Pétrole : le jeu dangereux de l’Arabie Saoudite
Pour continuer à acheter la paix sociale, Riyad a choisi de faire monter les cours de l’or noir. Un choix qui n’est viable ni politiquement ni économiquement.
Seul pays à pouvoir prétendre contrôler le prix mondial du pétrole, l’Arabie saoudite a peut-être visé trop haut en se fixant pour objectif de le porter de 75 à 100 dollars le baril. Certes, le contexte international actuel renforce son emprise sur le marché à court terme. Mais, au niveau intérieur et extérieur, la stratégie saoudienne sème les graines de sa propre ruine.
Grâce à ses énormes réserves et à des coûts d’extraction relativement bas, Riyad a le doigt posé sur la jauge du brut mondial. Mais sa main obéit à des contraintes politiques internes. Le Printemps arabe a placé le régime wahhabite sous une pression réformiste sans précédent. Celui-ci a réagi en abreuvant la population d’avantages matériels substantiels, puisant l’an dernier 129 milliards de dollars (96 milliards d’euros) dans ses économies. Mais ces largesses anesthésiantes ne sont viables ni politiquement ni économiquement. Les Saoudiens, mécontents, ne se laisseront probablement pas acheter : au-delà des revendications matérielles, leurs doléances ciblent le conservatisme étouffant et l’inertie politique du royaume. Noyer le problème sous un flot d’argent pourrait même, à terme, renforcer les exigences de changement politique.
Déséquilibre financier
La perspective de voir l’État rentier construire une économie productive s’éloigne de plus en plus.
Si, dans l’immédiat, ces dépenses calment la contestation, elles risquent de peser lourd à long terme. Selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), les finances publiques saoudiennes ne peuvent désormais trouver leur équilibre qu’avec un baril à 80 dollars, contre 20-25 dollars il y a une décennie. Et ce seuil pourrait encore s’élever si le royaume continue de recourir à d’irréversibles dépenses pour régler chaque nouvel épisode de troubles. Alors qu’une part toujours croissante des revenus d’exportation est engloutie par la consommation, la perspective de voir l’État rentier construire une économie productive s’éloigne de plus en plus. En outre, Riyad ne devrait pas considérer comme acquise sa capacité à faire monter les cours. Les difficultés d’approvisionnement en pétrole libyen et iranien lui permettent de le faire sans avoir à limiter sa production dans une proportion qui pèserait trop sur les bénéfices. Mais cette situation ne durera pas éternellement, et le maintien du cours du pétrole à un niveau élevé va inciter les importateurs à limiter leur consommation.
En 2011, le cours moyen du brent a dépassé pour la première fois la barre des 100 dollars. Ce qui pourrait devenir une norme douloureuse, les revirements saoudiens empêchant une baisse des prix au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). L’économie mondiale va d’abord en souffrir, mais elle finira par s’ajuster avec le temps. Le marché s’adapte : les pays consommateurs réagiront en économisant et en investissant dans des sources d’énergie et des technologies plus performantes. Les préoccupations en matière de sécurité énergétique ou de changement climatique pourraient accentuer ce processus. La tactique de Riyad consistant à « s’acheter un délai » n’est pas prudente et pourrait au bout du compte générer davantage de problèmes, à l’intérieur comme à l’international.
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© Financial Times et Jeune Afrique 2012
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