Fatoumata Diawara, de Londres à Bamako

Le 12 mai prochain, « Londonko », le nouvel album de la chanteuse malienne, produit par Damon Albarn, verra le jour. Elle s’est confiée sur la genèse de ce projet collaboratif.

Fatoumata Diawara à Paris le 28 mars 2023. © Bruno Levy pour JA

Publié le 6 mai 2023 Lecture : 5 minutes.

Londonko : c’est le nom du prochain album de Fatoumata Diawara, une rencontre entre Londres et Bamako de 14 titres, dont 6 produits avec Damon Albarn. Le premier aperçu de cet opus, c’était avec Nsera, sorti fin 2022. La chanteuse malienne et l’Anglais de Gorillaz l’avaient dévoilé au fil d’un clip aussi coloré qu’engagé signé Greg Ohrel, où les sonorités mandingues de l’une venaient rencontrer l’électro de l’autre. Le titre, en bambara, signifie « destination ».

Cette destination, elle y revient justement : elle n’est pas de celles que l’on atteint en montant dans un avion, elle symbolise son travail avec Damon Albarn, raconté comme une union liée au destin. Eux qui ont déjà collaboré sur Désolé de Gorillaz, ou encore sur le projet Africa Express, se retrouvent pour Le Vol du boli, au théâtre du Châtelet, au printemps 2022 : un chant d’amour pour l’Afrique, né de la rencontre de l’artiste britannique avec le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako. Albarn fait appel à elle pour la création des chansons, ils travaillent de nouveau ensemble et se plaisent dans cette collaboration : « Et si on continuait sur un autre projet ? » se demandent-ils. La réponse arrive vite : « Juste après cette discussion, on s’est loué un studio deux jours à Paris pour commencer », raconte Fatoumata.

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« Une vraie fusion »

Tous deux ont en commun un grand attachement pour le Mali. Outre la terre, Damon Albarn en aime les mélodies, grâce à Marc-Antoine Moreau, connu comme un « passeur » de musiques africaines – il a fait découvrir Amadou et Mariam –, qui a terminé sa carrière à la tête d’Universal Music Africa. Avec sa disparition, suite à une crise de paludisme en 2017, Damon Albarn a perdu sa connexion avec le pays d’Afrique de l’Ouest, raconte Fatoumata. « Il y avait de la nostalgie chez lui. Se lancer dans cet album ensemble a été une étincelle. »

Deux compositeurs qui se retrouvent, ça peut vite accrocher

Deux univers se rencontrent, avec l’objectif pour chacun de garder son identité musicale : « C’est une vraie fusion, commente-t-elle. Moi je ne change rien dans ma façon de chanter, lui ne modifie pas sa façon de composer. » Elle se dit ouverte à sa « folie », elle a confiance en lui, elle est prête à le suivre. « Je suis compositrice aussi, et c’est difficile de façonner les compositeurs, plaisante-t-elle. Ils ont une vision musicale très personnelle. En général, ils invitent les autres dans leur univers, et pas l’inverse. Deux compositeurs qui se retrouvent, ça peut vite accrocher… » Dans le mauvais, comme dans le bon sens du terme.

Le wassoulou valse avec l’électro

Mais dans ce cas là, bingo ! la deuxième option l’emporte. Tous deux composent, le terrain d’entente est évident, c’est ça, la « destination » de Nsera, ce point de rencontre qui fonctionne au premier accord. « Il m’a dit, je ne peux faire ça qu’avec toi », confie-t-elle dans un sourire. Quatre chansons naissent de cette première étape. « De toute façon, s’il y a bien une chose que la musique déteste, c’est quand ceux qui y travaillent ne sont pas en cohésion. » Il y a des titres où il lance la mélodie et « m’invite sur son projet », d’autres où c’est elle qui compose avant d’ouvrir la porte aux invités. Mais aussi quelques chansons qu’ils entament en chœur, en partant de zéro.

