Tunisie : trois femmes d’influence dans la Constituante
Meherzia Labidi, Lobna Jeribi et Maya Jribi. La première est vice-présidente de la Constituante tunisienne, la deuxième députée de la majorité (Ettakatol) et la troisième membre de l’opposition parlementaire. Leur mot d’ordre commun : le respect de l’autre.
Lors de certaines séances de la Constituante tunisienne, une voix chantante, teintée d’un accent indéfinissable se fait entendre du haut du perchoir. Il s’agit de Meherzia Labidi, première vice-présidente de l’Assemblée, qui remplace au pied levé le président, Mustapha Ben Jaafar. Inconnue jusqu’aux élections du 23 octobre dernier, cette binationale, tête de liste d’Ennahdha dans la circonscription France 1, a des allures attendrissantes de mère poule, mais n’en mène pas moins les débats avec autorité. On est loin du cliché qui voudrait que les élues du parti islamiste soient des figures effacées, propulsées à l’Assemblée pour cause de parité obligatoire.
Meherzia Labidi, qui se déclare « Tunisienne d’ici et maintenant », est déterminée à agir pour le bien du pays : « Même si les avis divergent, la Tunisie nous unit ; c’est une tâche suprême que de participer à la rédaction de la Constitution. »
Meherzia Labidi, Franco-Tunisienne de 49 ans, députée d’Ennahda pour la circonscription France 1.
© Ons Abid
Elle encourage vivement les Tunisiennes non seulement à entrer en politique, mais à élargir leur participation à la vie publique : « L’action ne s’exerce pas uniquement au niveau du gouvernement. Les femmes doivent s’engager aussi bien au sein des partis que dans les régions. » Avec une fermeté sereine, elle tempère des débats parfois houleux, car « il faut respecter tous les points de vue sans que l’émotion ne prenne le pas sur le dialogue. Notre mission est de répondre aussi aux attentes très fortes du peuple ». Optimiste, Meherzia Labidi a fait sien le dicton « Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin ».
Transparence
Agir ensemble est également un impératif pour Lobna Jeribi, l’une des députées d’Ettakatol, qui avait été pressentie pour être secrétaire d’État chargée des Technologies de l’information et de la communication (TIC). « Au sein de l’Assemblée, le réseau de femmes est un réel vecteur de communication qui permet de prendre des initiatives de manière concertée afin d’infléchir des tendances », souligne celle qui est entrée en politique par patriotisme.
Lobna Jeribi, 39 ans, députée d’Ettakatol, docteur en systèmes d’informatique, a été pressentie pour être secrétaire d’État chargée des Technologies de l’information et de la communication.
© Ons Abid pour J.A.
Dynamique et rayonnante, Lobna Jeribi est à l’écoute de toutes les opinions, tout en défendant bec et ongles l’adoption par la Constituante du principe d’Open Governance : « La transparence et la démocratie participative sont essentielles pour la Constitution. Les données et le contenu des débats doivent être accessibles à tous. Il est primordial de permettre aux citoyens d’accéder aux informations qui les concernent. N’oublions pas combien le peuple a souffert de l’omerta en vigueur sous l’ancien régime. » En synergie avec des associations de la société civile, Lobna Jeribi a rallié à cette cause des membres de partis de tous bords. « Chaque formation a un noyau dur, mais les jeunes compétences apportent un nouveau souffle et constituent une classe politique naissante, animée par la volonté sincère d’asseoir le pays sur des bases solides. Ettakatol, critiqué pour avoir accepté de faire partie de la troïka [avec le Congrès pour la République et Ennahdha, NDLR], a une approche pertinente qui permet de dialoguer de l’intérieur, d’impulser des orientations et de veiller à la sauvegarde des valeurs démocratiques. La vigilance est l’affaire de tous, et la liberté d’expression ne sera plus jamais confisquée. »
Contre-pouvoir
Face à ces représentantes de la majorité, Maya Jribi s’est imposée comme chef de l’opposition parlementaire. Son éloquence et sa grande maîtrise du discours politique font de chacune de ses prises de parole un temps fort des débats. Candidate à la présidence de l’Assemblée, la secrétaire générale du Parti démocrate progressiste (PDP) a vu sa popularité grimper en flèche après avoir analysé publiquement l’échec de sa formation aux élections et soutenu les manifestants du Bardo venus réclamer un meilleur équilibre des pouvoirs.
Maya Jribi, biologiste de 52 ans, est la secrétaire-générale du PDP. Cette ancienne militante de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) est la première femme à diriger un parti politique tunisien.
© Ons Abid pour J.A
Militante dans l’âme, elle est convaincue que pour remettre le processus démocratique en marche il est indispensable de travailler avec la société civile. Elle est l’une des rares personnalités politiques à avoir pointé du doigt la question de la répartition des pouvoirs et à dénoncer les similitudes entre le discours d’Ennahdha et celui de l’ancien parti au pouvoir. « L’opposition joue le rôle de contre-pouvoir ; le temps de l’opinion unique est révolu », martèle-t-elle. De même s’inquiète-t-elle de la durée indéterminée de la phase de transition. Sans jamais se départir d’une grande dignité, elle aborde ouvertement les sujets qui fâchent, comme les intrusions des salafistes sur la scène sociale, et rappelle que « l’islam est censé être modéré et tolérant » et que « l’on est censés vivre tous ensemble en dépit de nos différences ».
Meherzia, Lobna et Maya, figures phares de la Constituante, combattent sur de multiples fronts, parfois différents, et peuvent même s’opposer, mais toutes les trois sont unies par la défense de la démocratie et la sauvegarde des acquis sociétaux. Puissent leurs pairs masculins en prendre de la graine.
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Frida Dahmani, à Tunis
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