Côte d’Ivoire : faut-il croire aux grands travaux ?

Routes, logement, agriculture… Le gouvernement ivoirien veut investir tous azimuts pour relancer l’économie, mais sa marge de manoeuvre est étroite. La visite d’Alassane Ouattara à Paris était l’occasion de rechercher investisseurs et partenaires.

En 2012, les efforts se concentreront en priorité sur Abidjan. © Vincent Fournier pour J.A

En 2012, les efforts se concentreront en priorité sur Abidjan. © Vincent Fournier pour J.A

silver

Publié le 31 janvier 2012 Lecture : 7 minutes.

Sur tous les fronts. « Dans les prochaines semaines, toute la Côte d’Ivoire sera en chantier », avertissait en septembre le chef de l’État, Alassane Dramane Ouattara (ADO), en donnant le premier coup de pioche des travaux du troisième pont d’Abidjan, baptisé Henri-Konan-Bédié. Un ouvrage d’art d’un montant de 125 milliards de F CFA (191 millions d’euros) attribué à la Société concessionnaire du pont Riviera-Marcory (Socoprim, filiale de Bouygues) et qui sera livré en 2013.

Depuis, effectivement, les chantiers se multiplient. Début janvier, le président a lancé la phase pilote de la construction des 2 000 logements sociaux de la Cité ADO. Un marché de gré à gré décroché par le français Lafarge, via sa nouvelle filiale locale Frame Built. Pour résorber un déficit évalué à 400 000 logements, les autorités veulent en construire 50 000 par an. Le coût dépassera les 40 milliards de F CFA.

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De fait, les infrastructures sont au coeur de la politique d’investissement du gouvernement. La remise en état du réseau routier, la construction des autoroutes Abidjan-Ouagadougou et Abidjan-Accra sont planifiées. La réhabilitation du chemin de fer Abidjan-Ouagadougou et son extension jusqu’à Niamey sont aussi au programme. Comme la réalisation de la ligne ferroviaire San Pedro-Man, avec une possible extension jusqu’en Guinée. Et dans le secteur énergétique, le gouvernement veut augmenter la production électrique d’environ 150 mégawattheures par an pour répondre à une demande croissante, grâce notamment à l’extension du complexe d’Azito et à la construction du barrage de Soubré.

Objectif : redynamiser et rassurer

Dans les quatre années à venir, l’État a prévu de consacrer 2 197 milliards de F CFA à ces investissements. L’année 2012 marquera un pic, avec 620 milliards de F CFA, soit 108,4 % de plus que dans le budget 2010 et 79,3 % de plus que dans celui de 2009. L’essentiel est accaparé par les grands chantiers. Des dépenses financées cette année « à hauteur de 80,5 % par des ressources intérieures », assure le gouvernement dans son budget adopté en décembre. En 2012, les efforts se concentreront en priorité sur Abidjan, vitrine du monde ivoirien des affaires. Les objectifs : redynamiser au plus vite l’activité, réhabiliter l’image du pays auprès des investisseurs internationaux et les rassurer sur sa capacité à redevenir la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest.

L’agriculture est un autre pilier de la relance, avec l’ambition de parvenir à l’autosuffisance alimentaire. Mais dans ce secteur, où ses dépenses devraient rester stables à 46 milliards de F CFA, l’État compte sur les bailleurs de fonds. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a ainsi accordé un prêt de 4,4 milliards de F CFA en soutien à la riziculture ; dans cette filière, il faudrait 800 milliards de F CFA pour atteindre l’autosuffisance dans les deux ans. Afin de relever le secteur sinistré du coton, au Nord, le gouvernement a accordé une subvention de 14 milliards de F CFA et négocie l’appui supplémentaire de l’Union européenne. La production de coton devrait atteindre 240 000 tonnes en 2011-2012, en nette hausse par rapport aux 175 000 t de 2010-2011 (contre 400 000 t au début des années 2000, avant la crise). Enfin, la Côte d’Ivoire entend maintenir son rang de premier producteur mondial de cacao. Avec les acteurs du secteur (Cargill, ADM, Armajaro, Nestlé), l’État a lancé un vaste programme de renouvellement du verger. Plus de 50 milliards de F CFA devraient être mobilisés en 2012 dans le cadre d’un partenariat public-privé.

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Accélération de croissance

Le gouvernement compte sur cette politique de relance pour accélérer la croissance, avec une hausse du PIB attendue à 8,5 % en 2012 (- 5,8 % en 2011). Plus tempérée, la Banque mondiale table sur une progression de 4,9 % en 2012 et de 5,5 % en 2013. Toutefois, la Côte d’Ivoire ne dispose pas encore d’une marge de manoeuvre à la hauteur de ses ambitions. Tant qu’elle n’aura pas atteint le point d’achèvement de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), ses ressources demeureront limitées.

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Mais dans un contexte de crise mondiale, la première visite officielle d’Alassane Ouattara en France, du 26 au 28 janvier, était une étape clé dans la recherche de partenaires financiers et d’investisseurs. Beaucoup, à l’image de Bouygues et Lafarge, sont déjà en embuscade pour décrocher de gros contrats. À Paris, Ouattara a abordé avec son homologue Nicolas Sarkozy le sujet brûlant du décaissement d’urgence des 50 millions d’euros d’appui budgétaire promis par la France en avril.

