieuses mais bien réelles du milieu ouest-africain des engrais. « C’est un marché monopolistique, où un petit nombre de fournisseurs doit répondre à une forte demande », explique Ollo Sib, analyste du PAM pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. « Ce marché est aussi dépendant du pouvoir politique, qui fixe les règles de production et d’exportation et, dans certains pays, se charge, via des sociétés nationales, des appels d’offres pour l’approvisionnement des filières clés comme le coton, reprend le chercheur. Autrement dit, c’est un marché où la compétition et la transparence demeurent limitées. »
Champions régionaux
Un tour d’horizon des acteurs en présence le confirme. En Afrique de l’Ouest, seuls deux géants mondiaux opèrent – OCP et PhosAgro, mastodontes du phosphate – aux côtés de quelques grands négociants, dont la société suisse Ameropa, le groupe américain Nitron, le dubaïote Fertagro et le conglomérat panafricain Export Trading Group (ETG). Ils jouent le rôle de fournisseurs des quelques acteurs locaux (importateurs-distributeurs) qui achètent puis revendent les engrais sur leur marché national et, pour certains, dans les pays voisins.
« Les marchés nationaux étant d’une taille limitée, nous voyons émerger des champions régionaux comme Indorama, Toguna et Solev », souligne Patrice Annequin, représentant à Abidjan de l’IFDC. Sans oublier un acteur de taille, qui a récemment fait son entrée dans le secteur en pariant sur la production locale, à savoir le magnat nigérian Aliko Dangote.
Alors que les prix des engrais ont commencé à baisser et s’affichent désormais à un niveau inférieur au pic de 2022 mais supérieur à celui d’avant le Covid-19, qui sort gagnant de la période ? Quel acteur présente la plus solide stratégie pour s’imposer en Afrique de l’Ouest ? Les champions d’aujourd’hui seront-ils ceux de demain ? Réponse en quatre épisodes avec cette série consacrée aux rois ouest-africains des engrais.
Retrouvez tous les épisodes de cette série :
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[Série] Les barons ouest-africains des engrais
Sur le continent comme ailleurs, les intrants sont quasi-indispensables à la sécurité alimentaire. Un aspect qui les rend particulièrement attractifs pour quelques géants de l’agriculture, qui aimeraient garder leur monopole alors que des champions régionaux émergent…
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