« Captive », de l’Algérienne Sarah Rivens, un phénomène littéraire XXL

Des millions de lecteurs, neuf traductions en cours… Le succès de la trilogie « Captive » propulse sa jeune et mystérieuse auteure algérienne sur le devant de la scène littéraire francophone.

L’auteure algérienne Sarah Rivens. © Wikipedia

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Publié le 6 avril 2023 Lecture : 5 minutes.

« Captive est une dark romance qui n’entre pas dans les codes de la romance classique : romance y rime avec violence, et certaines scènes peuvent surprendre les lecteurs non avertis. Trigger warnings : mentions de viol, violences physiques, langage violent. » L’avertissement qui précède Captive, la saga en trois tomes de Sarah Rivens, nous met directement dans le bain : l’univers de l’écrivaine algérienne, âgée de 24 ans, est sombre, très sombre.

Recommandée seulement à partir de 18 ans, cette trilogie n’en a pas moins remporté un succès colossal. Sur son site internet, il est précisé que, depuis son plus jeune âge, la jeune femme « nourrit une passion pour l’écriture, écrivant des chapitres indépendants exclusivement pour elle-même. » En 2019, elle publie ses premières histoires sur la plateforme Wattpad.

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Pendant le confinement, celle qui se faisait appeler theblurredgirl (« la fille floue ») voit sa popularité croître au point que chaque tome est lu 9 millions de fois. Sur TikTok, #captivewattpad a été vu 70 millions de fois, et sa communauté Instagram compte aujourd’hui 126 000 followers.

Du web aux librairies

Phénomène de mode ? Nouvelle bulle internet prête à éclater ? Non, la sortie dans les librairies, en août 2022, du premier opus n’a fait que confirmer son succès vertigineux : « La trilogie s’est écoulée à plus de 350 000 exemplaires en papier et à 50 000 exemplaires en numérique. En tirage, nous sommes à plus d’un demi-million d’exemplaires en magasin, et les titres continuent à s’écouler à plus de 5 000 exemplaires par semaine », nous informe Marie Legrand, directrice de projets chez HLAB, une maison d’édition spécialisée dans les nouveaux formats et les contenus narratifs. Quand le tome 2 paraît, en janvier 2023, il se hisse en tête des ventes de livres toutes catégories confondues (source : GfK). Sarah Rivens détrône ainsi les Mémoires du prince Harry !

Qui se cache derrière la nouvelle reine de l’édition française ? « Sarah souhaite séparer au maximum sa vie privée et sa vie d’auteur, précise Marie Legrand. Elle refuse de répondre aux interviews en ce moment ». On ne sait pas grand-chose d’elle, hormis qu’elle est responsable administrative d’une salle de sport à Alger Centre. À la fin du tome 2, elle écrit : « J’aimerais également remercier mon ancien boulot et mes cours, parce que j’étais très productive au sein d’une classe et avec des collègues qui m’encourageaient à éditer mon roman. » Avant de conclure par ses traditionnels « Prenez soin de vos petites frimousses » et « With love ».

Au-delà des chiffres et du mystère Sarah Rivens, il y a ses lettres. On lorgnera du côté des États-Unis ou du monde anglo-saxon pour déterminer ses influences. Il y a, d’abord, son pseudonyme. Puis, avec l’atmosphère musicale, une playlist qui précède chaque tome. Taylor Swift y côtoie Miley Cyrus, Harry Styles, Travis Scott, etc. Ensuite, sa trame narrative : on peut voir Captive comme un croisement entre Cinquante nuances de Grey (pour la relation de pouvoir qui lie Ella, la captive, à Asher Scott, son possesseur) et John Wick (car l’histoire se déroule dans un monde de gangsters avec ses propres codes, nébuleux). Enfin, ses tics de langage, qui rappellent ceux des séries américaines, avec une abondance de « littéralement » et de « putain ».

