Livres : histoire d’un pillage végétal à l’époque du colonialisme

Outre s’approprier les matières premières de l’Afrique, les colons lui ont imposé certaines cultures. C’est à cette épopée des « plantes coloniales » que Serge Volper a consacré son ouvrage « Une histoire des plantes coloniales ».

Une histoire des plantes coloniales, de Serge Volper. © DR

Une histoire des plantes coloniales, de Serge Volper. © DR

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 1 février 2012 Lecture : 3 minutes.

Au Pérou, elle était appelée anchic ou yuchic. Au Brésil, c’était manobi ou mundubi. Pour les Aztèques, c’était tlacacahoatl, qui signifie « cacao de terre » en nahuatl. C’est à partir de ce vocable que les Espagnols ont créé le mot cacahuète. Vous l’aurez deviné, il est question de l’arachide (Arachis hypogaea), cette plante qui a pour habitude de planquer ses fruits sous terre, à l’abri des prédateurs… Il fallait s’appeler Serge Volper et avoir travaillé des années durant à l’Institut de recherches agronomiques tropicales et des cultures vivrières (Irat) pour décider de consacrer un livre entier à ces plantes dont la culture fut fermement encouragée par le colonisateur français en Afrique. Du cacao à la vanille. Une histoire des plantes coloniales, qui vient de paraître aux éditions Quæ, est une mine d’informations sur la manière dont le cacao, le café, le palmier à huile, l’arachide, le coton, le caoutchouc, la banane, la vanille, le clou de girofle ont été imposés pour satisfaire les besoins de la métropole. « Pour des nations telles que la France ou le Royaume-Uni, il est essentiel de disposer des matières premières nécessaires pour faire tourner la machine industrielle et satisfaire les besoins des consommateurs, écrit Volper. Les quantités requises, et leur contre-valeur financière, ont pris de telles proportions que les achats à l’étranger pèsent de plus en plus lourdement dans la balance commerciale. » Pour ces deux pays, la solution, c’est l’empire. L’administration française propose donc « un encadrement technique qui recommande, voire impose, des méthodes de travail rigoureuses et contraignantes » pour des cultures qui « vont jusqu’à avoir un caractère obligatoire pour les populations ».

Introduction pour de futures recherches

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Mais la méthode la plus efficace pour faire valoir certains desiderata repose sur une autre forme de contrainte. « Le système colonial a imposé l’argent, explique Volper. Le commerce de troc qui prévalait – matières premières contre produits manufacturés – a évolué quand le colonisateur a introduit l’impôt. Les populations devaient désormais travailler pour obtenir l’argent nécessaire à son paiement… » Évidemment, les cultures vivrières qui permettraient de mieux nourrir les populations ne font pas partie de la liste des priorités… En fonction du climat, de la main-d’oeuvre, des terres, les différentes régions sous contrôle français sont poussées à développer des cultures spécifiques. Le cacao en Côte d’Ivoire, l’arachide au Sénégal, la banane en Guinée, la vanille à Madagascar… Seule la culture du coton n’a pas rencontré le succès espéré… qui n’est venu qu’après les indépendances.

Richement illustrée, bourrée de détails et d’anecdotes historiques sur la manière dont ces différentes plantes ont voyagé d’un continent à l’autre à travers les siècles, Une histoire des plantes coloniales représente une excellente introduction pour nombre de recherches qui restent à mener. Serge Volper, aujourd’hui à la tête du très riche fonds de la bibliothèque historique du Jardin d’agronomie tropicale de Nogent-sur-Marne, en convient volontiers : les documents sont là, et il reste beaucoup à écrire sur une agriculture coloniale dont les effets sont loin d’avoir disparu. Influence sur les populations et l’environnement, conséquences sur les productions vivrières, pressions sur les populations, différences et similitudes des pratiques selon les pays colonisateurs, les sujets sont légion qui mériteraient qu’on s’y attarde. Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), lointaine émanation des nombreux organismes qui oeuvrèrent pour améliorer les cultures intéressant la métropole, ne verrait sans doute pas d’un mauvais oeil que des étudiants compulsent ses documents et ses archives. Ce ne serait, au fond, qu’un juste retour des choses.

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