États-Unis : pluie de dollars sur la campagne présidentielle
Jamais les candidats à la présidentielle n’avaient dépensé des sommes aussi déraisonnables. Le record de 2008 – 5,3 milliards de dollars – va être pulvérisé. Tout ça à cause d’une funeste décision de la Cour suprême…
Lors du caucus de l’Iowa, remporté le 4 janvier de justesse par Mitt Romney (sa victoire du 10 janvier dans le New Hampshire ou celle du 31 janvier en Floride sont beaucoup plus nettes), les habitants de cet État du Midwest, pourtant habitués aux températures polaires, ont été frappés de plein fouet par un blizzard d’un nouveau genre : les publicités télévisées – généralement d’une extrême férocité – pour les différents candidats, qui, inlassablement, ont tourné en boucle sur tous les écrans de télévision. L’opération a coûté la bagatelle de 13 millions de dollars. Ce qui augure mal de la suite des primaires républicaines et de la campagne présidentielle tout entière. À l’évidence, on va assister à une foire d’empoigne. À coups de millions de dollars.
C’est une décision de la Cour suprême baptisée Citizens United qui, en janvier 2010, a bouleversé le paysage électoral américain. Pour le pire. Désormais, les organisations politiques dites « super PAC (Political Action Committee) » sont libres d’injecter autant d’argent qu’elles le veulent, ou le peuvent, dans les campagnes électorales. En théorie, chaque candidat n’est légalement autorisé à recevoir d’un donateur que 2 500 dollars. Mais les super PAC sont exonérés de cette limitation, pourvu qu’ils ne coordonnent pas leur action avec le candidat de leur choix. Résultat des courses ? Dans l’Iowa, seul un tiers des sommes englouties dans la campagne l’a été par les candidats. Et le reste par les super PAC, dont on sait pertinemment – là réside l’incroyable hypocrisie – qui ils soutiennent puisque la plupart de leurs gestionnaires sont d’anciens conseillers de candidats ! On assiste donc à d’assez pitoyables contorsions, tel ou tel candidat refusant d’être vu comme le commanditaire de publicités trop violentes pour être honnêtes, même si, bien entendu, il en est le bénéficiaire direct.
Mitt Romney s’est par exemple défaussé de toute responsabilité concernant plusieurs pubs télé d’une rare brutalité contre Newt Gingrich, son rival le plus sérieux jusqu’à la mi-décembre. « Il traîne plus de valises [en français, on dirait plutôt "de casseroles", NDLR] que les compagnies aériennes », explique suavement l’une d’elle. Mais Romney jure ses grands dieux qu’il n’a pas mis un cent dans l’opération, entièrement financée par un super PAC, Restore Our Future. Ce qui est se moquer du monde puisque le super PAC en question consacre tous ses efforts à son élection. Grâce à ce véritable tir de barrage – 3 millions de dollars dépensés rien que dans l’Iowa -, Romney est parvenu à surclasser Gingrich lors du caucus.
Sale besogne de démolition
Après cette gifle retentissante, le vaincu de l’Iowa, tout chrétien qu’il soit, n’a pas songé une seconde à tendre l’autre joue. Winning Our Future, le super PAC qui le soutient, a aussitôt contre-attaqué. Sur le même ton. Il est vrai que les 5 millions de dollars reçus récemment d’un richissime propriétaire de casinos de Las Vegas l’y a bien aidé. Diffusées dans le New Hampshire et en Caroline du Sud (prochaine étape des primaires, le 21 janvier), une série de pubs attaquent Romney sur son passé à la tête de Bain Capital, un fonds d’investissement spécialisé dans le rachat d’entreprises en difficulté. Avec la même efficacité. Avant sa large victoire dans le New Hampshire (où seulement 5 millions de dollars ont été dépensés en publicité tant cet État paraissait promis à Romney), le soutien à ce dernier dans les sondages nationaux est passé de 43 % à 33 %.
La pieuvre Koch
Grâce à leur empire pétrochimique, David et Charles Koch sont aujourd’hui à la tête d’une fortune estimée à 25 milliards de dollars chacun, ce qui fait d’eux les Américains les plus riches après Warren Buffett, Bill Gates et Larry Ellison. Dans l’ombre, les deux frères financent une myriade d’organisations conservatrices, le réseau dit Kochpussy (jeu de mot avec « octopussy », qui signifie « pieuvre »), dont le bras armé est le bien-nommé Americans for Prosperity, qui combat l’État providence et ne croit pas une seconde à la menace d’un réchauffement climatique. Leur obsession ? Terrasser Obama-le-socialiste.