Dans cet album, je raconte les enfants du monde

Dans Nsera, le bambara rencontre l’anglais, le wassoulou valse avec l’électronique. Un mélange auquel elle n’est pas habituée, mais qui lui plaît bien : « Mon public est familier de ma voix, de mon image. C’est bien de changer de temps en temps. On a la chance de pouvoir explorer d’autres sonorités sans que nos publics ne nous abandonnent, alors il faut continuer à proposer des choses. » Mais Londonko a aussi ses guitares voix, plus typiques de Fatoumata, comme avec la chanson Moussoya.

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Marqué par le voyage

Si le premier titre paru évoque la destination, l’album est surtout marqué par l’idée du voyage. À l’image de ses collaborations passées, Fatoumata Diawara offre un disque en prise avec la scène artistique mondiale. On y croise le chemin du français Mathieu Chedid, alias M, de l’Américaine Angie Stone, du rappeur ghanéen M.anifest, de la Nigériane Yemi Alade, du jazzman cubain Roberto Fonseca. Tous réunis pour servir les textes engagés de Fatoumata : « Dans cet album, je raconte les enfants du monde. Comment sauver les générations de demain ? » interroge-t-elle, avant de dérouler les thèmes qui animent l’opus.

L’album a été écrit au fil de résidences, entre Lyon, Nîmes, Bamako, Los Angeles

« Le deuxième jour de studio, Damon trouve la chanson Dambe autour d’une ligne de basse, avec des notes reggae. Et il a dit : ‘Ça, c’est London Bamako, Londonko !’ J’ai trouvé ça beau. » L’album commence dans la capitale française, pour faire se rencontrer les capitales malienne et britannique, et évolue au fil de la tournée d’été 2022 de Gorillaz, sur laquelle Fatoumata intervient : « Il a été écrit au fil de résidences en maisons de campagne et autres, entre Lyon, Nîmes, Bamako, Los Angeles », se souvient-elle. Entre deux concerts – « épuisés » –, ils s’enferment pour créer. Tout est l’occasion de façonner de nouveaux morceaux, même les voyages en train, qui ont vu naître certains titres.

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« La clé de la réussite »

Fidèle à elle-même, Fatoumata raconte une Afrique pleine d’espoir, qu’elle aimerait voir prospérer loin de la réalité des enfants soldats, de la haine infligée aux personnes albinos, sans excision, sans conflits armés… autant d’images que reflètent le clip Nsera, sur fond de paysages splendides. Une Afrique à laquelle on retirerait la violence pour ne garder que la beauté. Mais dont elle continuera à conter toute la réalité, quitte à se répéter, en changeant les mélodies. « Il y a une nouvelle chanson à propos de l’excision. Cela continue, et on n’en parle pas assez. Si nous, les artistes, ne chantons pas pour informer, qui le fera ? »

Les jeunes ont une responsabilité en tant qu’enfants de la nation. Ils sont l’Afrique de demain

Dambe alerte pour sa part sur une dérive de la jeunesse africaine, et plus particulièrement malienne. « Je trouve que ça part un peu dans tous les sens. Les jeunes fument des choses, parfois sans savoir quoi, et perdent la tête, abandonnent leurs études. J’ai envie de leur poser la question : où se trouve votre identité dans tout ça ? » interroge-t-elle, avant de faire référence à l’interdiction de fumer la chicha récemment décidée au Mali dans le but de limiter l’accès aux drogues. « Petit plaisir, grand problème, reprend-elle. Il faut être jeune, mais rester prudent. Les jeunes ont une responsabilité en tant qu’enfants de la nation, ils doivent se préparer à l’aider à changer. Ils sont l’Afrique de demain. »

Et de terminer : « Je veux que les jeunes qui me suivent se disent : Fatoumata ne boit pas, ne fume pas, c’est peut-être ça la clé de la réussite. » Elle ajoute : « Je ne bois même pas de café ! » Mais cette journée parisienne de promotion pour l’album pourrait bien la faire changer d’avis sur ce dernier point­ : « Je vais commencer à prendre du cappuccino, on va voir ce que ça va donner », plaisante-t-elle, avant d’enchaîner sur une autre interview.

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