Centrafrique : les bébés Areva
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 23 janvier 2012 Lecture : 3 minutes.
Monsieur le président d’Areva. Je vous écris depuis Bangui, où le nom de votre groupe industriel, géant français du nucléaire, était il y a peu encore synonyme d’espoir. Au point, sans doute l’ignorez-vous, de faire naître une floraison de petites filles prénommées Areva dans ce qui ici tient lieu de maternités : les cases en banco. C’était il y a trois ans. Votre prédécesseur, Anne Lauvergeon, venait de conclure avec le gouvernement local un contrat d’exploitation de la mine d’uranium de Bakouma, et la Centrafrique tout entière s’était prise à rêver de ce coup de pouce, de ce starter qui lui permettrait enfin de prendre son envol.
Il faut dire, monsieur Luc Oursel, que la Centrafrique est un pays dont les statistiques font peur. Ici, l’espérance de vie est de 48 ans, il y a 300 médecins pour 5 millions d’habitants, et le taux de mortalité infantile est dans certaines régions supérieur à celui des camps de réfugiés somaliens. Ici, les maîtres du primaire enseignent à des classes de 100 ou 150 élèves, et des groupes de bandits armés déguisés en pseudo-libérateurs pillent la terre brûlée dans des régions dont vous n’avez jamais entendu parler : l’Ouham-Pendé, le Haut-Mbomou ou le Nana-Grébizi. Ici, l’impôt est si difficile à recouvrer que l’on distribue des billets de loterie aux bons contribuables à titre de récompense et que les trafiquants de bois ou de diamants sont bien les seuls à prospérer. Ici, des paysans admirables et misérables récoltent le coton comme on le faisait dans le Mississippi il y a deux siècles : à la main pour 30 centimes d’euro le kilo. Ici, les préfets vivent dans des bâtisses aux toits percés, un ministre gagne l’équivalent du smic en France, et un avion de transport militaire à hélices qui vola jadis pour l’armée américaine fait office d’Air Force One pour le chef de l’État, François Bozizé. Inutile, donc, de chercher des biens mal acquis : depuis la razzia qu’y effectua en 2003 la soldatesque d’un certain Jean-Pierre Bemba, il n’y a plus de biens.
C’est à ce pays, monsieur le président d’Areva, que vous avez brusquement ôté tout espoir en annonçant, il y a deux mois, que votre groupe suspendait sine die l’exploitation de la mine de Bakouma, seule perspective de revenus supplémentaires à court terme pour ses finances exsangues. Motif : depuis la catastrophe de Fukushima, la demande et donc les cours de l’uranium sont en berne. Votre logique est implacable, à prendre ou à laisser. Car vous ne craignez rien, monsieur Oursel. Même s’il y aurait sans doute matière à le faire – après tout, aux termes de votre accord, Areva aurait dû démarrer l’exploitation dès le début de 2010, soit un an avant Fukushima -, vous savez que le gouvernement centrafricain ne contestera pas votre contrat pour aller le revendre à vos concurrents chinois. S’attaquer à Areva, ce serait s’attaquer à la France, et le général Bozizé connaît le rapport des forces. Et puis quelle ONG irait défendre le droit du peuple centrafricain à bénéficier d’un minerai aussi écologiquement incorrect ?
Le gisement de Bakouma attendra donc d’hypothétiques jours meilleurs, et les Centrafricains, broyés par la mondialisation, aussi. Je ne suis pas naïf, monsieur le président, au point de croire que ces quelques lignes vous feront revenir sur votre décision. Simplement et puisque vous n’avez pas jugé utile de vous déplacer à Bangui pour en mesurer les conséquences, je tenais à vous dire ceci : les bébés Areva, tout au moins ceux d’entre eux qui survivront, risquent fort d’avoir honte de leur prénom…
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