Comment diable peut-on être le voisin d’Ousmane Sonko ?
Amateurs de gaz lacrymogènes, de troubles et de blocages policiers, n’hésitez pas : si vous êtes dakarois, c’est à cité Keur Gorgui qu’il faut loger.
-
Ousseynou Nar Guèye
Éditorialiste sénégalais, fondateur du média numérique Tract.sn
Publié le 30 avril 2023 Lecture : 4 minutes.
Comment peut-on être Persan à Paris ?, se demandaient, avec Montesquieu, les Parisiens du XVIIIe siècle. Eh bien, j’ai le douteux, et désormais de plus en plus possiblement dangereux privilège d’être le voisin d’Ousmane Sonko, dans le quartier dakarois de la cité Keur Gorgui. Depuis cinq ans.
Lorsque j’ai emménagé, avec stylos, carnets, ordinateur portable, bagages et famille dans le quartier, je ne savais même pas laquelle du pâté de maisons était la demeure du leader de Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef). Bien que le jeune courtier qui m’avait trouvé le logement, depuis sa voiture, me l’ait désignée nuitamment, avec déjà un enthousiasme militant indicatif de ce que Sonko imprimait dans la jeunesse. Ousmane Sonko était alors un singleton qui avait réussi à se faire élire député un an plus tôt et qui, en février 2019, avait réussi la prouesse de sortir troisième de la présidentielle, avec 15 % des voix.
Depuis lors, l’électron libre Sonko est devenu tête de gondole de l’opposition sénégalaise, et est parvenu à faire élire, sur son nom, 40 députés pour sa coalition Yewwi Askan Wi (YAW) – soit autant que la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) –, en juillet 2022. Lui-même n’est pas élu à l’Assemblée nationale, la liste des titulaires sur laquelle il figurait ayant été déclarée forclose pour des raisons paperassières, inintéressantes à évoquer ici. Il est en revanche maire de Ziguinchor (capitale de la Casamance, dans le sud du Sénégal) depuis janvier 2022.
Un voisin conflictogène
Pourquoi d’ailleurs n’y vit-il pas à l’année, en tant qu’édile de la ville ? Bon, ce serait là lui faire un mauvais procès, puisque de nombreux ministres et directeurs de sociétés publiques vivent dans la capitale sénégalaise, alors qu’ils sont maires de villes de l’hinterland. Mais il faut avouer que vivre dans la vicinité de Sonko est un championnat très sportif à plusieurs épreuves : aspiration d’émanations de gaz lacrymogènes, esquive de bris de glaces de voitures stationnées, extinction de débuts d’incendies de bâtiments et de feux de pneus sur la chaussée, immortalisation de débuts d’émeutes filmées aux smartphones…
À la suite des émeutes de mars 2021, l’alors tout-puissant directeur de cabinet du président de la République, Mahmoud Saleh, lui aussi encore plus voisin de Sonko, a dû se résoudre à déménager, après que sa maison a subi les assauts musclés de la foule de manifestants.
Mon voisin le trublion Sonko est, à tout le moins, conflictogène, avec tous les procès contre lui intentés. Cela lui vaut d’ininterrompues convocations policières et judiciaires dont l’exequatur est toujours aux forceps et la mise en œuvre faite manu militari : bouclage du quartier la veille avec herses devant toutes les rues menant à sa maison, ballet nocturne de motos enfourchées par des jeunes qui envahissent le secteur pour venir « soutenir » leur leader, obligation pour les riverains de prendre des voies de contournement – obligation aussi de montrer patte blanche afin de prouver aux forces de l’ordre qu’on habite bien le quartier pour rentrer chez soi – et même refus des cars scolaires de déposer nos petites têtes crépues à la cité Keur Gorgui.
Tout ceci me rappelle mes années estudiantines d’il y a 25 ans. Vivant alors au campus de l’Université Cheikh-Anta-Diop, au Point E, à dix minutes de marche du domicile du volcanique opposant qu’était alors Abdoulaye Wade, on savait toujours quand la police allait venir l’embarquer pour quelque vétille ou scandale qui avait fait grand bruit les jours précédents : une heure avant, le téléphone fixe était coupé dans tout le voisinage. C’était alors le signal donné aux étudiants afin qu’ils se précipitent chez Wade pour tenter de jouer les boucliers humains.
Réclamé à Ziguinchor ?
Je ne sais qui de moi ou de Sonko déménagera le premier du quartier. Une cité Keur Gorgui sortie de terre en 2002 et baptisée du sobriquet d’Abdoulaye Wade, devenu président (gorgui signifiant « le vieux »). À ce propos, on se souvient qu’à la veille de la présidentielle de février 2019, Abdoulaye Wade, le plus vieil opposant au monde (97 ans et toujours chef du Parti démocratique sénégalais, PDS) et dont le parti était orphelin de candidat, recevant Sonko dans son hôtel de la Corniche, l’avait adoubé, parce qu’il « lui rappelait ses années de jeunesse ».
Onction pour passer un jour de la cité Keur Gorgui au palais de la République ? À moins que les administrés du maire de Ziguinchor n’exigent de lui qu’il vienne y vivre à demeure.
Le Pire Voisin au monde, titre d’un film avec Tom Hanks sorti en 2022, aurait pu être le titre de cette chronique. Les Wolofs, quant à eux, ont un adage qui dit : « On a toujours une dette irréfragable envers ses voisins »… Cela se dit « Akh dëkëndoo », pour ceux que ça intéresse.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- À Casablanca, la Joutia de Derb Ghallef en voie de réhabilitation
- Mali : ce que l’on sait de la disparition de Daouda Konaté
- Paul Biya à Genève : ces privilégiés qui ont eu accès au chef
- Au Niger, Al-Qaïda affirme avoir frappé aux portes de Niamey
- Présidentielle en Côte d’Ivoire : la compagne de Tidjane Thiam sort de l’ombre