Les fleurs du Printemps arabe se sont-elles déjà fanées ?

Nesrine Briki est écrivaine et journaliste algérienne.

Pancarte représentant une photo qui a choqué l’opinion, le 19 décembre au Caire. © AFP

Pancarte représentant une photo qui a choqué l’opinion, le 19 décembre au Caire. © AFP

Publié le 2 février 2012 Lecture : 3 minutes.

Foule en colère, foule en délire, comme étonnée par l’incroyable pouvoir qu’elle se découvre. Si l’inconscient collectif devait résumer l’actualité de 2011, une image s’imposerait d’elle-même : celle d’individus insatisfaits de leur condition et qu’une impulsion commune réunit afin de rompre avec ce qui est. Mais, à l’exemple d’un nombre important de citoyens algériens de plus de 30 ans, j’ai eu la désagréable sensation que ces révolutions, aussi spontanées que soudaines, avaient un goût d’octobre 1988.

Le 5 octobre 1988, la jeunesse algérienne s’était soulevée pour manifester son désir de changement. Une contestation inattendue, chaotique et dépourvue de revendications claires, laquelle fut sévèrement réprimée par l’armée au prix de 500 morts. Récupéré par ce qui deviendra plus tard les partis islamistes, ce mouvement entraînera dans un enchaînement de causes et d’effets l’arrêt du processus électoral en 1992, la démission du président Chadli Bendjedid et l’avènement d’une ère sanglante que les historiens consignent sous le nom de décennie noire.

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J’ignore si c’est le fruit d’un conditionnement voulu par ceux d’en haut, comme se plaisent à le dire les pourfendeurs de la théorie du choc, l’oeuvre d’un processus mental réducteur ou simple ignorance de ma part, mais je suis incapable de dissocier les images de soulèvements populaires de l’apocalyptique décennie noire algérienne.

Le mot « révolution » vient du latin revolutio, de revolvere, qui signifie « ramener en arrière ». En astronomie, une révolution est le retour d’un astre, après un cycle de mouvement, à son point initial. À la lumière de ces définitions, une révolution consiste à partir d’un point schématique précis pour évoluer, le dépasser et fatalement y revenir. Parallèlement, le sens moderne qu’a pris le mot révolution est bien celui d’une rupture brutale et irrémédiable de l’ordre établi. Ce qui est incontestable pour les pays du Printemps arabe, puisque ce qui était a cessé d’être et que les figures représentatives du pouvoir absolu ont été définitivement écartées. Mais les raisons pour lesquelles Ben Ali, Kadhafi, Moubarak, Saddam Hussein et autres « dictateurs » ont pu arriver au pouvoir et s’y maintenir demeurent, au premier rang desquelles une certaine forme d’absence de vie politique qu’ils ont su exploiter.

Comme dans les années 1990 en Algérie, on assiste aujourd’hui dans les pays « néolibres » à un étonnant « bourgeonnement démocratique » ; les formations politiques de tous bords se créent dans l’urgence dans un contexte marqué par l’organisation d’élections et la vacuité du pouvoir. Là encore, le caractère inédit de la situation fait que le gagnant sera celui qui exploitera au mieux les problèmes immédiats ou qui aura la meilleure tribune… Il n’est finalement pas si surprenant que les partis dits islamistes soient avantagés. D’abord parce que certaines mosquées peuvent se transformer sous certaines conditions en tribunes politiques bénéficiant d’une visibilité maximale. Ensuite parce que, face aux souffrances endurées, les gens ont fini par se méfier incons­ciemment de l’idée même d’action politique. Quelle meilleure source de légitimité dans ces conditions que celle de l’autorité divine ?

J’induis de tout cela que les causes ou les germes de ces révolutions n’ont pas disparu. C’est juste le début d’un nouveau cycle, le commencement d’une révolution qui, comme pour les astres, finira fatalement par revenir à son point de départ. Je n’ai pas la prétention d’apporter une réponse définitive à l’interrogation contenue dans le titre de cet article. En revanche, un penseur des XIXe et XXe siècles, Gustave Le Bon, m’a fait beaucoup méditer sur cette question. Je vous livre ici un passage intéressant de Psychologie des foules : « Les véritables bouleversements historiques ne sont pas ceux qui nous étonnent par leur violence. Les seuls changements importants, ceux d’où le renouvellement des civilisations découle, s’opèrent dans les idées, les conceptions et les croyances. Les événements mémorables de l’Histoire sont les effets visibles des invisibles changements de la pensée des hommes. Si ces grands événements se manifestent si rarement, c’est qu’il n’est rien d’aussi stable dans une race que le fond héréditaire de sa pensée. ».

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