Arnaud Ngatcha : « Face aux médias russes, c’est une bataille de valeurs qu’il faut mener »
Journaliste et adjoint chargé des relations internationales à la mairie de Paris, Arnaud Ngatcha était candidat à la présidence de France Médias Monde, structure qui chapeaute les médias publics destinés à l’international. Avec un projet : mettre plus de moyens sur l’Afrique.
Le 23 avril prochain, le mandat de la présidente de France Médias Monde (FMM), structure qui réunit les grands médias audiovisuels publics français d’information internationale (France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya) arrive à échéance. Aucun suspense néanmoins, puisque le processus de désignation du nouveau patron de FMM s’est déroulé en amont et s’est conclu, en janvier, par la reconduction de la présidente sortante, Marie-Christine Saragosse, en poste depuis 2012.
L’Arcom, autorité de tutelle de l’audiovisuel public, a misé sur la continuité, préférant Mme Saragosse à ses quatre concurrents : David Hivet, ancien de l’agence française de développement médias CFI, Pierre-Étienne Pommier, ex-conseiller sur les outils numériques pour le groupe La République en marche à l’Assemblée nationale, Sylvain Attal, ancien directeur adjoint de la rédaction de France 24 et Arnaud Ngatcha, qui fut journaliste et documentariste à M6 et France Télévision et qui occupe depuis 2020 le poste d’adjoint en charge des relations internationales et de la francophonie à la mairie de Paris.
Spécialiste des questions de diversité et d’identité des personnes d’origine africaine, né d’une mère française et d’un père camerounais, l’élu parisien avait bâti son projet autour d’une priorité : faire du continent la principale priorité des médias internationaux français, face à une concurrence de plus en plus vive et, parfois, agressive.
Jeune Afrique : Quelles étaient vos motivations quand vous avez décidé de présenter votre candidature à la présidence de France Médias Monde ?
Arnaud Ngatcha : D’abord, j’avais le sentiment que j’étais en mesure de présenter un projet original, avec des axes permettant une transformation en profondeur, une redéfinition des objectifs. Compte tenu de mon profil de professionnel des médias, de mon parcours personnel et de mes origines, et aussi de la connaissance des relations internationales que j’ai acquise, notamment, depuis que je suis adjoint à la maire de Paris, je pensais pouvoir être un atout. L’Arcom a finalement choisi de reconduire Marie-Christine Saragosse en expliquant que ce choix était guidé par une volonté de « stabilité » et de continuité. J’en prends acte, je l’accepte et je souhaite bonne chance à Mme Saragosse.
Quelles étaient les grandes lignes de votre projet ?
Il était largement bâti autour de l’Afrique, de la présence de l’audiovisuel français en Afrique. J’ai rencontré beaucoup de gens pendant les mois durant lesquels j’ai travaillé sur ce projet. Des ambassadeurs, des gens de médias, des grands patrons… J’ai rapidement estimé que dans le contexte diplomatique actuel, avec les difficultés que rencontre la France sur le continent, les médias regroupés au sein de France Médias Monde pouvaient jouer un rôle important, qui plus est dans un environnement de concurrence croissante.
J’ai aussi parlé avec des dirigeants de grands groupes qui m’ont répété que lorsqu’on élabore un projet, il faut faire des choix stratégiques. Mettre plus de moyens sur un sujet et moins sur d’autres. C’est pourquoi je proposais de renforcer les moyens humains et financiers de RFI et de France 24 en Afrique, dans une certaine mesure aussi en Asie et dans la zone indo-pacifique, mais que je questionnais l’importance de l’Amérique latine dans le dispositif.
Vous évoquez une concurrence croissante en Afrique, à qui pensez-vous ?
D’abord à la BBC et à la Deutsche Well, qui sont bien mieux dotées que les médias français. Je pense aussi à certains médias américains qui mènent une véritable offensive sur le continent, il ne faut pas être naïfs ! Et puis bien sûr aux Russes de RT et aux Chinois de CCTV, que certains comparent aux médias publics occidentaux mais qui pour moi ne sont pas de la même nature.
En quoi sont-ils différents ?
Il y a une certaine confusion parce que RT ou CCTV, comme RFI, la BBC ou la Deutsche Welle sont des médias publics, financés par des fonds publics. Mais les points communs s’arrêtent là : le fait que les capitaux soient publics n’a aucune influence sur le travail des rédactions des antennes de France Médias Monde, qui évidemment sont complètement libres et indépendantes. Bien sûr elles portent d’une certaine manière la voix de la France, mais de la France en tant que nation. En face, RT et CCTV portent la voix de leur gouvernement, cela n’a rien à voir. Il y a une vraie bataille médiatique en ce moment sur le continent et cette bataille porte aussi sur certaines valeurs : la défense de la démocratie, la lutte contre les fake news…
RT a mis beaucoup de moyens pour toucher une vaste audience en Afrique, notamment dans les pays francophones. Pour vous c’est un danger ?
Quand je vois le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, multiplier les voyages sur le continent, je ne peux pas croire que la Russie n’ait pas une idée très précise du rôle qu’elle veut y jouer, y compris via ses médias. Et je constate quand je me rends dans ces pays, par exemple au Sénégal où je suis allé en début d’année, que le discours que portent les médias russes trouve un écho dans une partie de la population, notamment chez les jeunes. Cette idée que la Russie ne fait pas de leçon de morale, qu’elle ne cherche pas à imposer ses « valeurs », ça fonctionne. Et la ligne éditoriale de RT n’est qu’un reflet de cette stratégie.
Il y a une volonté évidente de déploiement sur le continent, sans états d’âme, et c’est aussi contre ça que nous devons nous battre car je crois, oui, que cela constitue un risque majeur. Il y a une bataille sur les valeurs à mener, sans donner de leçon mais en expliquant que celles que nous portons sont, aussi, au service des populations.
Cette bataille justement, comment comptiez-vous la mener ? Avec quels moyens ?
L’idée était de faire en sorte que France Médias Monde, ou disons RFI et France 24, reste le média de référence sur le continent et pour cela je voulais renforcer les moyens humains et financiers. Mais aussi identifier des zones de développement, par exemple développer la diffusion des programmes de RFI en langues africaines, parce que les populations sont en train de se réapproprier ces langues. Le projet visait aussi à investir sur le numérique : l’Afrique est le continent le plus jeune au monde, le taux de pénétration du téléphone mobile est énorme, plus important que celui de la télé, donc là aussi il y a beaucoup à faire. Et puis je pense qu’il y avait des synergies à trouver avec France Télévision et France Info.
La présidence sera remise en jeu dans cinq ans, serez-vous candidat ?
Je ne sais pas. C’est un peu tôt, on verra… Ce qui est certain c’est que la question des médias en Afrique m’intéresse et continuera de m’intéresser.
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