Nord-Mali : qui sont les rebelles du MNLA ?
Alimentée par le retour de Libye de plusieurs milliers de combattants touaregs d’origine malienne, la rébellion reprend du service au Nord du Mali. Sous la houlette du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Analyse.
Le 17 janvier, aux premières lueurs du jour, un groupe d’hommes emmenés par Assalat Ag Habbi, un colonel ayant déserté l’armée malienne en juillet 2011, prend d’assaut le camp militaire de Ménaka, petite bourgade du Nord, non loin de la frontière avec le Niger. Sous des tirs nourris, les loyalistes reculent, abandonnant leur caserne, qui est saccagée. À quelques encablures de là, un deuxième camp militaire – celui de la Garde nationale – est attaqué à l’arme lourde. Les assaillants l’auraient remporté sans l’intervention d’un hélicoptère de combat qui les contraint à un repli. Le lendemain à l’aube, ce sont les garnisons d’Aguelhok et de Tessalit, proches de la frontière algérienne, qui sont assiégées de la même manière. Là encore, chacun des adversaires – rebelles et loyalistes – jure qu’il tient les deux villes. D’après un humanitaire basé à Kidal, elles seraient restées sous contrôle de l’armée régulière au soir du 19 janvier. « Selon des rumeurs, les rebelles vont revenir à la charge, mais on n’en sait rien », confiait-il, effrayé, tandis qu’un habitant de Ménaka témoigne de l’exode massif des populations qui fuient vers le sud, parfois à dos d’âne. Bilan officiel des trois attaques : quarante-cinq rebelles et deux militaires tués, et des centaines de blessés. Beaucoup d’autres s’ensuivront. Mais qui sont les assaillants ?
Les attaques sont revendiquées par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), une organisation créée en juillet dernier alors que des centaines de combattants touaregs d’origine malienne, incorporés depuis des lustres dans l’armée de Mouammar Kadhafi, rentraient au pays. Son objectif ? « Libérer nos terres de l’occupation des forces militaires de Bamako », déclare Hama Ag Sid Ahmed, l’un de ses porte-parole, basé à Paris et qui fut l’homme de confiance d’Ibrahim Ag Bahanga, éternel révolté de la cause indépendantiste, mort dans un accident de la route en août 2011.
"Revenants" de la Libye
Ag Najem, ou la soif de vengeance
Depuis les attaques de Ménaka, Aguelhok et Tessalit, Mohamed Ag Najem est devenu l’ennemi public numéro un. Colonel de l’armée libyenne jusqu’en juillet 2011, il a quitté Bani Walid alors assiégé par les insurgés du Conseil national de transition (CNT) pour rejoindre son Mali natal avec troupes, armes et bagages.
Né à la fin des années 1950 dans l’Adrar des Ifoghas, Ag Najem est encore enfant quand son père est tué par l’armée malienne, lors de la rébellion touarègue de 1963. L’orphelin grandit dans la haine du pouvoir de Bamako. À 20 ans, il s’installe en Libye et s’engage comme volontaire dans l’armée de Kadhafi, alors en quête de chair à canon pour « combattre en Palestine ». Après une courte formation militaire au camp du 2-Mars, il fait son baptême de feu au Liban, plongé dans la guerre civile.
Au milieu des années 1980, il est sur le front tchadien puis, en 1990, retourne au Mali pour participer à la rébellion qu’anime Iyad Ag Ghali, l’un de ses anciens compagnons. Considérant l’accord de paix signé entre les rebelles touaregs et le gouvernement malien en avril 1992 comme une trahison, il regagne la Libye, où il s’engage définitivement dans l’armée, en prenant la nationalité libyenne. Ses états de service et ses aptitudes guerrières lui valent une promotion rapide et le commandement d’une unité d’élite à Sebha, dans le Sud libyen. La déliquescence du régime de Kadhafi accélère son retour dans son pays natal.
Son irrédentisme n’a pas été entamé par ce long exil. Il installe deux camps dans le désert, l’un à Tigherghar, aux confins de l’Algérie, l’autre à Zakak, dans la région de Kidal, déterminé à y préparer ses hommes à la lutte pour l’indépendance. Ses troupes grossissent au fil des jours. Il parvient à fédérer trois factions touarègues locales, puis est rejoint par une vague de déserteurs de l’armée malienne, dont plusieurs officiers supérieurs. Tous lui font allégeance. C’est ainsi qu’il devient chef d’état-major général du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), et le « cerveau » des attaques du 17 et du 18 janvier.
Mohamed Ag Najem est un Idnan – un clan de la tribu des Kel Adagh, communauté touarègue de l’Adrar des Ifoghas. Vivant entre le Mali et l’Algérie, les Idnan, guerriers réputés, sont également connus pour leur élégance. Élancé, le visage barré par une moustache, Ag Najem incarne aujourd’hui le courant le plus radical au sein des Touaregs.
Les événements de Ménaka, d’Aguelhok et de Tessalit ont gâché le 51e anniversaire de l’armée malienne, célébré le 20 janvier. Dans son discours à la troupe, le président Amadou Toumani Touré (ATT) n’en a soufflé mot et, dans les cercles du pouvoir, on s’interdit le moindre commentaire. « Nous étions informés de ces attaques et nous avons pris nos dispositions en conséquence », confie du bout des lèvres un proche conseiller d’ATT. Si le réveil de cet irrédentisme n’a pas surpris, le retour des « Touaregs de Kadhafi » complique encore la donne dans cette région instable, infestée de salafistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et de narcotrafiquants.
