Quand Jean-Emmanuel Ouedraogo interviewait un jihadiste

Au Burkina Faso, la confrontation d’un communiqué récent du porte-parole du gouvernement burkinabè justifiant la suspension de diffusion de France 24 et d’un des reportages de cet ancien journaliste titille les réseaux sociaux.

© Damien Glez

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Publié le 30 mars 2023 Lecture : 2 minutes.

Peut-on passer honorablement de la profession de journaliste au statut de politicien, qui plus est porte-parole d’un régime issu d’un putsch militaire ? Happé par une mission nationale en période d’agression jihadiste, l’actuel ministre burkinabè de la Communication, Rimtalba Jean-Emmanuel Ouedraogo, n’a sans doute pas vu de contradiction à transmettre la parole gouvernementale, lui qui officia à la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB), chaîne d’État encore marquée – comme nombre de ses consœurs africaines – par un profil de média quasi gouvernemental.

Le Rubicon franchi, les réseaux sociaux n’ont pas manqué, à la faveur de la suspension de la diffusion de la chaîne France 24, d’exhumer un reportage de Ouedraogo, eux qui sont tout à la fois les chantres de l’instantanéité et les garants de la mémoire numérique…

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Ce 27 mars, dans un communiqué annonçant la « suspension sine die de la diffusion des programmes de France 24 sur l’ensemble du territoire national », le ministre burkinabè revenait sur la diffusion, par la chaîne de télévision française, de réponses du chef revendiqué d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abou Obeida Youssef al-Annabi, à 17 questions. Le ministre s’interrogeait sur « les responsabilités » de France 24 « quant aux choix éditoriaux », sur « l’éthique qui gouverne » cette « pratique professionnelle du journalisme » et sur les « largesses éditoriales » accordées à un terroriste.

Porte-parole d’Ansar Dine

Le débat légitimement euro-décentré est sain, pour ceux qui vivent au cœur de la fournaise. Mais les réseaux sociaux ont parfois la satire lapidaire. Via WhatsApp notamment, un reportage de Jean-Emmanuel Ouedraogo refait surface…

Avril 2012. Le reporter embarqué d’alors emprunte l’hélicoptère affrété par le général Gilbert Diendéré, alors bras droit de Blaise Compaoré et aujourd’hui incarcéré. Jean-Emmanuel Ouedraogo couvre la libération de l’otage suisse Béatrice Stockly, enlevée à Tombouctou.

Au cours des 4 minutes et 26 secondes de la vidéo devenue virale, une décennie plus tard, l’équipe de tournage tend son micro à Sanda Ould Boumama, présenté comme « porte-parole » du mouvement Ansar Dine, organisation militaire d’idéologie salafiste djihadiste qui démontrera sa proximité formelle avec Aqmi, cette même organisation cernée plus tard par les micros de France 24. À la RTB, Boumama exprime ses désirs de charia.

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Si comparaison n’est pas toujours raison, les réseaux sociaux se délectent de cet ancien reportage, un twittos exprimant, avec humour, que « la VAR est vraiment intraitable », en référence à l’Assistance à l’arbitrage vidéo des rencontres sportives.

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Question de méthode ? France 24 précise n’avoir, elle, jamais « donné la parole directement » à Abou Obeida Youssef al-Annabi. Question de timing ? Ansar Dine et AQMI endeuillaient peu le Faso, il y a 13 ans. Question d’enjeu ? La liberté de l’otage devait-elle avoir ce prix ? Question de casquettes ? Peut-être l’auteur de l’ancien reportage de la RTB et de l’actuel communiqué gouvernemental plaiderait-il la constance, celle d’un agent de l’État à qui l’on confia la mission de relater la position du régime, quel qu’il soit. Déontologies, quand vous nous tenez…

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