Les chefs et les « makayas »
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 9 février 2012 Lecture : 3 minutes.
Gabon : faut-il croire à l’émergence ?
Il est loin le temps où l’on surnommait Ali Bongo Ondimba « Baby Zeus »… Plus de deux ans après son investiture, le troisième président du pays (Rose Francine Rogombé a été chef de l’État par intérim de juin à octobre 2009) a pris ses marques, installé ses hommes, mis de côté progressivement ceux qu’il estimait inutiles, incompétents, indélicats ou dépassés, et assis son pouvoir. Désormais, c’est Zeus, tout court. Héritier naturel d’un système usé jusqu’à la corde et rejeté, malgré une inclination certaine au « paternalisme », par la population, élu au terme d’un scrutin contesté en août 2009 et promis aux griffes d’une opposition subitement dopée par l’apport d’anciens caciques de Bongo père, « Ali », comme l’appellent ses compatriotes, était pourtant, à l’orée de son mandat, face à un mur dont beaucoup pensaient qu’il serait infranchissable.
Seule reste pour faire contrepoids une société civile très politisée.
Sa légitimité ? À acquérir. Le socle de son pouvoir ? Fragile (ses deux principaux opposants en 2009 avaient recueilli plus de la moitié des voix). Sa mission ? Incarner le changement, alors que lui comme ses principaux soutiens étaient issus de l’ancien système. Et remettre en marche un pays frappé de léthargie aiguë depuis de longues années, changer les mentalités, moderniser l’État, moraliser des moeurs politiques et financières déviantes mais érigées en mode de gouvernance, préparer l’avenir tout en affrontant l’urgence, une économie en crise, des ressources pétrolières en baisse et une diversification qui n’avait jamais dépassé le stade du voeu pieux… Bref, pas de quoi pavoiser lors de son investiture en octobre 2009.
Mais la tourmente promise n’a pas eu lieu et la situation se révèle finalement inverse. Ali Bongo Ondimba (ABO) évolue sur une voie royale. Ses troupes, les « soldats » du Parti démocratique gabonais (PDG), ont fait main basse sur le Parlement, alors qu’on lui promettait une houleuse cohabitation à l’issue des législatives de décembre dernier.
Son pire ennemi, ex-proche parmi les proches, André Mba Obame, a quasiment disparu des écrans radar. L’ancien ministre de l’Intérieur d’Omar s’est sabordé le jour où il s’est proclamé président de la République à retardement, se réfugiant dans la foulée dans les locaux du Pnud, en espérant peut-être que le pouvoir de Libreville commette l’erreur de le transformer en martyr politique. « Un opposant comme celui-là, on le garde ! » nous expliquera même un jour le chef de l’État… Depuis, l’opposition n’est plus la même. L’Union nationale, club très sélect de dissidents du PDG, créatures du père qui n’ont guère goûté l’avènement au forceps du fils, dissoute, et Pierre Mamboundou, opposant le plus constant et le moins sensible aux ors et aux prébendes de la République, décédé, seule reste pour faire contrepoids une société civile très politisée.
Une aubaine pour ABO et le PDG, un problème pour le Gabon. De Tchibanga à Oyem, en passant par Libreville, Port-Gentil ou Franceville, les joutes politiciennes des « grands quelqu’un » n’intéressent plus, depuis longtemps, les makayas (hommes de la rue). Pis, la politique, la vraie, non plus.
Absence de débats de fond, manque de passerelles entre les partis, l’opinion, la société civile, les autorités morales et la diaspora : tout s’analyse à l’aune de l’appartenance à un camp – politique comme ethnique – ou à un autre, tout se discute à fronts renversés, avec pour seul objectif l’obtention de la plus grosse part du « gâteau » que représentent les richesses du pays. Neutralité comme recherche de l’intérêt général ont disparu du lexique usuel. Et l’arbre à palabres, celui sous lequel s’élabore l’avenir du grand village gabonais, a été déraciné. Ne serait-il pas temps de le replanter ?
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