Tunisie : Ettadhamen, un quartier populaire à bout de patience
Il y a un an, Ettadhamen, un quartier populaire de la capitale tunisienne, payait un lourd tribut humain et matériel à la révolution. Aujourd’hui, ses habitants se sentent abandonnés, voire floués.
« Dégage, il n’y a plus rien à voir ; c’est fini, on a fermé, le spectacle est terminé ! » s’exclame Yasser. Ce jeune tunisien de 23 ans, sans formation ni emploi, laisse éclater sa rage : « Deux cousins sont morts à Thala, en janvier dernier, pour rien… Nous avons été roulés dans la farine ; aucun changement. Pourtant, nous y avons cru, mais, regardez, nous sommes toujours dans un ghetto. Le gouvernement se soucie plus des Palestiniens que de nous. Il serait temps qu’une vraie révolution mette les choses au point. » Et de reconnaître que les habitants de la cité Ettadhamen tentent de tourner la page de la révolution avec dignité. « On en a assez de tendre la main et de demander de l’aide, certains moments ont été très difficiles et ce qui nous attend est pire », conclut Yasser.
Véritable baromètre des tensions sociales, la Cité Ettadhamen avait, entre le 12 et le 13 janvier 2011, lancé l’insurrection qui allait embraser les quartiers populaires, à la périphérie de Tunis, avant d’atteindre le coeur de la capitale pour aboutir à la première révolution du Printemps arabe. Mais l’entrée en démocratie n’a pas apporté les changements escomptés par une population démunie qui a payé un lourd tribut humain – 8 morts et 30 blessés – et matériel au soulèvement. « Les attentes étaient très fortes, mais, à défaut d’aide de l’État, les habitants n’ont eu d’autre choix que de se débrouiller seuls », commente Asma Ben Hamida, fondatrice et directrice de l’organisme de microcrédit Enda Inter-Arabe, qui opère dans le quartier depuis vingt et un ans. Mais elle remarque que les rapports sociaux sont en mutation ; tacitement, mais de plus en plus souvent, aux guichets d’Enda, les hommes et les femmes ne se mélangent pas, ne se parlent pas. En parallèle, une certaine agressivité alimente les tensions. « C’est comme si, avec l’effondrement de l’ancien régime et la levée de la répression, la notion de limite avait disparu », constate un enseignant, qui rappelle que dans le lycée voisin des élèves ont violemment remis en question les cours de dessin et traité leur enseignante d’hérétique.
Débrouille
Pourtant, le quartier est méconnaissable ; toutes les traces d’émeutes et de vandalisme, encore visibles il y a cinq mois, ont été soigneusement effacées. On peine à se frayer un chemin entre les étals qui croulent sous les fruits et les produits de contrebande venus d’Algérie. Bien que très modeste, Ettadhamen a des allures de petite bourgade. « Comme beaucoup d’autres, j’ai profité de l’absence des agents municipaux pour construire un étage de plus sans autorisation, claironne Amor, un épicier. Avec la débrouille qu’il y a dans le quartier, nous avons eu de bons prix pour les matériaux. Cet acquis, personne ne pourra me l’enlever. »
Avec ses quelque 150 000 habitants issus de l’exode intérieur, Ettadhamen, qui signifie « solidarité », est toujours le reflet du pays. À la faveur de la révolution, la politique et les revendications se sont invitées dans tous les lieux publics. Les débats secouent les rues 105 et 106, autour desquelles s’articule le quartier et qu’on appelle pompeusement « les avenues ». Hadda, propriétaire d’une échoppe de produits laitiers, a voté pour Ennahdha : « Avant les élections, ils ont contribué à la sécurité, à nettoyer le quartier, nous attribuaient des aides et nous ont alléchés avec de nombreuses promesses, mais aucune n’a été tenue. Mon mari l’avait pressenti, il a voté pour le parti de Marzouki. Maintenant, un semblant d’équilibre est revenu, mais la peur est toujours là. Il suffit d’un rien pour que tout explose à nouveau. »
Trafics
Très forte avant les élections, la présence des islamistes et des salafistes n’est aujourd’hui pas plus notable qu’ailleurs, et les femmes, voilées ou non, vaquent tranquillement à leurs occupations. On en oublierait presque qu’ici la délinquance est toujours l’une des plus fortes du pays. Avec aplomb, Ramzi, 17 ans, se présente comme un petit chef de bande ; il roule des mécaniques avec sa casquette fétiche vissée sur la tête : « Depuis la révolution, ici, tous les trafics se portent bien. Après le saccage des magasins, nous avons ramassé ce que les pilleurs ont laissé ; certains ont équipé leur maison, d’autres revendu les produits. À défaut de travail, nous nous sommes assuré quelques revenus, d’autant que la police a été longtemps absente. Nous avions quartier libre. » L’un de ses acolytes précise : « Agresser pour agresser n’intéresse personne ; c’est ce qu’on peut en tirer qui compte. En fait, nous ne sommes pas de mauvais bougres, mais plutôt de pauvres diables. On a quitté l’école avec pour seule perspective une carrière de chômeur. » Une mère de famille tente de leur trouver des excuses : « Si nos enfants volent, c’est qu’ils n’ont pas d’autres subsides ; certains savent à peine lire. » À Ettadhamen, les murs frais chaulés abritent une misère toute en dignité et résignation, mais les attentes déçues d’une population d’exclus qui n’a rien à perdre peuvent à tout moment relancer l’insurrection.
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