De l’Algérie au Maroc, la France entre crises diplomatiques et échecs économiques
Les dossiers qui empoisonnent les relations entre Paris et Alger ou Rabat sont nombreux. Derrière les soubresauts politiques qu’ils provoquent se cache en réalité la perte d’influence économique de l’Hexagone.
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Anas Abdoun
Senior Analyst chez Stratas Advisors chargé de l’Afrique et du Moyen-Orient.
Publié le 31 mars 2023 Lecture : 6 minutes.
En février dernier, en l’espace de 48 heures, deux affaires sensibles mettaient à mal la diplomatie française en Afrique du Nord. L’ambassadeur d’Algérie en France était rappelé pour consultation après le rapatriement vers l’Hexagone de la militante franco-algérienne Amira Bouraoui, condamnée en Algérie et interdite de sortie du territoire. De son côté, le Maroc annonçait la fin de mission de son ambassadeur en France sans nommer de successeur. Ces rebondissements diplomatiques illustrent l’échec du jeu d’équilibre de Paris entre Alger et Rabat, et laisse surtout deviner une perte d’influence économique de Paris.
Les raisons du rapprochement
Les considérations économiques ont été à l’origine du rapprochement entre Paris et Alger qui, traditionnellement, entretiennent des relations conflictuelles. La guerre en Ukraine et la crise énergétique que traverse l’Europe ont fini de convaincre le premier de la nécessité de se tourner vers le second pour capter une partie de son gaz. En effet, à la suite du soutien de Madrid au Maroc sur la question du Sahara, l’Algérie a, dès mai 2022, réduit de près de 25 % les quantités de gaz exporté via le gazoduc Medgaz. La France veut ainsi éviter que l’Italie soit la seule à profiter de ce repositionnement commercial : le déplacement du Premier ministre italien, Mario Draghi, à Alger en juillet 2022 a donné lieu à la signature d’un contrat d’énergie majeur.
Du côté de l’Algérie, le rapprochement avec la France s’explique moins par le travail sur l’apaisement des mémoires autour de la guerre entrepris par l’Élysée que par le besoin d’investissements français. Si le gros des contrats d’exploration est octroyé à l’italien ENI – qui, malgré les nombreuses affaires de corruption impliquant la major italienne et la Sonatrach, est l’entreprise privilégiée par les autorités algériennes –, Alger a besoin d’un investissement que seul TotalEnergies peut réaliser. En effet, l’Algérie ne bénéficie que très peu de l’envolée des prix des hydrocarbures, du fait de l’explosion de la consommation interne, du manque d’investissement dans les outils de production et des tarissements des champs pétroliers et gaziers de Hassi Messaoud et Hassi R’mel. Sans investissements majeurs, l’Algérie, qui n’est déjà plus une puissance pétrolière, ne sera plus un pays exportateur de gaz dans une décennie. Reste néanmoins une carte que le pays n’a pas encore jouée, celle des réserves de schiste.
Or, sur la maîtrise technique et technologique du gaz de schiste, la major française est loin devant l’italienne du fait de sa grande expérience américaine. TotalEnergies, qui connait mieux le pays et qui déploie une politique d’investissement plus audacieuse – elle a investi 15 milliards de dollars (13,8 milliards d’euros) au Mozambique malgré le contexte géopolitique tendu –, fait maintenant l’objet de toutes les attentions de l’exécutif algérien. Néanmoins, l’extraction du gaz de schiste nécessite de lourds investissements et l’utilisation de la fracture hydraulique s’avère compliquée dans un pays en stress hydrique. Les majors américaines y ont renoncé car cela nécessiterait des dizaines de milliards de dollars d’investissement et ne serait rentable qu’après plusieurs années, ce que l’instabilité politique en Algérie ne garantit pas.
Partenariat en fin de vie
Ce rapprochement entre Paris et Alger a précipité une crise diplomatique déjà bien présente entre le Maroc et la France. Officiellement, c’est l’affaire des quotas de visas lancée par le ministère français de l’Intérieur qui a mis le feu aux poudres. En réalité, le vieux partenariat stratégique entre Paris et Rabat semble arrivé en fin de vie. La relation entre les deux pays résidait dans le soutien politique et diplomatique de la France au Maroc sur la question du Sahara en échange de liens économiques privilégiés, et en une forte présence des entreprises françaises au Maroc.
