France : qui a peur de François Bayrou ?

Depuis deux mois, le candidat à la présidentielle française François Bayrou fait une percée dans les sondages. Avec 14 % d’intentions de vote, le centriste commence à inquiéter le PS et l’UMP. En dépit de sa nouvelle popularité, il lui reste à convaincre les électeurs que le costume de président n’est pas trop grand pour lui.

François Bayrou en campagne à Ronchamp (est de la France), début janvier. © AFP

François Bayrou en campagne à Ronchamp (est de la France), début janvier. © AFP

Publié le 6 février 2012 Lecture : 4 minutes.

« Drôle de campagne ! » lâche Pierre Moscovici, bien placé pour en juger puisqu’il dirige celle de François Hollande, candidat socialiste à la présidentielle française. Son dernier épisode, la subite remontée de François Bayrou, n’est pas drôle pour la gauche, et moins encore pour la droite. Il risque d’offrir en fin de course une alternative jusqu’alors inimaginable à tous ceux qui persistent à rejeter Nicolas Sarkozy, comme aux indécis, encore nombreux parmi les sympathisants socialistes – les uns et les autres se rejoignant dans un même désir de punition, mais ayant appris en 2002 l’inutilité des votes extrêmes.

Quand bien même serait-elle quelque peu surexposée par les scénaristes du feuilleton présidentiel, l’apparition-surprise d’une dynamique Bayrou fait l’unanimité des sondeurs. Avec un Dominique de Villepin entre 1 % et 2 % d’intentions de vote et un Hervé Morin cruellement baptisé « candidat yaourt » parce qu’il est toujours à 0 %, le Béarnais est le mieux placé des centristes, mais pas seulement.

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De tous les prétendants, il est celui qui a le plus progressé depuis le début de décembre. En un mois et demi, il a doublé (à 14 %) son capital de premier tour. Après avoir gagné 20 points de popularité en cinq mois, il est devenu le dirigeant préféré des Français : privilège d’autant plus valorisant que l’image, selon toutes les études de sondages, détermine de plus en plus les votes ; à plus forte raison dans le désarroi actuel d’une opinion qui juge à 72 % que la campagne reste éloignée de ses préoccupations comme de ses attentes.

Lui-même s’estime en meilleure posture qu’il y a cinq ans, où il n’était « peut-être pas tout à fait prêt… et les Français non plus », commente ce social-démocrate chrétien, avec un rien d’angélisme. Cette fois, il est parti « au bon moment », propulsé comme « une fusée » par l’humiliante dégradation de la France par une agence de notation qui donne enfin raison à ses constants avertissements. 

Bayrou, centriste ou "populiste" ?

Dès sa candidature de 2002, il dénonçait les dangers de l’endettement et proposait la règle d’or budgétaire, sous les sarcasmes d’une droite qui dépensait et défiscalisait sans prudence et d’une gauche qui réclamait toujours plus, au Parlement comme dans la rue. Pour obtenir l’équilibre en 2015, il propose un programme de 100 milliards d’économies et de recettes au rythme de 30 milliards par an, plus 15 milliards pour la demi-année 2012. Il reconnaît qu’il faudra des réformes de structure, sans trop se hasarder sur ce terrain périlleux, alors que la seule reprise du projet de TVA sociale a fait perdre deux points de confiance à Nicolas Sarkozy après avoir coûté à sa majorité une cinquantaine de sièges aux législatives de 2007.

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Taxé de « populisme » par Marine Le Pen, « une experte en la matière », il s’indigne que ce mot soit devenu l’insulte la plus fréquente du langage politique. Oui, il est « populo », et alors ? Il raconte qu’il a grandi dans un tout petit village où on s’adressait à son père « comme à un bouseux », termine en retournant contre Sarko sa « rupture » dévoyée de 2007.

Avec qui gouvernerait ce solitaire s’il venait à être élu ? Mystère.

À gauche comme à droite, on s’interroge avec un début d’inquiétude. Bayrou reste certes le solitaire qu’il a toujours été, candidat hors système et sans parti. Avec quelle majorité gouvernerait-il s’il était élu, comme il l’annonce avec sans doute plus d’aplomb que de conviction ? Ses incantations à l’union nationale ne suffiront pas à combler les vides d’un centrisme divisé – y compris contre lui-même. Voilà qui est vrai. Mais les électeurs « sont tellement perdus et déboussolés, remarque l’invité d’un débat médiatique, que tout est possible ». L’UMP Hervé Novelli admet qu’« il y a une chance, ou un risque, que Bayrou se qualifie au second tour, car il peut incarner une alternative au chef de l’État (le risque ?) comme au candidat de la gauche (la chance ?) ».

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Une ancienne ministre socialiste renchérit : « Bayrou prend chez nous et à droite. » Les enquêtes des instituts confirment et complètent : il mord sur la gauche de la droite et sur la droite de la gauche. Il n’est pas jusqu’à Jean-Marc Ayrault, le président du groupe socialiste à l’Assemblée, qui ne juge utile de mettre en garde contre une victoire de ce « prince de l’équivoque », qui signifierait le retour à la IVe République. Encore la gauche a-t-elle l’avantage de tenir avec François Hollande le plus « central » de ses candidats ; avec Martine Aubry ou Arnaud Montebourg en face de lui, le prédateur Bayrou serait autrement plus à craindre.

L’Élysée affecte de nier le danger. Le Béarnais a certes doublé son score, mais il avait démarré très bas. Au mieux, il approchera ses 18,5 % de suffrages de 2007.

Alors que Le Monde voit déjà la peur de l’échec s’installer à l’UMP comme au palais présidentiel, certains stratèges du chef de l’État commencent à regretter d’avoir poussé le radical Jean-Louis Borloo à l’abandon alors qu’il aurait été plus efficace comme candidat pour contrer Bayrou au sein de son propre électorat, avec l’assurance en plus qu’il ferait voter au second tour pour le président sortant. On rattrapera cette erreur tactique en lui demandant de s’engager à fond dans la campagne afin de maintenir Bayrou à sa quatrième place et l’empêcher d’accéder à la position redoutée de « troisième homme » de recours.

L’emploi du masculin est à revoir puisque la place est solidement tenue par Marine Le Pen, dont la menace, à deux points seulement de Sarkozy dans les intentions de vote (21-23), apparaît à de nombreux experts beaucoup plus crédible que celle d’un surgissement décisif de Bayrou. Encore faudrait-il que la baisse persistante du président ne tourne pas à l’effondrement irréparable. Oui vraiment, drôle de campagne… 

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