Membres du corps d’élite de l’ex-« Guide » libyen, ces « revenants » ont servi Kadhafi parfois toute leur vie. Après sa chute en octobre dernier, environ quatre mille hommes, selon des sources touarègues (deux mille selon les autorités de Bamako) sont rentrés au Mali. Et avec eux d’importantes quantités d’armes et de munitions, récoltées dans les arsenaux libyens : fusils d’assaut, missiles sol-sol et sol-air, lance-roquettes et lance-roquettes multiples (LRM), plus communément appelés « orgues de Staline ».
Conscient de la menace, ainsi que du caractère ombrageux des membres de cette communauté, le gouvernement malien a organisé des cérémonies d’accueil durant tout le dernier trimestre 2011. Cette opération a été dirigée par le colonel El Hadj Gamou, adjoint du chef d’état-major particulier d’ATT. Héros pour les uns, traître pour les autres, El Hadj Gamou est lui-même un Touareg de la tribu Imghad, réputée fidèle au pouvoir de Bamako. Sa mission est couronnée de succès, puisque la majorité des anciens de Libye a fini par prêter allégeance au président ATT. Mais un groupe d’irréductibles reste à l’écart. À sa tête, Mohamed Ag Najem, ex-colonel de l’armée Kadhafienne (voir encadré) et cousin d’Ibrahim Ag Bahanga. À son retour de Bani Walid (Libye), où il était affecté, Ag Najem s’installe dans les collines de Tin-Assalak, au nord de Kidal. Il y retrouve les hommes – esseulés – de Bahanga qu’il prend sous son aile, ainsi que les jeunes révolutionnaires du Mouvement national de l’Azawad (MNA), plus présent sur internet que sur le terrain. Bergers, diplômés-chômeurs, jeunes désespérés… Tous rêvent d’un Azawad indépendant, capable de pourvoir à ses besoins en matière d’éducation, de travail et de santé, et, surtout, débarrassé de la tutelle « inutile » du pouvoir central. De la fusion de ces trois groupes naît le MNLA, dont l’objectif assumé est de libérer l’Azawad, un territoire qui comprend les trois régions de Tombouctou, Gao et Kidal. Les effectifs s’étoffent avec l’arrivée de déserteurs de l’armée régulière, dont le lieutenant-colonel Mbarek Ag Akly, les colonels Iba Ag Moussa (alias Bamoussa) et Assalat Ag Habbi.
« Les autorités n’ont jamais respecté leurs engagements vis-à-vis des Touaregs, souligne Hama Ag Sid Ahmed. Nous n’avons jamais compté sur Bamako pour survivre, alors nous sommes prêts pour l’indépendance. » Écoles, centres de soins et points d’eau sont rares. « La misère est palpable, témoigne un élu de Gao. Réduire la pauvreté est le seul moyen de venir à bout de toutes ces rébellions. » Du terrorisme aussi. Car c’est aux confins du désert malien que les terroristes d’Aqmi ont élu domicile. Et même si la rébellion touarègue nie toute collusion, il est clair que l’organisation djihadiste recrute, à tour de bras, au sein de la population délaissée. C’est pour lutter contre ce phénomène qu’ATT a lancé le Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement, visant à doter le pays d’infrastructures sanitaires et scolaires, et couplé avec des initiatives génératrices de revenus. Autre volet de ce programme de 60 millions de dollars (46,4 millions d’euros) réunis grâce à la communauté internationale : le redéploiement de l’armée malienne, perçu par les irrédentistes comme une provocation. « Pour lutter contre Aqmi, il suffit de nous laisser faire, s’insurge Sid Ahmed. Les autorités ont laissé les trafiquants de drogue et les djihadistes libres d’agir à leur guise. Nous, nous allons nettoyer notre territoire. »
L’armée malienne sur le pied de guerre
Les forces armées maliennes sont pourtant sur le pied de guerre. Matériels et militaires ont été massivement déployés à Gao, dans le nord-est du pays. « Les instructions sont formelles : ne pas toucher aux civils, mais traquer les criminels avec la dernière énergie », explique le lieutenant Oumar Touré, un porte-parole de l’armée. Ce qui, loin de rassurer les civils, produit l’effet inverse. Fouilles systématiques et perquisitions se succèdent, parfois avec violence. Et les Touaregs craignent des représailles de leurs voisins. « Nous ne sommes pas solidaires du mouvement rebelle, mais, pour les gens, c’est pareil, déplore une Touarègue de Kidal. Les autres communautés [songhaï, peule, dozo et toucouleure, NDLR] nous regardent en chien de faïence et nous avons peur que cela dégénère. »
Éditorialistes et classe politique s’inquiètent, eux, pour la présidentielle du 29 avril. « Si la situation n’est pas réglée d’ici là, le scrutin ne pourra être organisé dans les régions du Nord. Cela consacrerait de fait la partition du pays, s’inquiète un député du Nord. Quel Mali ATT léguera-t-il à son successeur ? »
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Par Malika Groga-Bada, avec Baba Ahmed (à Bamako)
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