Que veut vraiment faire l’Union européenne en Tunisie ?
Après un vote sévère du Parlement de l’UE, Tunis accueillait ce lundi le commissaire européen Paolo Gentiloni, venu l’assurer du soutien de Bruxelles. Difficile de s’y retrouver…
Le commissaire européen aux affaires économiques, Paolo Gentiloni, a-t-il été reçu à Carthage, comme le prévoyait le programme de sa visite éclair en Tunisie, le 27 mars ? Son communiqué, diffusé dès son départ, n’en fait pas état, pas plus que la présidence de la République tunisienne.
À défaut, les Tunisiens retiendront au moins de cette journée que l’Europe ne lâchera pas la Tunisie. Certains s’interrogent d’ailleurs sur la raison de cet intérêt soudain. La veille, 1 200 migrants irréguliers ont accosté en Italie. Faut-il y voir un lien ? A priori non : ces traversées sont si courantes qu’elles en sont devenues banales. « C’est la loi de la nature : quand ça ne va pas, l’humain migre » commente, fataliste, un membre de l’Organisation internationale de la migration (OIM).
La question migratoire n’est pourtant pas anodine pour les responsables européens, du moins pour une partie d’entre eux. Au premier rang desquels la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, dont le discours envers les candidats à l’exil se résume en une formule : « Migrez où vous voulez, sauf en Italie. »
Depuis son accession au pouvoir, en octobre 2022, la dirigeante de l’extrême droite italienne poursuit avec détermination l’objectif de mettre un terme à la migration clandestine en tentant d’imposer à la Tunisie, moyennant des soutiens financiers, le rôle de poste de surveillance avancé pour empêcher que des clandestins n’entrent en Europe par le sud de l’Italie.
L’acharnement et la fébrilité de Meloni sont tels qu’elle s’est même rapprochée du président français Emmanuel Macron, avec lequel les relations étaient jusqu’alors plus que froides. La manœuvre a visiblement fonctionné : Rome et Paris semblent maintenant parler d’une même voix sur le sujet et ont apparemment réussi à faire évoluer la position européenne. Car si, voilà quinze jours, le Parlement européen a adopté une résolution sur les entorses aux libertés, dont celle de la presse, constatées en Tunisie, ce vote n’a été suivi d’aucune mesure particulière lors de la réunion des ministres européens des Affaires étrangères, le 20 mars.
Le spectre des migrations
Alors que beaucoup s’attendaient à voir l’Europe geler certains financements, le discours, sous l’influence du tandem Meloni-Macron, a plutôt porté sur la nécessité de sauver la Tunisie d’un effondrement général provoqué par le déficit abyssal de ses finances publiques. Alors qu’il n’était plus question d’apporter un soutien financier, Français et Italiens parlent maintenant de plaider la cause de la Tunisie auprès du Fonds monétaire international (FMI), qui a suspendu, après accord technique en octobre 2022, l’octroi d’un prêt de 1,9 milliard de dollars à la Tunisie en décembre.
Face à l’opinion publique européenne, un tel argumentaire se tient : le thème de la menace extérieure fonctionne toujours et fait le lit d’un populisme dont les avancées en Europe, mais aussi en Tunisie, sont notables. Les nouvelles invasions barbares viennent du Sud et les vieilles réactions sont toujours vivaces. « Maman, voilà les Turcs », titraient en une certains médias italiens en 2011, lors des premières vagues migratoires qui ont suivi la chute du régime Ben Ali.
En Tunisie, par contre, le discours européen produit l’effet inverse et hérisse même ceux qui, jusqu’alors, se disaient sensibles aux positions occidentales. « On dirait que tous se sont accordés à vouloir nous mettre sous le joug du FMI en nous faisant miroiter des miettes si on joue le rôle de garde chiourme pour l’Europe. Il faudrait qu’on nous explique comment nous sommes passés de l’octroi d’un prêt à la problématique de la migration clandestine. Doit-on être au diapason du Nord et se plier aux conditions qu’il édicte ? » s’interroge un observateur, qui se tenait à distance de la politique, mais qui dit adhérer depuis peu aux positions du président tunisien, Kaïs Saïed, sur la souveraineté.