Ouattara a abordé avec Sarkozy le sujet brûlant du décaissement d’urgence des 50 millions d’euros d’appui budgétaire promis par la France en avril.

Il a aussi poursuivi les discussions avec l’Agence française de développement (AFD), qui a conclu avec la Côte d’Ivoire un contrat de désendettement et de développement (C2D) visant à annuler sa dette de 2 milliards d’euros au profit de projets de développement. Et en marge de la visite, les ministres Charles Koffi Diby (Économie et Finances) et Albert Mabri Toikeusse (Plan et Développement, voir la vidéo ci-dessous) ont continué de négocier avec les créanciers du Club de Paris ou du Club de Londres.

Venus avec ADO, plusieurs chefs d’entreprise – dont Jean-Louis Billon (Chambre de commerce et d’industrie), Jean Kacou Diagou (Confédération générale des entreprises) et Souleymane Diarrassouba (Association professionnelle des banques et établissements financiers) – ont également participé à un forum avec le Medef, la principale organisation patronale française.

Concurrence

Dans les télécoms, c’est Orange qui est sur les rangs pour décrocher une licence 3G. Les autorités sont sur le point de publier un cahier des charges pour en attribuer trois. L’opérateur français fait partie des favoris, avec MTN et Moov. Dans le secteur, où un nouveau code est en préparation, la concurrence fait rage. Un sixième opérateur, Aircom, dirigé par Kouao Niamoutié, s’apprête à se lancer sur le marché sous la marque Café mobile… cinq ans après avoir décroché sa licence.

Voir l’interview vidéo de Mabri Toikeusse, ministre du Plan et du Développement :

Total aussi attendait aussi beaucoup de la visite de Ouattara à Paris. Le groa a signé quatre contrats pour l’exploration et la production de pétrole et gaz (CI-514, CI-515, CI-516 et sur le très prometteur bloc offshore CI-100), dont les réserves dépasseraient le milliard de barils. Il investira donc 574 millions d’euros. De son côté, Bouygues a profité du séjour présidentiel pour relancer les négociations sur le contrat de livraison de gaz naturel à la centrale thermique d’Azito et à celle de Ciprel. Depuis plusieurs années, le gouvernement ivoirien exige que Bouygues (et sa filiale Foxtrot International) aligne ses prix sur ceux de ses concurrents Afren et CNR, alors que le français se base sur le cours du baril de pétrole, plus élevé. Agacé, le gouvernement ivoirien a signé un contrat avec l’australien African Petroleum pour la livraison de 100 milliards de F CFA de gaz naturel en 2013.

Car les groupes français se heurtent de plus en plus souvent à des concurrents. Fin décembre, Alstom a perdu un contrat de 308 millions d’euros qui lui paraissait acquis pour l’extension de la centrale thermique d’Azito, au profit de l’américain General Electric et de son partenaire sud-coréen Hyundai. En compensation, le groupe français pourrait obtenir le contrat du tramway d’Abidjan, estimé à plus de 700 millions d’euros. Il serait également bien positionné, en association avec le chinois Sinohydro, pour la construction du barrage de Soubré (270 MW), un investissement de 250 milliards de F CFA.

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Baudelaire Mieu avec André Silver Konan, à Abidjan

Une embellie perceptible

Si les groupes étrangers sont à l’affût de gros contrats, les patrons ivoiriens profitent aussi de la relance. Dans son vaste bureau de la Zone 3, à Abidjan, Kongo Kouadio Kouassi, président du Groupement ivoirien du bâtiment et des travaux publics (GIBTP), se félicite de la « création, après la crise postélectorale, de plusieurs entreprises, constituées pour prendre part aux travaux de reconstruction ». Une centaine de sociétés ont vu le jour en six mois dans le secteur.

Plus généralement, toutes les PME bénéficient d’initiatives pour stimuler la relance. L’État a décidé le paiement de 132 milliards de F CFA (201 millions d’euros) d’arriérés accumulés auprès des entreprises. En juillet, la Société financière internationale (groupe Banque mondiale) a apporté plus de 700 000 euros au capital d’Advans Côte d’Ivoire, une société de microfinance chargée de faciliter l’accès des PME au crédit.

Consommation

La toute jeune Entreprise Konan Albert (EKA), spécialisée dans la commercialisation du cacao et du café, compte bien en profiter : en décembre, elle a signé ses deux premiers contrats, de 44 000 euros et 260 000 euros, pour la livraison de cacao à deux entreprises, indienne et algérienne.

Le retour de la consommation aussi a redonné le sourire aux entrepreneurs. Et notamment à la Coopérative des commerçantes de vivriers de Cocody (Cocovico), à Abidjan, l’une des plus puissantes du pays avec ses 144 femmes actionnaires. « Depuis la reprise de nos activités, en juin, certaines commerçantes ont triplé leurs ventes », explique Rosalie Botti, la présidente. Cocovico a en projet la construction de deux marchés à Abobo (Abidjan) et Grand-Bassam, un double projet de 1 milliard de F CFA pour lequel il négocie avec la Banque pour le financement de l’agriculture (BFA).

A.S.K, à Abidjan.

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