Syrie : pourquoi Bachar Al-Assad résiste encore
Malgré l’intensification de l’insurrection armée et des pressions internationales, le président syrien, Bachar Al-Assad, plie, mais ne rompt pas. Son recours habile à plusieurs atouts maîtres n’y est pas étranger.
Dans l’immédiat, le président Bachar al-Assad ne semble pas près d’être renversé ou de s’effondrer. Il continue de résister au soulèvement populaire et aux pressions internationales. Dans son discours du 10 janvier, il a qualifié la crise de « bataille sans précédent dans l’histoire de la Syrie moderne ». De nombreuses sources autorisées s’accordent à dire qu’il pourrait se maintenir encore plusieurs mois. Mais son avenir à long terme reste incertain. En habile tacticien, il a autorisé la venue d’observateurs de la Ligue arabe, ce qui lui a permis de gagner un mois, voire deux. Avec les manifestants, il a usé de la carotte et du bâton : amnistie des prisonniers politiques, offre de dialogue immédiat avec l’opposition, promesse renouvelée d’une Constitution révisée et soumise rapidement à référendum, élections pluralistes au début de l’été. Il y a quelques jours, deux nouveaux partis ont obtenu leur agrément.
Selon certaines sources, la survie d’Assad à long terme dépendra de la capacité de l’Iran à préserver sa stabilité. Affaibli par les sanctions occidentales, cible d’opérations visant à enrayer son programme d’enrichissement d’uranium, l’Iran semble aussi être la cible d’une tentative de changement de régime. Les États-Unis et Israël – soutenus par certains pays européens et arabes aux motivations commerciales, religieuses ou stratégiques – ont lancé une grande offensive contre l’alliance tripartite Téhéran-Damas-Hezbollah, dont le crime est d’avoir osé contester l’hégémonie militaire des États-Unis dans le Golfe et celle d’Israël dans le Levant. Les trois alliés le savent : ils tiendront ensemble ou tomberont ensemble.
L’Iran est visé par une campagne méthodique de sabotage de ses installations nucléaires par des cyberattaques et les assassinats ciblés de ses chercheurs. En outre, son économie est sapée par le boycott de ses exportations de pétrole et de sa Banque centrale. Comme ils avaient poussé Washington à envahir et à détruire l’Irak, Israël et ses amis américains ne ménagent aucun effort pour déclencher une attaque des États-Unis contre l’Iran. Si la République islamique se fissure, le régime de Damas pourrait tomber. Privé de ses parrains étrangers, le Hezbollah risquerait pour sa part de subir une nouvelle tentative israélienne de destruction, comme en 2006.
Une faille profonde dans la société syrienne
Assad est essentiellement préoccupé par le danger que fait peser cette « conspiration étrangère » sur la Syrie. Comme il l’a expliqué dans son discours, il s’agit du dernier complot en date d’une longue série : quand l’Irak a été envahi en 2003, « la Syrie était menacée de bombardement et d’invasion » ; ces mêmes ennemis ont ensuite exploité l’assassinat de Rafic Hariri, en 2005, pour expulser les forces syriennes du Liban et tenter de faire tomber le régime de Damas ; Israël a envahi le Liban en 2006, puis a bombardé une supposée installation nucléaire syrienne en 2007, avant d’attaquer Gaza en 2008, menaçant à chaque fois la Syrie.
Pékin et Moscou mettent leur véto à toute intervention étrangère.
Assad considère ses opposants intérieurs comme les alliés de ses ennemis extérieurs. Il ne les voit pas comme des manifestants légitimes contre la corruption, la brutalité policière, le chômage aggravé des jeunes et l’absence des libertés fondamentales. Le fait que certains d’entre eux aient pris les armes, tué des soldats et des policiers et détruit des biens publics l’a servi. Il est déterminé à « frapper durement ces terroristes ». Telle est sa perception des événements, et c’est ainsi qu’il justifie la répression sanglante de ces dix derniers mois – les meurtres à grande échelle, les arrestations massives, les brutalités et la torture. Ces méthodes ont ouvert une faille profonde au sein de la société syrienne, attisé les tensions communautaires et terni l’image du pays. Comment les Syriens vont-ils réapprendre à vivre ensemble ? Une source locale a comparé cette situation à celle des Français après l’Occupation, quand résistants et collaborateurs ont dû s’atteler à la reconstruction de leur société déchirée.
Le spectre de Hama
La loyauté persistante de l’armée et des services de sécurité reste l’atout maître du régime. Les défections ont été peu nombreuses. Tant qu’il en sera ainsi, l’opposition ne sera pas en mesure de renverser Assad. Et elle ne peut compter sur une initiative militaire étrangère, aucune nation arabe ou occidentale n’étant disposée à recourir à la force. La Turquie pourrait envisager d’intervenir si ses propres intérêts vitaux étaient menacés, dans le cas où Damas soutiendrait activement le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui a pris les armes contre l’État turc. La Russie et la Chine continueront à protéger la Syrie au Conseil de sécurité en mettant leur veto à toute résolution permettant l’usage de la force. Assad peut aussi compter sur l’Irak, l’Algérie et le Soudan pour empêcher une internationalisation de la crise. Le déclin américain – retrait d’Irak, échec en Afghanistan, coupes dans le budget de la défense – profite également à la Syrie. Autres atouts d’Assad, l’incapacité de l’opposition à s’unir derrière un leader ou un projet politique commun et le fait qu’une bonne partie de la population continue de soutenir le régime. Les minorités telles que les Alaouites, les chrétiens et les Druzes, mais aussi les agents de l’État, les fonctionnaires, les grands commerçants de Damas et d’Alep ainsi que la nouvelle bourgeoisie née du modèle économique néolibéral adopté la décennie précédente se méfient tous d’un changement de régime. Et ne se sentent représentés ni par les manifestants ni par l’opposition en exil.
Les Syriens ont vu les destructions terribles causées par les guerres civiles chez leurs voisins d’Irak et du Liban. La hantise d’un conflit communautaire est dans tous les esprits. Les Frères musulmans syriens attendent de toute évidence l’occasion de se venger de l’anéantissement de leur insurrection à Hama, en 1982. À la fin des années 1970, ils s’étaient lancés dans une campagne terroriste contre le régime de Hafez al-Assad, tuant lors de l’une de leurs opérations, en 1979 à Alep, 83 cadets alaouites. Lorsqu’ils ont pris Hama, ils y ont massacré les membres du Baas et les fonctionnaires. Le gouvernement a envoyé l’armée pour reprendre la ville, faisant plus de 10 000 morts. Le chiffre exact est toujours discuté, mais, en ce moment, le spectre de Hama plane sur le pays et enflamme de chaque côté les passions.
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