Sénégal : le complexe casamançais
La rébellion en Casamance qu’il n’a pas su mater reste le point noir du « règne » du président sénégalais Abdoulaye Wade. Aujourd’hui, pour lui comme pour tous les candidats à la présidentielle, la solution passe par la Gambie.
Le 5 janvier, Abdoulaye Wade a lancé un pavé dans la mare : « Salif Sadio était financé et armé par Laurent Gbagbo. Il a séjourné deux ou trois fois en Côte d’Ivoire. » De bonne source, le président sénégalais s’est fondé sur un rapport de ses services qui indiquent que le rebelle le plus actif du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) a été vu à plusieurs reprises à l’hôtel Président, à Yamoussoukro.
Est-ce suffisant pour parler d’une filière ivoirienne ? Objectivement, quand Laurent Gbagbo était aux affaires, la Côte d’Ivoire et le MFDC avaient un adversaire commun : Abdoulaye Wade. Dès 2002, Gbagbo a reproché vivement à Wade d’avoir accordé un passeport diplomatique au chef rebelle ivoirien Guillaume Soro. En 2004, un rebelle MFDC avait confié à un témoin français : « La Côte d’Ivoire est notre allié objectif. »
Mais au-delà de ces faits, rien ne prouve, pour l’instant, que le régime de Laurent Gbagbo ait versé de l’argent ou envoyé des armes aux rebelles casamançais. Et l’opposant sénégalais Ousmane Tanor Dieng de remarquer : « Abdoulaye Wade aurait été plus crédible s’il avait accusé Laurent Gbagbo à l’époque où celui-ci était au pouvoir. Aujourd’hui, Gbagbo ne peut plus se défendre. »
Patrouilles mixtes
Pour l’heure, le seul pays pro-MFDC pris la main dans le sac est l’Iran. En octobre 2010, un bateau iranien bourré de lance-roquettes a été intercepté par les douaniers nigérians dans le port de Lagos. Destination officielle des treize conteneurs saisis : « Estate House, Kanilai, Gambia. » Kanilai, c’est le village natal de Yahya Jammeh, le président gambien. Aussitôt, Abdoulaye Wade a rappelé son ambassadeur à Téhéran.
Car si la Côte d’Ivoire et l’Iran ont été des amis occasionnels du MFDC, les vrais pourvoyeurs de la rébellion casamançaise sont les pays voisins. « Avec la Guinée-Bissau, nous avons mis en place des patrouilles mixtes et nous sécurisons la frontière à 80 %, confie un haut responsable sénégalais. En revanche, il n’y a pas de patrouilles communes avec l’armée gambienne. Cela a été signé, mais ça n’a pas commencé. Nous savons bien que la plupart des filières d’armes passent par le territoire gambien. »
À l’appui de cette thèse, un fait indéniable : depuis plus de un an, le MFDC multiplie les attaques de postes militaires sénégalais dans le département de Bignona, près de la frontière gambienne. « Le MFDC a retrouvé sa vigueur opérationnelle, et sa puissance de feu augmente », souligne le politologue sénégalais Babacar Justin Ndiaye. En décembre 2011, à Diégoune, la rébellion a pulvérisé un véhicule militaire au lance-roquettes. « Le chef présumé de ces attaques, Salif Sadio, aurait ses entrées en Gambie, où il se ravitaillerait », explique Jean-Claude Marut, chercheur français et auteur d’un livre sur le sujet (Le Conflit de Casamance. Ce que disent les armes, Karthala, 2010). « D’après certaines sources, Sadio serait même installé à demeure à Kanilai, à côté de la résidence de Yahya Jammeh », ajoute-t-il.
Wade et Jammeh partenaires ?
Depuis août dernier, Abdoulaye Wade s’est rendu deux fois à Banjul pour tenter de renouer avec son homologue gambien. Comme le chef de l’État sortant, tous les candidats à la présidentielle sénégalaise affirment que la solution au conflit casamançais passe par la Gambie. Chacun promet, s’il est élu, d’aller très vite à Banjul pour créer un climat de confiance entre les deux pays. Pas simple. Yahya Jammeh est un partenaire imprévisible.
« À l’approche de la présidentielle de novembre dernier en Gambie, les opérations du groupe de Sadio en Casamance ont été mises en veilleuse, comme si Jammeh voulait s’assurer une réélection paisible, sans risque d’être déstabilisé par Wade, estime Jean-Claude Marut. En revanche, depuis sa réélection, les attaques des rebelles sont reparties de plus belle… »
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