Série « Captive », de Sarah Rivens, éd. HLAB © Editions HLAB

Série « Captive », de Sarah Rivens, éd. HLAB © Editions HLAB

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Voulant venir en aide à sa tante, droguée, et lui payer des soins pour la sortir de son addiction, Ella est devenue « captive » en Floride. Traumatisée par son précédent « possesseur », John, qui la prostituait, elle tombe, à 22 ans, entre les griffes d’Asher Scott, qu’elle surnomme « le psychopathe ». Chef d’un réseau de gangsters, ce dernier lui fait subir humiliation sur humiliation. Il lui brûle la main sur une plaque de cuisson, la fait dormir dans une cave glaciale, lui ordonne de lui servir des repas qu’il ne mange pas, etc. Et ne manque jamais une occasion de menacer de mort ou de torture sa captive, qu’il s’obstine à refuser d’appeler par son prénom pour mieux l’avilir. On apprendra que les précédentes n’ont tenu que quelques jours à ses côtés. Il a même tué la première.

Psychopathe sans cervelle

Toutes les dix pages, avec de multiples phrases en italiques, Ella répète que sa situation ne pourrait être pire… Et pourtant, l’assassin sadique finit par la séduire. Sa fascination-répulsion conduit la protagoniste à dire une chose et son contraire : « Qu’est-ce qu’il pouvait être con ! Mais il avait raison. Même s’il m’énervait au plus haut point, j’étais quand même un tout petit peu attachée à ce psychopathe sans cervelle qui me servait de possesseur, Asher Scott. » Quelques pages plus loin, ce qui devait arriver se produit : « Asher putain de psychopathe de Scott m’embrassait. »

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Une lecture optimiste peut nous conduire à lire le roman comme une illustration de la dialectique du maître de l’esclave, de Hegel. L’esclave finit par devenir le maître de son maître. En l’occurrence, parce qu’elle lui résiste, Ella finit par plaire à Asher. Tous les deux entrent dans une lutte d’ego : celui qui embrassera l’autre sera le perdant. Un jeu de grands enfants qui peut aussi mettre mal à l’aise. L’homme est violent ; la femme, gravement maltraitée.

Chef de gang et assassin, Asher multiplie les humiliations, mais il lui suffit de quelques caresses pour que tout soit oublié. Beau et musclé, le psychopathe parvient à se faire pardonner et aimer. Il suscite même l’empathie de sa victime en révélant son propre traumatisme : le péché originel vient d’une autre femme, et l’on se demande si Sarah Rivens ne confond pas histoire d’amour et relation ultra-toxique. Bizarrement, toutes les victimes d’Asher Scott, dont ses trois précédentes captives, ne bénéficient pas de la même compassion. La boussole morale d’Ella semble littéralement détraquée, serait-on tenté d’écrire.

Rythme diabolique

Empowerment féminin ou version romantisée d’une relation de domination perverse, Captive révèle une auteure qui bouscule les codes avec une redoutable efficacité narrative. La psychologie paradoxale des personnages et leur évolution laissent perplexe, mais le scénario, bien ficelé, nous entraîne dans son rythme diabolique. À la manière d’une série télévisée, Captive multiplie les rebondissements, même si la plupart sont assez prévisibles. Les points de vue sont divers : le tome 1 adopte celui d’Ella ; le tome 1.5 est un spin-off qui développe l’histoire d’amour de deux personnages secondaires ; le tome 2 mêle les voix d’Ella et d’Asher. Phénomène littéraire à l’univers trouble, Sarah Rivens met l’Algérie sur la carte de la littérature de genre et, déjà, neuf traductions sont en cours…

Captive (tome 1), de Sarah Rivens (éd. HLAB, romance, à partir de 18 ans, 549 p., 20 euros).

Captive (tome 1.5) Perfectly Wrong, de Sarah Rivens (éd. HLAB, romance, à partir de 18 ans, 603 p., 20 euros).

Captive (tome 2), de Sarah Rivens (éd. HLAB, romance, à partir de 18 ans, 679 p., 20,90 euros).

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