Or, l’augmentation du PIB du Maroc de plus de 50 % en dix ans a poussé Rabat à vouloir rééquilibrer cette relation économique. Les entreprises marocaines des secteurs bancaire, des assurances et du BTP ont fortement concurrencé les entreprises françaises en Afrique de l’Ouest. La diplomatie économique du royaume était si efficace que le président Emmanuel Macron l’a évoquée dans son discours de juin 2017 au Maroc, où il appelait à « conjuguer ces politiques africaines » entre la France et le Maroc.
Enfin, après la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les États-Unis, le souverain marocain a déclaré que les partenariats étrangers du royaume seront dorénavant déterminés à l’aune des positions sur la question du Sahara. La même année, la présence française enregistre un recul non négligeable dans l’économie marocaine. L’Espagne devient le premier partenaire commercial, devant la France, tandis que les États-Unis lui ont ravi pour la première fois la place du premier investisseur étranger au royaume. Les traditionnelles chasses gardées industrielles françaises ne font pas exception.
Alors que la construction de la ligne TGV Tanger-Casablanca a bénéficié à Alstom et à la SCNF, grâce au financement français de 51 % du projet, le TGV Casablanca-Marrakech, loin d’être assuré aux entreprises françaises, semble se concrétiser du côté de la Chine. Comme si la volonté de diversification des partenariats stratégiques n’était pas assez claire, le Maroc a annoncé une coopération dans le domaine nucléaire avec la Russie en pleine guerre russo-ukrainienne et alors même que la France justifie d’un réel savoir-faire en la matière.
Quel bilan économique ?
Ainsi, sur le volet économique, le rapprochement initié par Emmanuel Macron n’a pas recueilli le succès escompté. Du fait de la brouille avec Rabat, c’est dorénavant l’Espagne et même l’Allemagne, deux pays qui soutiennent le plan d’autonomie marocain, qui multiplient les coopérations dans le domaine de l’hydrogène, de l’industrie ou de l’agriculture avec le Maroc. Madrid a signé une vingtaine d’accords de coopération tandis que Berlin a augmenté ses exportations vers le Maroc de près de 30 % en 2022. Si la France semble se faire distancer sur le marché marocain, elle ne parvient pas pour autant à effectuer une percée sur le marché algérien.
Tous les appels d’offres concernant le BTP ou les investissements dans les infrastructures sont confiés à des entreprises turques ou chinoises, tandis que sur le volet énergétique, ENI reste l’entreprise étrangère majeure en Algérie et l’Italie son principal partenaire européen. La diplomatie économique française mise beaucoup sur l’échec militaire de la Russie et la mise à nu de son système d’armement pour tenter de vendre des équipements militaires à l’Algérie et profiter ainsi de l’augmentation record du budget militaire algérien, qui a atteint 22 milliards de dollars. Mais là encore, la relation stratégique de l’Algérie et de la Russie et la nature hautement politique des contrats d’armement, sans oublier les problèmes d’interopérabilité des équipements, laissent douter de la possibilité pour Paris d’avoir une part majeure dans les achats d’armement de l’Algérie.
Si la perte d’influence politique de la France en Afrique subsaharienne, très médiatisée, tient aux ingérences russes, le recul sur sa zone d’influence économique en Afrique du Nord, largement passé sous silence, profite à ses partenaires européens. En effet, l’Italie, souhaitant s’affranchir de sa dépendance au gaz russe, a fait le choix d’Alger. Elle propose un accord énergétique solide sur le long terme avec l’Algérie, se gardant de communiquer officiellement sur la question marocaine d’autonomie. À la suite de la fermeture du gazoduc GME par l’Algérie, l’Espagne a assumé son rapprochement avec le Maroc en soutenant la position du royaume dans la crise l’opposant à l’Algérie.
La réduction du gaz algérien comme conséquence de cet alignement avait déjà été anticipé par Madrid avec ses importations de GNL via les États-Unis. L’Allemagne, qui base sa diplomatie sur sa balance commerciale, a également fait le choix du Maroc, avec qui le volume des échanges est deux fois plus important qu’avec l’Algérie. L’empreinte de la France dans les grands chantiers économiques des deux pays s’est effacée. Le traditionnel jeu d’équilibre de la France entre l’Algérie et le Maroc semble aujourd’hui menacer aussi bien son positionnement géopolitique que ses intérêts économiques dans la région.
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