L’hôte de Carthage, justement, a choisi de ne pas commenter ces initiatives européennes. Il se tait, et son gouvernement avec lui. Malgré un besoin urgent de financement afin de mettre en place le nouveau système politico-économique qu’il a conçu, malgré la grande précarité dans laquelle se trouve le pays, le président semble déterminé, comme habité par des certitudes ou fort de certaines assurances.
Comment expliquer cette sérénité paradoxale ? Selon des proches du pouvoir, la raison de cette confiance est à chercher du côté d’un rapport rendu en 2012 par des géologues de l’Institut d’études géologiques des États-Unis (US Geological Survey). Dans ce document, les spécialistes américains écrivent que la zone maritime située entre la Tunisie et la Libye est riche de réserves souterraines d’hydrocarbures non prospectées colossales. Le rapport évoque 3,97 milliards de barils de pétrole, 38,5 billions de pieds cubes de gaz naturel et un potentiel de 1,47 milliard de barils de gaz naturel liquéfié. Un stock qui propulserait la Tunisie au rang de 6e producteur mondial de pétrole et de gaz.
Rêve pétrolier
Ces ressources offriraient évidemment à Tunis une manne inespérée… mais rien ne prouve qu’elles existent. Le rapport reste spéculatif sur le sujet. Et même dans l’hypothèses où ces réserves sous-marines seraient réelles, il faudrait quelques années avant une éventuelle entrée en exploitation. « On aurait le temps de mourir de soif et de faim à attendre le pétrole », raille un internaute.
Dans l’attente de la concrétisation de cette très hypothétique rente pétrolière, le pays reste confronté à ses difficultés quotidiennes et à la perspective – si l’on en croit certains dirigeants européens, Giorgia Meloni en tête – d’une faillite à court terme. Sur ce plan au moins, les chiffres sont connus. Le directeur du quotidien Le Maghreb, Zyed Krichen, écrit ainsi que « des réserves en devises à hauteur de 22 milliards permettent de couvrir une dette extérieure de 9 milliards, mais cela entamera les réserves, si bien que sans nouvelles ressources extérieures, le pays bouclera 2023 avec des difficultés, mais 2024 est à haut risque ».
Sur les marchés, la cote de confiance de Tunis est d’ailleurs déjà au plus bas : depuis l’échec des négociations avec le FMI, le pays trouve porte close pour toutes ses sollicitations de prêts ou d’appuis financiers. Certains, comme la Banque mondiale, attendent de voir l’évolution de la situation, tandis que les pays arabes, sauf l’Algérie, ne montrent aucun empressement à venir en aide au pays frère et ami. Tous sont unanimes à exiger que la Tunisie mette en place des réformes conformes aux demandes du FMI, mais certaines sont insoutenables pour le pays comme l’augmentation de l’essence sans revalorisation significative des salaires.
La confusion qui domine actuellement les rapports avec l’Europe ne fait qu’accroître l’amertume des Tunisiens, qui se montrent également sans illusions. « Les Européens s’occupent de nous parce qu’ils ont peur pour eux-mêmes », commentent certains, tandis que d’autres regrettent qu’on attribue à la Tunisie un rôle de surveillant des frontières italiennes alors que la migration est aussi le fait de nombreux autres pays de la région dont le Maroc, la Libye et l’Égypte.
« C’est absurde de mettre la Tunisie dans cette position intenable et indigne, et de la rémunérer pour adopter une position contraire aux droits humains », oppose un ancien bénévole de Médecins du monde. D’autres préfèrent en rire, prédisant que « tout cela finira par une intégration de la Tunisie à l’Union européenne », qui résoudrait bien des problèmes. « Après tout, plaisantent-ils, nous sommes moins de 12 millions. »
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