Pour cela, ils ne lésinent pas sur les moyens : 40 millions de dollars en 2010 pour les candidats du Tea Party aux élections de la mi-mandat. Et 3 millions depuis le début de l’année dans d’innombrables pubs télé. « Je suis à Washington depuis le Watergate [1972-1974, NDLR], et je n’ai jamais vu personne dépenser autant », commente un analyste. Pis encore, certains libéraux croient voir leur main derrière la décision contestée de la Cour suprême concernant les super PAC. Deux juges conservateurs de la Cour auraient en effet participé à des séminaires organisés par les deux frères…
Bref, en acceptant de prendre en charge la sale besogne de démolition, les super PAC ont su se rendre indispensables. Chaque candidat a le sien. Tous ont des noms en forme de slogans : Make Us Great, pour Rick Perry, The Red, White and Blue Fund, pour Rick Santorum… Même le président Obama a le sien, Priorities USA Action, qui s’est engagé à lever 100 millions de dollars, en plus des fonds propres du candidat, qui devraient être considérables.
Les 5,3 milliards de dollars dépensés en 2008 lors des campagnes nationales et locales seront cette année très largement dépassés. En Caroline du Sud, Gingrich et Romney ont déjà investi respectivement 3,4 millions et 2,3 millions de dollars. Les grands gagnants de l’opération sont évidemment les lobbies et, plus généralement, les intérêts privés qui sont derrière les super PAC. Les poids lourds de l’industrie et de la finance ont fait leur choix : dans leur grande majorité, ils se sont rassemblés derrière Romney, plus que jamais candidat de l’establishment républicain. Même Obama est concerné. En 2008, il avait pourtant juré ses grands dieux qu’il n’accepterait jamais l’argent des lobbies. Ce sera encore le cas cette année, mais Priorities USA Action n’est nullement engagé par cette promesse.
Renvoi d’ascenseur
Comment croire que ces trop généreux donateurs ne demanderont pas tôt ou tard un renvoi d’ascenseur ? Certains candidats eux-mêmes, tels Santorum ou Gingrich, ont d’ailleurs exercé dans le passé, pendant les éclipses de leur carrière politique, des activités s’apparentant à du lobbying. Un chiffre : entre 1998 et 2008, les secteurs de l’assurance, de la banque et de l’immobilier ont dépensé la bagatelle de 5,2 milliards de dollars pour influencer le Congrès et la Maison Blanche.
Avec la décision de la Cour suprême, le « mur de l’argent », comme on disait naguère, atteint des dimensions démesurées. Un commentateur s’en désole : « Les politiques, estime-t-il, dansent plus que jamais au son de la flûte des plus riches. » Et, ce qui est plus grave encore, en toute opacité. Non seulement les candidats ne sont pas responsables des agissements de leur super PAC – puisqu’il n’existe aucun lien légal entre eux -, mais ces derniers n’ont que des obligations minimales de transparence.
En 2010, la majorité démocrate au Congrès avait tenté de changer la loi pour que les noms des plus gros donateurs puissent être rendus publics. Sans succès, en raison de la farouche opposition républicaine. Même chose au sein de la Commission fédérale électorale, où les trois commissaires républicains se sont récemment opposés à une initiative démocrate du même genre.
S’il y a bien quelque chose de pourri, ou, au moins, de profondément corrompu, dans la démocratie américaine – deux éditos, du Washington Post et du New York Times, viennent de tirer la sonnette d’alarme -, tout ne peut pas encore s’acheter. À preuve dans l’Iowa, où Rick Santorum n’a dépensé que 560 000 dollars, soit huit fois moins que Romney, pour finir presque ex æquo avec lui. Il a en revanche été le seul candidat à avoir visité les 99 comtés de l’État…
Une exception dans un pays où les élections sont et seront davantage encore à l’avenir dominées par les puissances d’argent. « In God we trust », proclame la devise des États-Unis – figurant sur les billets de banque. C’est vrai, mais il y a un corollaire caché. Car ils croient aussi beaucoup au big money.
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Jean-Eric Boulin, à New York
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