Anne-Marie Capomaccio : « Il n’est pas question de vider RFI pour faire de la télévision »

La directrice adjointe de l’information chargée de l’Afrique à Radio France Internationale revient sur le but de la fusion programmée de RFI, France 24 et Monte-Carlo Doualiya.

Anne-Marie Capomaccio, directrice adjointe de l’information chargée de l’Afrique à RFI. © Jacques Torregano pour J.A

Anne-Marie Capomaccio, directrice adjointe de l’information chargée de l’Afrique à RFI. © Jacques Torregano pour J.A

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Publié le 1 février 2012 Lecture : 5 minutes.

Débutée en 2008, maintes fois reportée, souvent critiquée, la réforme de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) pourrait finalement aboutir. Le 16 janvier, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du 10 novembre 2011 : la fusion de la chaîne d’information France 24, de la radio internationale RFI et de Monte-Carlo Doualiya peut avoir lieu. La cour d’appel a cependant considéré que le cahier des charges relatif à cette mutualisation devait au préalable être transmis au comité d’entreprise de RFI. Un délai dont comptent bien profiter les syndicats de la radio, qui continuent d’appeler à la grève. Dans ce climat tendu, Anne-Marie Capomaccio, directrice adjointe de l’information chargée de l’Afrique de RFI, revient sur le but de cette fusion.

Jeune Afrique : Quelles sont les conséquences du jugement de la cour d’appel sur le projet de fusion ?

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Anne-Marie Capomaccio : Le cahier des charges a été validé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel et transmis à l’autorité de tutelle, le ministère de la Culture et de la Communication, pour relecture. Il sera transmis à RFI dans les jours qui viennent et, à partir de là, on pourra reprendre le processus de fusion.

Dans cette affaire, le temps est politique… Les syndicats ne risquent-ils pas de tout faire pour retarder le projet, dans l’espoir de voir François Hollande, opposant à la fusion, gagner l’élection présidentielle ?

C’est ce qu’ils expriment ouvertement, mais je me garderai bien d’interpréter. De notre côté, nous sommes sereins. Je pense que les choses se feront. On ne peut quand même pas arrêter de travailler en attendant la présidentielle. Évidemment, on est en campagne, et donc pas à l’abri de batailles politiciennes.

Les journalistes qui s’opposent à la fusion estiment avoir été mis devant le fait accompli. Reconnaissez-vous un manque de pédagogie ?

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Rappelons quand même que le jugement de la cour d’appel a débouté le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des salariés de RFI. Estimant que l’information sur la réforme a été complète et loyale, il a rejeté la demande de reprendre la procédure de zéro. Pendant plus d’une année, nous avons multiplié les réunions pour expliquer à chacun la façon dont la fusion allait se dérouler. Il y a une peur du changement plus qu’un manque d’information. Et on a beau expliquer, il est difficile de lutter contre cette peur.

On comprend bien l’utilité économique de mutualiser les moyens. On comprend moins bien la teneur du projet éditorial. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

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Le but, c’est d’ajouter la matière grise de RFI à celle de France 24 et de tirer profit des spécialités et des domaines d’excellence de chacun. France 24 et Monte-Carlo Doualiya sont par exemple beaucoup plus fortes que RFI sur le Maghreb, et la radio pourra en bénéficier. À RFI, nous avions déjà mis en place une rédaction unique, et nous nous sommes rendu compte que ça permet d’aller plus vite, d’être plus efficace et d’avoir un meilleur traitement de l’information.

Contrairement à ce que l’on peut entendre, il n’a jamais été question d’envoyer un journaliste sur le terrain avec une caméra, un magnéto et un ordinateur pour couvrir l’actualité sur trois médias. Un journaliste ne peut pas tout faire. Néanmoins, nous avons déjà des journalistes qui travaillent à la fois sur France 24 et sur RFI, et cela se passe très bien. Si en interne il y a des soucis ou des craintes, nos interlocuteurs à l’extérieur, eux, ont complètement intériorisé la fusion. Quand on doit faire une interview, ils demandent la plupart du temps à ce qu’on vienne ensemble.

Il y a donc un long travail pédagogique à faire pour dépasser ces peurs ?

Il y a énormément de volontaires, contrairement à ce que l’on peut ressentir de l’extérieur. Nous avons beaucoup de journalistes qui sont désireux de tout essayer, de faire un peu de télévision ou un peu de web. On va proposer, bien entendu, un plan de formation. N’oublions pas que plus l’entreprise est grande, plus on a de possibilités de s’épanouir, de développer ses compétences.

Souvent, quand une télévision se marie avec une radio, la radio finit par mourir. Comment garantir que cela ne soit pas le cas pour RFI ?

Ça va prendre du temps pour que la fusion se fasse dans les esprits. Ce sont deux entreprises qui ont des cultures et des histoires différentes. En même temps, chacun va continuer à faire son métier du mieux qu’il peut. Vous connaissez la notoriété de RFI en Afrique. C’est un outil magnifique, c’est une radio riche de 40 millions d’auditeurs. Pourquoi abandonnerions-nous ça ? Il n’est pas question de vider la radio pour faire de la télévision. Le but, c’est de cumuler les auditeurs et les téléspectateurs et d’avoir la couverture le plus riche et le plus complète possible sur le terrain.

Dans son rapport, l’Inspection générale des finances dit qu’il va falloir faire des économies et évoque la possibilité d’abandonner les ondes courtes. Qu’en est-il ?

Nous devons apprendre à nous passer des ondes courtes dans les années qui viennent parce que, techniquement, elles sont vouées à disparaître. C’est comme le passage de l’analogique au numérique : on a été obligé de l’accepter. C’est une vision technique, pas idéologique. Aujourd’hui, nous souhaiterions les garder le plus longtemps possible et faire le changement en douceur afin que nos auditeurs aient toujours les moyens de nous écouter. En Afrique, l’accès à la radio par le web est encore trop cher.

Un État ne peut pas couper les ondes courtes, contrairement à la FM…

Intellectuellement, c’est vrai qu’on est intouchable sur les ondes courtes. Sauf qu’aujourd’hui on ne reçoit presque plus en ondes courtes. Si on veut passer au-dessus des pressions politiques, notre filet, ce sera autre chose, comme l’internet ou la diffusion directe par satellite.

RFI gardera-t-elle son budget ou les deux seront-ils mutualisés ?

Les budgets et les services administratifs seront mutualisés et il n’y aura pas nécessairement de clé de répartition. Mais les marques seront protégées.

Comment voyez-vous l’émergence de nouveaux concurrents en Afrique, notamment Africa 24 ou Voxafrica ?

Il est plus agréable de travailler dans un environnement concurrentiel que de travailler tout seul. On s’améliore avec la concurrence : au Sénégal, RFI a des concurrents de qualité et, pourtant, nous restons dans le tiercé de tête. Je dois dire que sur le terrain la concurrence est plutôt fair-play, nous nous considérons comme des partenaires. Et c’est parce que la concurrence est forte qu’il faut la fusion.

Il sera tout de même difficile de faire concurrence à Al-Jazira ou CNN, qui ont des budgets colossaux…

Il est certain qu’on ne pourra pas faire la différence par l’argent, mais nous avons quand même les moyens de faire de bonnes choses. Si France 24 arrive à garder sa place, c’est précisément parce que nous privilégions d’abord la qualité de l’information. Nous sommes aussi en train de développer une réflexion sur le web, qui ne demande pas de gros moyens mais qui permet à la fois d’atteindre le public jeune et d’aller chercher nos auditeurs les plus isolés.

Les nouveaux locaux sont-ils prêts ? Combien cela va-t-il coûter ?

Presque. Le premier déménagement aura lieu début mars et durera jusqu’à juin. Il concerne 800 personnes et aura coûté environ 24 millions d’euros. 

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Propos recueillis par Leïla Slimani

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